[Critique] La Horde du Contrevent (2004)


Livre devenu culte dans la science-fiction française, La Horde du Contrevent est une claque monumentale. La découverte de cet univers et de cette Horde fut une expérience grandiose et d'une grande richesse. Le roman de Damasio conte l'histoire d'une Horde composée de vingt-trois personnages tous distingués par un métier et un symbole spécifique. Cette Horde doit contrer le vent, élément essentiel et perturbateur de leur monde, pour remonter de leur point de départ jusqu'en Extrême-Aval. Lieu mythique où il serait possible de trouver l'origine du vent et de connaître les trois formes manquantes du vent (ils en connaissent six.) Pour cela, les protagonistes sont entraînés dès leur plus jeune âge à affronter le vent pour pouvoir accéder à pied jusqu'à cet objectif. L'auteur français nous fait rentrer directement dans l'action où la Horde affronte une forme de vent puissante.

 

La Horde du Contrevent est avant tout un livre exigeant, car nous sommes projetés dans un univers complexe. Énormément d'éléments sont à prendre en compte très vite, mais au fil des pages nous apprenons petit à petit où nous sommes, de quoi ce monde est composé et qui est cette Horde. De plus, Damasio a une manière très particulière d'écrire. En effet, le livre est écrit sous plusieurs points de vue. À chaque nouveau paragraphe c'est un personnage différent de la Horde qui parle. Damasio ne va pas écrire le nom du personnage au début du paragraphe, mais va simplement mettre le symbole par lequel il est représenté. Par exemple, Sov l'un des personnages phares est symbolisé par une parenthèse : « ) ». Il est donc difficile au début de s'habituer aux symboles et de savoir qui parle. Il faut régulièrement se référencer au marque-page offert avec le livre où il est écrit les noms de tous les personnages, leur profession et leur symbole. Cette manière d'écrire permet d'approfondir avec vigueur la psychologie des personnages et pour apprendre au fil de la lecture leur passé et les enjeux qu'ils traversent. Nous nous attachons grandement aux personnages et ce qu'ils traversent.

 

Malgré les vingt-trois personnages composant la Horde, Damasio va se concentrer spécifiquement sur quelques héros et se canaliser sur le point de vue de certains « hordiers ». Le talent de Damasio est de retranscrire la pensée d'un individu avec régulièrement un style littéraire différent en fonction du caractère de ce dernier. Nous aurons très souvent les perspectives de Golgoth (« Ω ») le traceur du groupe, celui qui ouvre la voie et affronte le vent en première ligne. C'est un homme très costaud, brut, sanguin et colérique. L'auteur français utilise pour lui un style très celinien avec une écriture argotique et directe. Sov, le scribe, est celui qui doit retranscrire sur un carnet le parcours de sa Horde pour les futurs Hordes et leur donner des indications précieuses. Damasio utilise une écriture plus simple et sensible, car il est l'un des vecteurs essentiels de l'histoire, il se doit alors d'être très compréhensible. On peut d'ailleurs voir en lui une forme d'avatar de l'auteur, car Sov est le narrateur principal et l'écrivain de cette histoire. Caracole (« ¿'» ) le troubadour de la communauté, est quelqu'un qui a des visions. Il est poète, très intelligent et conte des histoires. Lorsqu'on est dans son point de vue, la pensée de Caracole est montrée avec un langage très théâtral plein de panache et de virtuosité faisant penser au style d'Edmond Rostand et de son célèbre Cyrano de Bergerac. Pietro (« π ») est un prince dont toute sa lignée familiale a participé à des expéditions d'anciennes Hordes. Il accompagne le groupe pour régler les affaires diplomatiques. Le dialecte utilisé pour ce personnage est soutenue, noble et poétique. Un dernier exemple, c'est celui de Erg (« Δ ») dont la profession est d'être un combattant-protecteur. C'est un homme entraîné dès son enfance à être un tueur et combattant professionnel qui a choisi la voie d'être un protecteur d'Horde. Il est rapide et concis dans ses phrases comme s'il était à l'affut et très concentré sur ce qui l'entoure. Nous aurons principalement le point des vues des personnages cités, mais aussi celui d'Oroshi (« x »), l'aéromaîtresse de l'Horde, experte en Chrone (entité importante du roman, une espèce de boule d'énergie qui peut exister sous plusieurs formes positives ou négatives pour les personnages). Aoi, cueilleuse et sourcière, sa profession consiste à trouver les sources d'eau. D'autres personnages sont régulièrement exposés (Larco le braconnier du ciel, Callirhoé la feuleuse, l'autoursier avec son oiseau chasseur, les frères Dubka, les hommes à tout faire, etc.) et sont tout autant importants, car le talent de l'auteur est de réussir à nous attacher à ses personnages très profonds, ayant un lourd passé et avec chacun leur histoire singulière. Nous sommes sensibles à leurs sentiments et passionnés par l'explication sur leur métier. Ce sont aussi des protagonistes loin d'être parfaits avec chacun leurs qualités et défauts, rendant cette aventure très humaine.

 

Le monde où se déroule l'histoire est très loin dans le temps, mais il est peu avancé technologiquement parlant. Un peuple du nom des Fréoles est une preuve d'une technologie poussée, mais ils sont surtout là pour donner une comparaison philosophique avec la Horde. En effet, ce peuple se déplace sur des navires géants pour rejoindre l'Extrême-Amont tandis que la Horde se déplace à pied avec la puissance physique des corps et des outils primaires. On peut se demander quel intérêt d'y aller à pied alors que des véhicules existent pour se déplacer. Mais ce parcours à pied sert à s'entraîner physiquement pour affronter le vent et faire face à l'inconnu de l'Extrême-Amont. C'est là une des motivations de l'auteur, mettre en avant la force du corps et la hargne des personnages. Les héros se surpassent au-delà de leur limite pour avancer et cela est bien sûr très métaphorique de notre propre vie. Malgré les obstacles et les échecs, il faut continuer à avancer pour aller vers notre objectif. Le vent, métaphore de la vie, devient un élément métaphysique et philosophique de l’œuvre. Damasio invente toute une notation complexe et des notions authentiques autour du vent. À plusieurs reprises, l'écrivain va retranscrire le vent à travers des ponctuations comme si le vent avait un langage, comparable à une partition musicale. Il peut être parfois difficile de s'imaginer ce qu'il décrit, mais ce dernier n'hésite pas à laisser des définitions vagues sur certains éléments. Cela permet une grande liberté pour travailler son imagination sur les choses en question.

 

C'est un roman très prenant, car ce dernier nous tient en haleine dans des situations toujours très singulières entre actions, émotion et contemplation. C'est une œuvre qui sait saisir la beauté et la terreur de son univers. Le roman est parfois d'une grande mélancolie, car les personnages font face à des sacrifices et tentent souvent d'accéder à une forme de bonheur malgré leur quête quasi-suicidaire. Certains personnages vont avoir l'espoir de fonder une famille et d'autres de retrouver leurs proches. En même temps, le but final pour eux et de découvrir l'origine du vent et cela en devient une obsession. Une forme de motivation et de détermination est puisée en eux, mais les héros sont tiraillés entre ces deux pôles. Les parties marquantes sont nombreuses, mais nous pouvons retenir principalement celle-ci : le combat entre Erg et Silème, la traversée de la flaque de Lapsane avec le typhon montrant des visions personnelles aux personnages, Alticcio et la magnifique joute verbale de Caracole pour permettre à la Horde de passer la porte d'Urle, la retrouvaille avec une petite partie de l'ancienne Horde composée de la famille de certains personnages et le passage à Camp Boban où la Horde est tiraillée entre vouloir y rester et aller à Norska. Mais aussi tout le passage sur Norska où ils doivent traverser un volcan, la mort de certains hordiers, la découverte qu'il n'y a rien en Extrême-Amont ou encore tout le passage sur la solitude de Sov. La fin est magistrale et c'est un grand retournement de situation. Une forme de cycle et de boucle comme celle de la vie et de la mort.

 

Pour conclure, La Horde du Contrevent est d'une grande richesse. C'est une œuvre difficile à saisir par moments et une deuxième lecture dans l'avenir permettrait de saisir plus de notions qui peuvent échapper. Le livre est assez fort pour nous faire comprendre l'ensemble et nous nous attachons avec énormément de force et d'empathie pour ces personnages tous singuliers. Chacun a sa définition de la vie et une philosophie propre. La maîtrise de l'écriture permet de jongler entre ces diverses émotions et actions réussissant toujours à nous surprendre. La philosophie nietzschéenne qui se dégage du roman devient un leitmotiv pour notre propre vie. On peut y avoir également un également sur l'héritage familial et sur la question du mythe. On ressent un apport écologique et une œuvre de science-fiction mettant en avant le corps de l'être humain et sa force d'être au-dessus de la machine. Un retour aux origines où le mot « origine » est essentiel dans La Horde du Contrevent


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