Célèbre roman de l'écrivain Ray Bradbury, adapté par le grand François Truffaut en 1966 au cinéma, Fahrenheit 451 conte son histoire dans un univers dystopique où les pompiers n'éteignent plus de feu, mais brûlent des livres. En effet, la culture est mal venue dans cette société, car elle serait un poison qui pourrait faire « réfléchir » l'humain et donc le rendre malheureux. Mais c'est surtout un moyen pour l'État de contrôler comme il lui souhaite la population du monde. Guy Montag est au centre de ce récit, il a pour profession d'être pompier et vit sous la conformité de cette société. Au début du roman, il rencontre une certaine Clarisse, une jeune femme étant sa voisine. En parlant avec elle, il se métamorphose petit à petit et prend conscience de l'aspect totalitaire de la société dans laquelle il vit.
Fahrenheit 451 est le roman phare ayant mis sur le devant de la scène l'auteur américain. Il y avait déjà des traces de cette histoire dans ses Chroniques martiennes, nous pouvions l'entrevoir dans les deux nouvelles : Les Musiciens et Usher II où des pompiers brûlent des livres et des objets liés à la culture. Bradbury exploite sa plume poétique et réalise beaucoup de métaphores, de ruptures de constructions, des recherches rythmiques et de jeux sur le signifiant. Le vocabulaire richissime de Bradbury éveille chez le lecteur une vision onirique et cauchemardesque dans laquelle est emporté Montag. Le roman est fait de beaucoup d'ellipses et ne dit pas forcément à quel moment se déroule la scène pour mieux s'attendrir sur l'état d'esprit de Montag. Il devient même philosophique lorsque le personnage se pose des questions sur sa propre existence et sur les personnes l'entourant. Par exemple, sa femme Millie, est présentée comme une femme totalement abrutie par la société de consommation et la télévision. Elle vit à travers trois écrans qui diffusent des bêtises télévisuelles. Pour elle, la vie réelle se trouve à l'intérieur de ces écrans. Montag se rend compte qu'il n'a jamais aimé cette femme et qu'il ne la connaît pas vraiment. Sa perception du monde change totalement et enlève le « masque » qu'il a toujours eu auparavant. Dans une certaine mesure, on pense à la philosophie de Sartre. C'est aussi le masque du monde qu'il dévoile. Bradbury utilise sa passion de la littérature pour user d'un discours contre la censure, l'autodafé, le totalitarisme ou encore pour faire parallèle avec le maccarthysme qui a hanté les États-Unis pendant les années 1950. C'est un monde froid et sans âme que décrit l'écrivain et c'est par touche d'espoir et d'échappatoire qu'il nous transporte. Clarisse est ce personnage faisant changer la vision de Guy. Elle prend le temps de contempler les choses simples et belles de la vie comme la nature. Comme dans Chroniques martiennes, la nature est très présente chez Bradbury que ça soit directement au sein de certaines scènes (notamment à la fin où Montag fuit la police dans la forêt et rencontre les « hommes-livres ») ou dans des métaphores. C'est une société où plane une guerre nucléaire sur le point d'imploser, installant un reflet avec la réalité. Cette peur d'une guerre encore plus sophistiquée et destructive pèse dans la mémoire collective. L'élément du feu plane également dans l’œuvre déjà par le titre faisant référence au degré Celsius auquel le papier brûle. Puis dans les titres des parties comme le foyer et la salamandre ou l'éclat de la flamme. Les passages où les pompiers brûlent des livres sont prenants par le détail et la folie qui s'en dégage. Cela accentue également l'aspect apocalyptique qui se trouve au sein du livre. A ce propos, le passage le plus marquant est lorsque Montag doute de son existence et doit avec sa troupe brûler les livres d'une vieille femme. Cette dernière préfère mourir avec ses livres que plutôt d'être vivante sans eux. Acte d'immolation donnant une sensation de révolution, mais aussi de désespoir. Tout cela sous le regard impuissant du héros.
Un autre personnage très intéressant et ambigu s'immisce dans l'histoire, c'est Beatty, le capitaine de Guy. Un homme à la fois très cultivé, citant maintes fois des grands écrivains, mais qui veut détruire absolument tout les livres. Il proclame des discours saisissants pour faire comprendre à Montag que cela ne sert à rien de se plonger dans la lecture, mais le héros se soulève contre l'autorité. Beatty ne peut être de son côté et tente de l'arrêter. Pour le capitaine, les livres ne peuvent que rendre malheureux et accroître une angoisse existentielle. Paradoxalement, le fait qu'il ait une grande culture rend passionnant cet homme, car il est impossible à le placer, ni du côté des héros ni des antagonistes. Surtout lors de sa mort, quand Montag le brûle avec le lance-flammes. Guy dira qu'il a eu l'impression que Beatty n'a rien fait pour éviter cette attaque comme s'il voulait se suicider. Beatty serait donc peut-être un homme qui a refoulé au fond de lui sa condition sociale, mais on ne le sera pas, ce qui rend ce protagoniste encore plus mystérieux. Nous voyons qu'en installant cette politique de l'atteinte d'un certain bonheur — en pensant que détruire les livres est la solution — la société est devenue plus triste et sombre. On voit cela dès le début avec la tentative de suicide de Millie dont les médecins ne s'en inquiètent guère. Cette nouvelle politique rend l'Homme antipathique et sans émotion, un esprit robotique s'enclenche chez lui. Les interactions de Guy avec la littérature ou des écrits sont très touchants par cette découverte des premières lettres, lui procurant une sensation inédite. Que ça soit par la poésie ou l'Ecclésiaste (le livre qu'il retiendra à la fin lorsqu'il sera admis dans le groupe des hommes-livres). Il y a également ce très beau passage où Montag lit un poème à Millie et ses amies (aussi manipulées qu'elle) pour prouver la beauté qui peut se trouver au sein d'une œuvre littéraire. L'une des femmes pleure et nous pensons que l'objectif est réussi jusqu'à ce que l'une des amies reproche à Guy d'avoir lu ce poème et rendu triste la spectatrice. Cela confirme cette censure même d'avoir des émotions face à l'art. C'est le monde à l'envers.
Le livre de Bradbury est toujours dans l'urgence et devient parfois oppressant. Par exemple avec le Limier, espèce de robot-chien qui peut sentir le mensonge et les livres. Lorsque également Montag rencontre Faber, un vieil homme qui garde en secret des collections de livres et qui pour la bonne cause — avec l'aide du monsieur — tente de détruire la caserne des pompiers. La mission échoue et le héros doit s'enfuir. Poursuivi par le limier et un hélicoptère filmant la cavale, Montag est sauvé par les « hommes-livres » qui décident de le recueillir. Ayant échappé au Limier et à l'hélicopète-caméra, la police va arrêter un innocent en faisant croire que c'est Montag pour ne pas être décrédibilisé au prêt de la population. Encore une preuve du mensonge et de la manipulation qu'utilise l'État pour parvenir à ses fins. Après avoir fait la connaissance de hommes-livres connaissant par cœur au moins un livre, Guy est témoin de la destruction de la ville — à cause de la guerre — qu'il voit au loin. La mission essentielle à présent est de vaincre l'horreur de la guerre, de la censure et du totalitarisme à travers un devoir de mémoire. Montag devient un héros du souvenir. Une fin donnant de l'espoir et cet aspect humaniste qui est si élégant dans l'écriture de Bradbury.
Pour conclure, Fahrenheit 451 est une œuvre majeure de la science-fiction, mais aussi de la littérature en général pour le message qu'elle apporte. C'est un message intemporel et important pour notre culture et donc notre Histoire. C'est un roman d'une grande qualité stylistique faisant parallèle à notre monde. Que ça soit la vision d'une société de consommation (programmes télévisuels médiocres, publicités polluant le paysage, oisiveté totale…) ou des éléments tragiques arrivant sur Terre ou qui ont la possibilité d'exister (guerre nucléaire, autodafé, censure, maccarthysme, état oppressif, totalitarisme…), Bradbury dégage une vision bouleversante de la société. Un livre toujours d'actualité et prophétique, exposant la force que peut apporter la dystopie et l'anticipation.
Écrire commentaire