En l'an 10191, le Duc Leto Atréides, chef de la Maison des Atréides est envoyé par l'Empereur Padishah IV sur Arrakis (ou Dune) pour contrôler son fief. Arrakis, planète désertique, aride et inhospitalière est très convoité pour son épice, une substance mystérieuse. Elle sert énormément à la Guilde Spatiale qui est une organisation détenant le monopole des voyages interstellaires depuis sa création. L'épice est aussi un moyen de décupler la puissance psychique, immuniser contre des maladies ou encore prolonger la vie. Elle est une sorte de drogue qui si elle est trop consommée rend les yeux bleus. Elle est unique, car elle se trouve uniquement sur Arrakis et elle est secrétée par une créature spéciale : le Shai-hulud. Ce monstre est une sorte de ver de terre géant pouvant atteindre des dimensions gigantesques. Elle est pour les Fremens une créature sacrée et ces derniers ont le pouvoir de les chevaucher. Les Fremens sont un peuple indigène très ancré dans leur tradition et qui vivent dans le désert. Ils résistent tant bien que mal contre les Harkonnens, une autre Maison, dirigé par le cruel Baron Vladimir Harkonnen, ennemi des Atréides qui contrôlait Arrakis avant la venue du Duc Leto. L'Empereur et le Baron se sont mis d'accord pour piéger Leto, car ce dernier est irriter de sa popularité grandissante et veut le faire tuer accidentellement. Le Duc a pour concubine Dame Jessica, une pratiquante du Bene Gesserit, un groupe constitué exclusivement de femme qui a un pouvoir politique et religieux sur l'ensemble de l'Univers. Par amour pour le Duc, Jessica donne un fils à son compagnon alors que cela est formellement interdit par les préceptes du Bene Gesserit. Cet enfant, c'est Paul, le héros du roman qui est vu par le Bene Gesserit comme le « Kwisatz Haderach », l'élu qui peut lire dans toutes les mémoires de ses ancêtres. Il peut également lire dans l'avenir et exploiter toutes les informations infinies qui lui traversent l'esprit. Entouré par ses professeurs d'art et de combat, Thufir Hawat (le Mentat du Duc, une sorte d'ordinateur humain), Duncan Idaho (maître d'armes et fidèle lieutenant) et Guerney Halleck (un guerrier-troubadour et instructeur du jeune Paul), le personnage doit quitter sa chère planète Caladan avec ses parents pour aller sur Dune. Les Atréides seront alors mises à mal par le piège des Harkonnens et va s'ensuivre un enchaînement de situations qui feront de Paul un grand chef Fremen qui lui permettra de reprendre le contrôle d'Arrakis.
Après ce résumé un peu fastidieux, que penser de cette nouvelle lecture après quatre ans sans l'avoir lu ? Eh bien, je suis toujours autant emporté par cette œuvre magnifique. Par sa couverture noire entrecoupée par une image d'une dune de sable. Cela fait sept années que j'ai ce livre et les pages ont eu le temps de jaunir, rappelant ainsi le jaune de la chaleur, du sable et de l'épice. Un livre qui m'appelle pour m'évader vers une galaxie lointaine. Pourtant l'évasion, terme assez propice pour parler de science-fiction, mais qui peut être paradoxal dans ce cas. En effet, l'évasion est là, car nous sommes en l'an 10191, tout un univers unique est présent et des noms inconnus traversent l'oeuvre, mais beaucoup d'éléments rappellent des choses que l'on connaît. Dune est construit comme un monde au système féodal. On a un Duc, des princes, des princesses, un Baron, des Dames, un Empereur, etc. Ce sont des « Maisons » qui s'affrontent et plus spécifiquement des familles issues de la noblesse et de l'aristocratie. Les noms appellent à une image moyen-orientaliste et islamique où l'on parle de jihad, de prophète, le nouveau nom de Paul est « Muad'Dib », les Fremens sont des hommes du désert ressemblant à des Touaregs… Il y a quelque chose de très anciens dans l'esprit de Dune et l'œuvre ressemble presque à un conte issu de l'antiquité. Pourtant, nous sommes bien dans de la science-fiction, il y a une technologie avancée mais qui ne tombe jamais dans la description complexe ou nuisible à la lecture. On sait d'ailleurs qu'une guerre entre les Hommes et les machines a éclaté il y a plus de 10 000 ans. Les humains se sont libérés du joug des machines et ces dernières n'ont plus leur place dans l'univers. Ainsi, les machines sont remplacées par la sagesse et la puissance psychiques de certains humains comme les Bene Gesserit ou les Mentats.
Le style d'Herbert permet de saisir l'état d'esprit de ces hommes et femmes méditant ou réfléchissant constamment. En effet, Herbert écrit en italique pour dévoiler une pensée d'un personnage, cela entrecoupe régulièrement une ligne de dialogue entre des personnages. Très souvent, on parle d'antipathie ou de froideur dans la relation qu'ont les protagonistes entre eux et cela n'est pas foncièrement faux. Il y a une distance qui est opposée, car l'univers décrit est maintenu dans un contexte politique archaïque avec des traditions, des coutumes, un langage soutenu, des titres de noblesse, etc. qu'il faut respecter. Par exemple, la relation mère-fils entre Jessica et Paul est pudique, mais parfois les pensées de Jessica à l'encontre de son fils prouvent l'amour qu'elle a pour ce dernier. Lorsqu'elle voit Paul en position de faiblesse, Herbert va décrire la mère dans un sentiment de grande empathie et voudra l'enlacer. Son instinct maternel reprend le dessus, mais elle sait qu'elle ne doit pas le prendre dans ses bras, car cela serait malvenu par rapport à la position sociale de Paul. C'est par ces petites touches d'émotion fugaces que Dune donne des grands moments sentimentaux et donc de chaleur humaine face à la situation que vivent les personnages. Dès le début, une grande mélancolie s'instaure, mais qui est toujours équilibrée par ce récit allant droit au but. Les Atréides sont très vite nostalgiques de leur planète-mère Caladan. Les souvenirs se ressassent pour certains, mais ils savent qu'ils ne doivent pas tomber dans le piège de l'amertume, car ils ne doivent pas faiblir devant l'émotion. C'est une autre façon de montrer la beauté de ces êtres, ces courts souvenirs qu'ils ont de Caladan, planète verte et aquatique, tout le contraire d'Arrakis. Le déterminisme est essentiel dans le récit de Dune, les personnages ne peuvent pas dévier de leur chemin et cela amène à une forme de tragédie. C'est le cas du Duc Leto, on sait d'avance qu'il ne pourra pas échapper à la mort, son destin est scellé. Sa mort est d'ailleurs l'avènement d'une très belle scène où il se ressasse un souvenir de façon instantanée de Caladan, heureux avec son fils juste avant de fermer les yeux à tout jamais.
Tout reste centré sur Dune, mais un univers immense tourne autour de la planète. On qualifie l'oeuvre de space-opera, mais nous pourrions parler plutôt de planète-opera. Très rarement, le lecteur se trouve hors d'Arrakis, seulement deux fois. Au début sur Caladan puis Giedi Prime, la planète-mère des Harkonnens lorsque Feyd-Rautha (le neveu de Vladimir qui doit prendre le flambeau) combat dans une arène de gladiateurs. L'écrivain exploite une richesse infinie pour présenter l'histoire de Dune, tout en gardant un certain mystère. C'est petit à petit que nous comprenons ce qui construit cette terre désertique. L'apport mystique et métaphysique est très fort dans le livre d'Herbert. Surtout lorsque Paul et Jessica se trouvent avec les Fremens. Le passage où la femme doit prendre une drogue pour prouver qu'elle peut être une Révérende Mère en est un parfait exemple. Il y a une approche psychédélique (propre à l'époque hippie et psychotrope de la fin des années 1960) et une volonté transcendante de faire « sortir hors de soi » les personnages. Le roman peut parfois perdre dans la densité qu'elle impose, notamment avec des filières comme la CHOM, une espèce de Banque pour le Laandsraad (parlement qui unit toutes les Maisons majeures et mineures) dans laquelle les différentes maisons peuvent piocher de l'argent. On ne comprend pas forcément bien l'impact qu'elle a sur Arrakis. Pourtant, l'œuvre arrive toujours à tenir en haleine grâce au récit initiatique de Paul. C'est parce qu'on le voit grandir, assumer sa destinée et devenir quasi surhumain que le jeune homme nous est proche.
C'est l'occasion pour Herbert de parler religion et ce qu'elle peut amener de mal. Le fanatisme entourant Paul lorsqu'il devient le chef suprême des Fremens façonne la dangerosité de la religion. La plus grande peur du personnage est de devenir tellement légendaire que les Fremens sont prêts à faire le jihad pour lui c'est-à-dire faire des guerres sans merci en son nom. L'autre approche très intéressante d'Herbert, c'est celle de la géopolitique, mais surtout l'approche écologique. Comme dit plus haut, Arrakis est une planète très aride, sans verdure. Pour ne pas mourir dans le désert de Dune, il faut s'équiper d'un distille, un appareil permettant de se nourrir de sa propre eau de son corps. Kynes, la planètologiste de l'Empereur est l'un des protagonistes caractérisant cette approche. Envoyé par l'Empereur pour régler le système écologique de la planète, il devient un chef important des Fremens et se fait nommer Liet-Kynes. Son plus grand rêve est de rendre hospitalière Arrakis et qu'elle soit remplie de nature. Les Fremens sont donc unit dans cette cause. Comme très souvent la science-fiction est porteur d'un message universel reflétant les problèmes de notre société contemporaine et ainsi le roman devient intemporel dans son fond. Par exemple, l'eau est très rare et donc il faut l'économiser de la meilleure des façons. Ainsi, lorsqu'un personnage pleure, ce dernier s'en prend à lui-même, car il pense gâcher une eau précieuse, montrant la dureté et l'exigence qu'ont les protagonistes envers eux.
Si je dois retenir quelques passages qui m'ont marqué, ce sont d'abord toutes les pensées que portent les personnages pour affronter la peur et la douleur. C'est presque une philosophie propre au stoïcisme qui saisit les héros de ce roman. Dès le début avec le gom-jobbar, un défi que doit affronter Paul pour savoir s'il est potentiellement le Kwisatz Haderach. Les combats sont également passionnants, que ça soit l'approche que le combattant doit avoir avec son bouclier et sa patience avant d'attaquer. L'entraînement entre Paul et Gurney, l'affrontement entre Paul et Jamis, le déferlement de violence entre Duncan et les Sardaukars (l'armée personnelle de l'Empereur comparable à des soldats spartiates) mais surtout le combat final entre Paul et Feyd-Rautha. On s'imagine la précision des coups, la stimulation des sens, le sens aiguisé du regard, etc. On pense fortement au combat à l'escrime. Cette même idée d'escrime se joue également à travers les dialogues où les protagonistes doivent choisir leurs mots avec bon escient, avoir une bonne rhétorique et des bons arguments puis s'analyser pour connaître le vrai sentiment de la personne en face. Le dîner qu'organisent les Atréides est totalement dans cette optique, c'est une grande partie d'échecs mentale passionnante.
Je parlais de Gurney juste avant, il est sûrement l'un des meilleurs seconds rôles, car c'est un homme à la fois drôle et poétique, il chantonne et joue souvent ses ballades légères ou mélancoliques donnant un cachet évasif, propre au contexte aride de Dune. Comme il était dit auparavant, Les sentiments sont toujours retenus, mais peuvent être exaltants comme lorsque Gurney regrette d'avoir cru que Jessica était la traite ayant fait tuer Leto. On sent le poids du temps et des remords qui s'immisce dans les écrits d'Herbert, mais la distanciation des relations reprend vite son pas, comme s'il fallait vite regarder vers l'avenir et non le passé. C'est de même avec la liaison entre Chani et Paul, la perte de leur enfant dans la bataille finale, le fait que Paul voit son entourage ayant peur de lui, la relation entre Paul et son père à la fois dure et sensible, Alia la petite soeur précoce de Paul qui prend conscience du monde dès son plus jeune âge (et qui on imagine deviendra une vraie menace), etc. C'est pourquoi il est difficile de résumer tout ce premier tome, tellement il est chargé de détails, mais pour moi la plus belle chose de Dune, ce sont ces courts moments d'échappatoire, lorsque le regard est porté vers l'infini de l'espace ou l'horizon éternel du désert, lorsque les personnages se souviennent qu'ils sont des mortels en proie au doute dans cet univers où jaillissent les pires défauts du pouvoir, de l'argent, de la politique, de la religion et de la nature humaine.
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