[Critique] Le Messie de Dune (1969)


Plus intimiste et rétrospectif, Le Messie de Dune se déroule douze années après le premier volet. Ces plusieurs années ont permis à Paul et ses Fremens — devenu l'Empereur suprême de Dune et de la galaxie — de conquérir l'univers à travers le Jihad qu'il a instauré malgré lui. Désormais, le héros est entouré par de nombreux ennemis, c'est par cette voie qu'Herbert nous fait rentrer dans son deuxième tome. La conspiration est au coeur du sujet du Messie de Dune, tous les grands pouvoirs entourant Paul sont contre lui. La Guilde Spatiale avec en tête Edric, un navigateur, le Bene Gesserit et Gaius Helen Mohiam, le Bene Tleilax mené par Scytale un danseur-visage qui peut se transformer physiquement et mentalement, et enfin la princesse Irulan, l'épouse de Muad'Dib. Malgré leur mésentente, ils cherchent une solution pour faire chuter du pouvoir le grand Empereur. L'idée principale est de faire revenir d'entre les morts Duncan Idaho grâce à une technique des tleilaxu en récupérant de la chaire du mort et en utilisant une « cuve Axololt » pour ressusciter l'être et le manipuler à son souhait. Ils vont alors utiliser Duncan qu'ils nommeront Hayt pour faire chuter de l'intérieur l'Empereur Muad'Dib.

 

Ce nouveau volet est beaucoup moins dense que Dune premier du nom. Herbert préfère se concentrer davantage sur le fardeau qui pèse sur les épaules de Paul. Ce dernier est totalement tiraillé entre assumer son poste d'Empereur, sa déification et être libre. Ses visions prescientes sont encore plus puissantes qu'avant, mais lui vampirise son énergie. Il sait qui sont ses ennemies et c'est donc une partie d'échecs géante qu'établit l'auteur entre Paul et les antagonistes. L'utilisation de la pensée en italique est toujours propice et grandement efficace, mais une touche descriptive est plus profonde que le premier Dune. Non que le premier tome n'était pas riche en description, mais le Messie invite totalement à contempler à la fois la destruction mentale de Paul et en même temps la grandeur de la Citadelle dans laquelle il habite. On retrouve toujours des extraits venus de livres fictifs de l'univers d'Herbert en début de chapitre pour mieux introduire le ton mystique, mythique et riche de l'oeuvre. Tout en restant taciturne, l'écriture d'Herbert se lâche encore plus dans des envolées poétiques et sensibles. Le personnage est très touchant et plus subtil, car on le sent épuiser et malheureux. L'univers qu'il a conquis est seulement suggéré, mais le lecteur éprouve le même mal-être que Paul, car sa volonté de stopper le Jihad est impossible. Lors d'une discussion entre lui et Stilgar, il compare d'ailleurs son empire à celui de certains empereurs de l'âge d'Or de la Terre comme il le dit : Gengis Khan, Jules César ou encore Hitler… Cette période, oubliée de l'Histoire de Dune, donne un coup d'électrochoc, car tous ces empires deviennent des détails tellement celui de Muad'Dib est immense, dont sa guerre sainte à causer des milliards de morts. La force de ce volet, c'est l'anti-manichéisme qu'on pouvait trouver dans Dune. Malgré les conquêtes spatiales et toutes ses conséquences perpétuées par le Jihad, le lecteur a de l'empathie pour Muad'Dib, il n'est ni bon ni méchant, il doit assumer sa position divine et parfois, Herbert le remet à sa place d'être humain. L'entourage de ce dernier est tout aussi intéressant : Stilgar, devenu son fidèle bras droit reste très conservateur dans sa manière de percevoir la justice et la loi. Alia, devenue plus grande et plus puissante (elle aussi à des visions prescientes) est à la fois une alliée pour son frère, mais aussi une menace. Les missionnaires du Qizarate vont régulièrement prier pour elle et sa puissance divine, chose qui la déplaît, tout autant que Paul. Les Fremens ont beaucoup changé et sont devenus difficiles à contrôler à cause de leur fanatisme qui n'est pas dans la droite lignée de la pensée du héros.

 

Duncan procure des passages émotionnellement fort, car il est constamment à la recherche de son propre passé. Il sent qu'il était quelqu'un de très apprécié auprès des Atréides, mais sa nouvelle personnalité le fait douter, il a comme deux êtres qui cohabitent en lui. Progressivement, il va réussir à redevenir Duncan et renverser sa destinée de tuer Paul qu'avaient instaurer les tleilax en lui. La relation qu'il crée avec Alia est également puissante, d'abord opposer dans leurs idéaux, ils vont s'aimer malgré cette distance des émotions, ouvrant le cœur de pierre de la jeune femme. L'autre relation amoureuse, c'est celle entre Chani et Paul, ils sont emprisonnés dans le destin fatal de Muad'Dib. Ils voudraient s'évader, vivre leur idylle loin de Dune, mais cela est insurmontable. Impossible pour Chani de donner naissance à un enfant (car Irulan empoissonne la concubine de Paul pour éviter que la lignée royale soit de son sang), mais finalement elle va réussir et donner naissance à des jumeaux, au prix de sa vie. Tout ce déterminisme propre à l'univers Dune procure cette douleur qui accompagne le protagoniste. Il sait que Chani va mourir si elle est enceinte et cela est inévitable.

 

L'alchimie entre les deux personnages est très belle, comme toutes les relations de Dune, distante, mais parfois une émotion se faufile dans les plaies ouvertes pour galvaniser des instants de bonheur fugaces. La mort de Chani est donc un passage très puissant lorsqu'elle crie « Usul » pendant que ce dernier contemple le désert infini de sa planète qu'il aime et déteste en même temps. Devenu aveugle à cause d'une attaque de Fremens qui ont trahi l'Empereur (et qui se feront exécuter à la fin.), c'est surtout par les sensations que l'auteur décrit l'état d'esprit du personnage même si ses visions prescientes ultras puissantes lui font voir facilement l'avenir dans ses moindres détails. Le stoïcisme fremen auquel il est est confronté — depuis maintenant une dizaine d'années — fait prendre conscience à Paul qu'il ne peut même plus pleurer. C'est là encore toute la force de ce deuxième tome, il est encore plus « dur » dans ses émotions, le désespoir est omniprésent, jusqu'à l'angoisse existentielle, procurant tout l'aspect tragique de l'histoire du livre. Encore une fois, il y a encore une aura très mythologique avec le fait qu'il devienne aveugle, qu'il sache que Chani va mourir, les conspirations qui l'entourent jusqu'au final qui expose enfin un espoir pour Paul. Duncan ne tue pas Paul, ce dernier ne sent plus ses pouvoirs prescients et il est donc sujet à être abandonné dans le désert (les Fremens abandonnent normalement les personnes avec des handicaps, car ils sont comme des boulets) et ses deux enfants sont vivants. Le dernier obstacle est celui de Scytale — qui propose un marché, avoir toutes les parts de la CHOM contre la vie de Chani et de la faire ressusciter — mais il se fait finalement tuer de la main de l'Empereur, car ce dernier réussit à voir à travers les yeux des nouveau-nés. Quant à la Révérende mère et le Navigateur, ils se sont fait condamner et Irulan accepte la responsabilité de vivre pour les enfants de Muad'Dib. Malgré la tristesse de ses compagnons, Paul s'éloigne dans le désert, car il n'a plus de responsabilité, il est enfin libéré de ses chaînes. En même temps, il assoit son pouvoir mystérieux et stimule un halo encore plus divin auprès de tout l'univers.


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