[Critique] Les Enfants de Dune (1976)


Le troisième volet de la saga Dune prend place neuf années après la fin des événements du Messie de Dune. Les jumeaux Leto et Ghanima ont bien grandi et sont protégés par le vieux naib Stilgar qui regrette le passé et les coutumes traditionnelles de sa planète, Alia contrôle Dune en utilisant la peur et devient paranoïaque, mais elle répond également aux inquiétudes de l'Abomination des Bene Gesserit en se faisant contrôler l'esprit par Vladimir Harkonenn, un vieux prêcheur — qui serait peut-être Paul lui-même — critique la déviation néfaste de la religion de Muad'Dib, la maison Corrino de Salusa Sucundus veut renouer avec sa gloire d'antan, à l'aide du jeune prince Farad'n, Jessica (redevenue une Bene Gesserit) et Gurney sont de retour sur Dune pour enquêter, mais surtout la planète est devenue ce qu'à toujours voulu Liet-Kynes, une planète remplit de verdure et de courant d'eau. Le désert est toujours présent, mais son impact s'est amoindri et il est moins vénéré par la nouvelle génération Fremen qui ne respecte plus les codes anciens du distille et de l'eau. Le nouvel écosystème de la planète risque également de faire disparaître tous les vers des sables, l'être essentiel pour accroître l'Épice et donc donner toute la puissance habituelle d'Arrakis dans l'Univers. En bref, Herbert exploite à merveille son œuvre, l'enrichit et pose de nouvelles problématiques. Pour les grands fans du premier volet, ce troisième tome ne peut que plaire, car il renoue avec son état d'esprit.

 

En effet, Les Enfants de Dune contient tous les ingrédients de la quête initiatique, comme Paul dans le premier tome, Leto-fils doit parcourir un chemin fait d'obstacles et se transcende pour devenir ce qu'il doit être et sauver sa planète des griffes d'une politique totalitaire et d'une extinction de l'espèce humaine. L'œuvre s'élève grâce à une nouvelle facette encore jamais vue auparavant, car Dune est devenue un jardin. Le livre jongle aussi avec une autre planète, Salusa Selunda (déjà vu brièvement dans le premier tome). C'est l'occasion également d'y voir des nouveaux visages comme déjà cité plus auparavant : Farad'n, le prince de la planète, mais aussi son bras droit Tyekanik ou sa mère Wensicia, fille de l'ancien Empereur Padishah IV et soeur d'Irulan, resté auprès des jumeaux et d'Alia. Le jeune homme se confronte contre son gré à un complot dans lequel il est utilisé. Les Sardaukars surentraînent des tigres pour les envoyer sur Dune et assassiner les jumeaux Atréides pour que le jeune Prince prenne le pouvoir. Les animaux sont d'ailleurs un bel exemple de la richesse qui submerge ce tome. À plusieurs reprises, des bêtes sont décrites en train de boire au bord d'un ruisseau, d'autres en train de voler, mais aussi plusieurs descriptions sont faites sur les truites des sables. Des poissons importants dans l'écosystème de Dune et faisant partie intégrante du cycle des vers des sables. Le roman contient du renouveau dans sa façon d'être plus ample, ainsi d'autres sietchs sont inventés sous la plume d'Herbert comme le légendaire Jacurutu, lieu que doit atteindre dans une quête difficile le jeune Leto pour poursuivre le chemin du Sentier d'Or (le chemin de la sauvegarde de l'humanité).

 

Si Les Enfants de Dune rejoint plus l'esprit du premier Dune, il garde également tout l'ésotérisme et le mysticisme profond du Messie. Le poids du temps se fait ressentir, l'aventure du jeune prodige Paul est maintenant bien loin. Ce sont les jumeaux qui reprennent le flambeau et quel charisme pour ces deux personnages âgés seulement de neuf ans. L'héritage laissé par le père est puissant et lourd de sens, les deux enfants sont submergés par les souvenirs innombrables des générations du passé pesant sur leur conscience. L'alchimie entre les deux est parfaite, un attachement profond se construit pour eux, mais en même temps une distance — comme toujours dans Dune — se tient entre le lecteur et les protagonistes. Car si, ils passent pour les héros et les sauveurs, en particulier Leto, ils sont tout autant nuancés que les autres visages de ce monde. De par leur intelligence supérieure, leur sens inné de la rhétorique et les grandes connaissances qu'ils ont du passé, ils sont parfois imbus d'eux-mêmes et n'hésitent pas à être épineux avec autrui. En même temps, ils grandissent auprès de personnes qui concoctent sans cesse des plans pour eux et autour d'eux, c'est pourquoi Les Enfants de Dune contient également cet aspect stratagème et complexité politique de ses ainées. Le récit englobe sans cesse des plans dans des plans, des entortillements alambiqués entre ce que veulent faire les personnages et ce qu'ils veulent, et cela est parfois difficile d'accès. Il vaut mieux bien savoir sa grammaire de Dune pour suivre sans encombre l'histoire.

 

Heureusement que le livre ne reste pas constamment cloîtré dans l'introspection systématique — même si cela reste l'essence du livre d'Herbert — et se libère un peu de ce joug pour nous confronter à des expéditions. Tout le trajet de Leto est passionnant, sa fuite avec Ghanima et le combat épique contre les deux tigres, la séparation douloureuse entre les jumeaux, sa façon de survivre dans le désert, sa découverte de Jacurutu après s'être fait capturer par Namri (un Fremen contrebandier), son passage à la trans d'épice puis sa nouvelle fuite pour devenir un être surnaturel et extatique, tous ces éléments font de ce volet un mélange savoureux entre le premier et le deuxième volet. Le parcours de Leto permet à Herbert de se lâcher totalement dans un lyrisme splendide, le meilleur passage pour moi reste celui de la trans d'épice que Gurney (envoyé par Jessica) et Namri force à faire au jeune garçon pour qu'il puisse avoir des visions presciences très puissantes — tout comme son père — pour voir l'avenir. Ce sont des extraits très métaphysiques, hallucinatoires et totalement aériens qui permettent à Leto de comprendre ce qu'il doit faire : fuir et se transformer en fusionnant avec les truites des sables pour advenir à l'immortalité. Leto reste alors le personnage fortement clé de ce tome, mais les autres personnages sont tout autant passionnants.

 

J'ai déjà évoqué Ghanima, mais la chose supplémentaire à dire sur elle, est la façon dont elle est traitée discrètement par l'auteur. Elle aime son frère plus que tout, mais elle sera toujours en dessous de ce dernier. Il est plus fort et plus puissant, Ghanima est clairement inférieure et sa dernière phrase qui conclut le livre résume parfaitement cet éclairage. Alia, quant à elle, est sûrement le personnage le plus tragique, dès le premier Dune, le lecteur sait qu'elle est une menace et que son Abomination la domine. Elle est exécrable, mais elle est aussi fatalement torturée par la conscience de son grand-père qui a pris le pas en elle, car cette dernière ne peut éviter l'inévitable. Son suicide à la fin met en évidence magistralement l'impuissance de son entourage et d'elle-même, mais laisse un présage d'humanité chez la jeune femme, qui fait ce choix peut-être par altruisme et sacrifice. Sa relation, auparavant, avec Duncan est également d'une grande mélancolie. Devenu un Mentat de grande qualité, l'ancien ghola aime Alia, mais ne peut rien faire face au destin fatal de son épouse, l'obligeant à comploter contre elle. Herbert démontre une grande sensibilité de l'homme, n'hésitant pas à l'exposer à une tristesse profonde. Cette sensibilité se fracture dans toutes les relations familiales possibles. Les jumeaux détestent leur tante, mais elle aussi, Jessica se met à comploter contre sa propre fille, car elle n'a pas le choix, Duncan ne veut plus suivre le plan de Jessica, car trop influencer par les préceptes du Gesserit, Stilgar hésite à tuer les jumeaux, mais veut les protéger en même temps, ce dernier assassine d'ailleurs Duncan sur un coup de rage (mais voulu par le ghola pour que le naib puisse accomplir le plan contre Alia), Farad'n ne veut pas faire partie du plan de sa mère et se fait donc éduquer par Jessica pour finalement devenir le scribe de Leto, etc.

 

Si j'énumère tous ces faits, c'est pour mieux faire comprendre la difficulté des conflits, toutes les nuances construites par Herbert pour divulguer les nombreuses querelles au sein d'un Empire qui transite. Enfin, si on peut parler d'un dernier protagoniste important, c'est le Prêcheur. Très mystérieux, les vérités qu'il déclare, subjuguent toute la population et le lecteur comprend qu'il est réellement : Paul Muad'Dib. Le héros du passé devenu un Dieu, n'est plus que l'ombre de lui-même et vagabonde dans le désert pour faire naître la détestation face au fanatisme de la propre religion qu'il a instauré sans le vouloir. La rencontre avec son fils est très belle, car beaucoup dans les non-dits et l'espacement entre les deux individus. Leto ne veut pas faire les mêmes erreurs que son père et ce propos est l'un des plus beaux du livre. Cet être déchu, détruit par le temps et le désert, emprisonné longtemps par ses visions prescientes, n'est plus le jeune adolescent de Caladan. Face à son fils, il n'est plus rien et c'est bien Leto qui ira guider Dune pour changer son destin : en bien ou en mal ? Telle est la question, mais sûrement ni l'un ni l'autre, car l'ambiguïté est le maître-mot de ce chef d'œuvre de la science-fiction.


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