Yang Edward
The Terrorizers (1986)
Considéré comme le grand premier film postermoderniste, The Terrorizers parle de quatre histoires simultanées (un mariage qui se dissout entre une romancière et un médecin, un jeune photographe ayant perdu sa muse, une marginale qui survit difficilement) mais connectées entre elles. Yang épouse un récit complexe qui ne distingue jamais la réalité, de l'imagination ou du fantasme. La représentation spatiale des lieux est déstabilisée car les espaces entre eux ne sont jamais clairs, le lien des plans entre eux est indéterminé et la connexion entre les personnages est disjointe et morcelée. De ce fait, le cinéaste expose une radiographie d'une ville en mutation extraordinaire, une modernité où l'Homme perd ses repères, il est aliéné par la technologie et ses rapports avec autrui n'existent plus qu'à distance car il est immobilisé et isolé. Si les personnages se rencontrent s'est seulement par accident et non par causalité, et cela parvient à montrer les effets de la technologie et de la fragmentation de ce puzzle qui ne justifie jamais ses changements. Par conséquent, le métrage de Yang détermine à quel point l'espace urbain hyper-mondialisé exerce une pression traumatique sur l'individu.
A Brighter Summer Day (1991)
En pleine période de La Terreur Blanche, Yang embrasse une fresque impressionniste (intime et sociale) qui prend en charge les arcanes de la mémoire d'un pays. L'œuvre est vaste et en même temps lisible grâce à une maîtrise dense de son montage. On circule aisément entre les situations, les histoires, les lieux de plusieurs bandes qui s'affrontent. À travers Xiao Si'r, tiraillé entre sa bande et son amour assez vague pour une collégienne, le film prend en compte toute l'influence de la contre-culture américaine et l'héritage japonais. Comment un adolescent peut s'initier et s'élever à grandir au milieu d'une société jamais épargnée ? Ce grand roman cinématographique de formation fait découvrir les passions, les amours et les incertitudes d'un jeune garçon au sein d'une vie faite de violence et de douceur. L'œuvre prend le temps d'écouter, de regarder et de rentrer en empathie avec toute cette jeunesse qui tente de trouver une voie d'émancipation parmi son immaturité, ses rites de passage et ses aspirations. Les nuits, les clairs-obscurs, la tiédeur estivale, le tact de la distance prit avec les sujets, donne à voir un sentiment mélancolique sur l'existence frémissante mais cruelle de l'adolescence.
Young Terence
James Bond 007 contre Dr. No (1962)
Young est celui ayant façonné les fétiches de Bond et qui a introduit un Sean Connery au virilisme décontracté, à la nonchalance séduisante et la classe brute. Il est plus animal et insolent que son opposant, Dr. No, dont la sophistication délicate et le machiavélisme courtois colle à sa mégalomanie hiératique et fait naître cette attraction-répulsion que ressent Bond auprès des antagonistes. Cette première mission se déroule sous le soleil et les couleurs chatoyantes de la Jamaïque, baignée par un exotisme et une évasion glamour. Un doux érotisme qui se retrouve dans l’onirisme délicat de l’ambiance, comme la femme botticellienne sortant de l’eau alors que Bond dormait sur le sable fin de Crab Key, un fantasme faisant écho aux zones d’ombre du héros : les Bond girls. Les décors hybrides entre le raffinement haut-de-gamme lustré à la Stenberg, la boiserie ouvragée et la S-F d'exploitation, participe à cette bizarrerie décadente mais élégante. Avec une lenteur savoureuse et un suspense feutré dans ce milieu à l'hostilité paradisiaque, le cinéaste côtoie le polar avec une mise en scène sèche et un rythme de croisière linéaire, tout en faisant un écho à la réalité avec la crise atomique de l'époque.
Bons Baisers de Russie (1963)
Le plus hitchcockien des James Bond, qui suit le courant de La Mort aux trousses et de sa fuite en avant. Comme Hitchcock, le cinéaste joue avec le fait que l'espion ne voit jamais qu'il est surveillé (par Red Grant, une ombre physique mais silencieuse et Rosa Klebb, une russe fourbement sadique, deux agents du SPECTRE) dans un schéma plus labyrinthique et confus où les bons et les mauvais se confondent. À l'image du pré-générique inquiétant (le premier dans la franchise) où un faux Bond se voit tué et démasqué, une réponse à ce monde désorienté fait de double et de masques en pleine Guerre Froide que l'auteur ausculte pour démonter les duperies. Regardé par tous, James, lui, garde son identité dans cet esprit plus carte postale, l'homme va à Istanbul avec ses basiliques et ses mosquées, dans l'Orient Express avec un rythme qui privilégie le temps du trajet et la simultanéité des vitesses, se fait poursuivre par un hélicoptère puis en hors-bord avant de conclure à Venise. L'action est plus bagarreuse et rebondissante, le film prend parfois les proportions d'un western (le gun fight dans le camp des tziganes) mais aussi se donne, avec finesse, dans un ton plus sombrement voyeuriste.
Opération Tonnerre (1965)
Dans son ouverture, Opération Tonnerre nous dupe en jouant sur des macabres canulars (le cercueil avec les initiales « JB », le méchant déguisé en triste veuve…). Dès lors, Young instaure une complaisante célébration de la mort que l’on retrouvera dans l’univers. En revenant également à la réalisation, il nous fait voir l’œuvre en apnée dans des mondes parallèles et obscurs comme le château en ouverture, la clinique, le siège caché de SPECTRE et évidemment le fond des océans, car le film se déroule principalement aux Bahamas où des bombes atomiques ont été volés par SPECTRE. Cet opus mêle le charme coloré de Dr. No, la violence sèche de Bon Baisers de Russie et la fantaisie dynamique de Goldfinger. Cela lui donne l’air d’un blockbuster généreux et décomplexé, naviguant entre deux mondes, celui des vivants et des morts, celui de la surface et des profondeurs sous-marines (avec une guerre subaquatique finale dantesque). Les motifs du mensonge, de la dissimulation et de l’hypocrisie sont poussés, surtout que l’épicurisme de Bond (encore plus désinvolte et enjôleur, mais aussi plus brutal) se lie avec l’urgence d’une situation cataclysmique et par conséquent avec une action plus pétadérante.
Soleil Rouge (1971)
Le plaisir de ce western multiculturel se trouve dans cette rencontre improbable entre Bronson, Delon et Mifune. C'est un film qui par son récit fait penser à un western spaghetti (le dandy élégant impitoyable et sans pitié pourchassé par un cowboy plus sale, mais ayant un code d'honneur plus respectable) mais aussi par sa violence cinglante, l'aridité suintante des décors et son univers sauvage et grossier. Pourtant la réalisation s'inscrit plus dans le sillage d'un classicisme hollywoodien. On peut y voir aussi un road-movie avec un sentiment de buddy-movie, car en effet deux cultures et deux états d'esprits radicalement différents doivent coopérer. L'Occident Bronson avec son insolence rustre et l'Oriental Mifune avec son code d'honneur et sa sagesse. Un beau choc des cultures haut-en-couleur entre autres, mêlant avec adresse western et chanbara.
Cosa Nostra (1972)
Souvent comparé avec Le Parrain, car sorti la même année, Cosa Nostra est l'un des premiers films traitant de la Mafia américaine et de sa dénonciation à travers la vie réelle de Joe Valachi (auquel on doit les preuves concrètes d'une existante Mafia dans le pays). Un criminel repenti qui dévoile les secrets de sa collaboration avec la Mafia après son arrestation. L'histoire racontée sous forme de flashback se tient par une réalisation d'un classicisme efficace qui dépeint l'ascension et les différentes périodes que le personnage traverse. Loin du lyrisme majestueux de Coppola, Young préfère la froideur documentée et le réalisme brut pour illustrer les codes du milieu, sans vraiment s'attarder sur le contexte politique. La plongée dans l'environnement est donc franche et montrée sans œillères, tout comme la violence qui est sèchement sanglante. L'œuvre vise une dureté sans séduction, et machine alors parfaitement l'opposition entre la stature puissante de Bronson (en homme un peu gauche et vulnérable) et le charisme imposant de Ventura. Parfaitement calibré et d'une sobriété taciturne, Cosa Nostra a le mérite de dévoiler sans fioritures la fatalité vers laquelle la vie mafieuse amène : les barreaux ou la mort.
Yuan Qing
3 aventures de Brooke (2020)
On pourrait résumer le film à un mélange entre Hong Sang-soo et Rohmer pour sa façon d’exposer sobrement le quotidien d’une jeune femme, sa narration en trois récits parallèles à partir du même événement ou encore ses longues plages verbales existentielles. Qu’importe, Qing Yuan apporte une vraie beauté solennelle sur le destin des rencontres, un goût mystérieux pour le hasard et un profond regard sur la valeur de la vie. Un beau moment étoilé conclut cette première œuvre d’une belle discrétion et de continence.
Yuen Woo-ping
Drunken Master (1978)
Drunken Master est la représentation type du kung-fu comedy, qui a certes les petits défauts d’une série B au budget très restreint, mais c’est un film se regardant avec une distraction attrayante. Sa générosité dans les combats et son rythme sans temps mort procurent une fantaisie se liant avec le parcours initiatique du personnage turbulent joué par Jackie Chan. En effet, son apprentissage auprès d’un maître chinois qui utilise l’alcool comme technique de combat, est fait d’élévation et de chute. Chaque fois qu’il pense être le meilleur, son ego prend un coup quand il tombe sur un combattant plus fort que lui. Il doit donc apprendre pour devenir plus fort, et cela, dans des entraînements de plus en plus exigeants. Un rapport sadomasochiste s’entame entre le spectateur et le comédien, car ce dernier met (déjà) son corps à rude épreuve et le mélange entre sa souffrance et la comédie procure un plaisir coupable attractif, tout comme le fait de le voir faire des combines pour esquiver ses entraînements. La forme burlesque fonctionne bien et se mêle avec la réalisation, le montage et les chorégraphies, parfois trop débordante, mais énergique de Yuen.
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