C


Cameron James

Titanic (1997)

Au-delà de ses records et de sa réputation dithyrambique, Titanic est une œuvre colossale qui sur un peu plus de trois heures, nous fait voir la fin d’un monde. Le plus célèbre des bateaux, est la métaphore d'un lieu-monde où se côtoient toutes les classes sociales et les ambitions technologiques propres au XIXème siècle et qui éclatent dans ce naufrage à l’aube de la Grande Guerre. Au milieu de ce grand thème, Cameron réalise une fresque mélodramatique, digne des superproductions de l’âge d’or hollywoodien. Il déploie un souffle romanesque dans cette relation idéaliste entre une jeune bourgeoise aristocrate et un artiste pauvre mais rêveur. Ce dernier devient le symbole de l’émancipation de la jeune femme qui était vouée à vivre un avenir uniquement matériel et sans amour. Ainsi, l’évolution du bateau suit l’état mental de Rose, dont le parcours initiatique devient un parcours du combattant et de survie. Le film fait un contraste apocalyptique, passant d’un paradis majestueux à une catastrophe tragique et infernal dont le réalisateur capte toute la démesure. Il ressuscite pendant un instant les souvenirs de ce navire devenu fantôme, pour l’immortaliser à tout jamais dans la légende.

Avatar (2009) (version longue)

Avatar est un western décolonial, une fresque épique et une épopée de science-fiction exotique qui nous engage progressivement dans un rêve où la matière n’est plus un poids, ni une contrainte. Cameron offre l’œuvre de passation entre le monde réel et un monde évacué de toute matérialité propre à notre existence pour déployer une expérience totale d’une vie numérique. Le choc entre le monde humain et de Pandora est la cohabitation, la dualité et le passage entre deux états : du physique à la métaphysique, de la matière à l’immatérielle et du réel au numérique. Œuvre donc d’un (ré)apprentissage sensitif et sensoriel, Avatar sublime par sa candeur, son énergie abondante, sa magnifique fluidité, son enchantement vertigineux, son souffle démesuré, son monde organique, son incroyable écosystème, sa luxuriante végétation ou encore son intense beauté. L’impulsion vitale du film invite le spectateur à explorer toutes les infinies potentialités de la planète et à passer dans une autre dimension pour s’extraire de son identité physique et trouver une seconde chance pour vivre.

Avatar : La Voie de l'eau (2022)

Par l’entremise des enfants de Jake et Neytiri, Cameron procure une nouvelle expérience du premier regard et d’une virginité totale sur la (re)découverte de Pandora. Pénétrant la dimension aquatique de la planète, l’auteur fait ressentir la clarté, le bouillonnement et la fluidité des traversées de la matière aqueuse, grâce aux procédés du HFR, le nouvel outil pour parvenir à ce bonheur originel et à ce dépaysement terrassant, mais aussi pour faire éprouver les sensations d’une nature primitive et d’un monde perdu. La question de la frontière est fondamentale dans le récit, elle sert à montrer les Sully dans un choc des cultures entre eux et les Metkayina, mais aussi les frontières des formes et des états (la question du transhumanisme et de l’affranchissement des gènes est prégnante) qui sont sans cesse redéfinies par la connexion permanente de la « voie de l’eau ». Toute l’esthétique se tient par une idée de rester à la surface ou de plonger dans l’eau, car c’est une histoire d’apprentissage, de transmission et de famille. Les personnages recherchent la position à tenir et assumer au sein de leur cercle, cherchent leur place en tant que membre et veulent retrouver une innocence pour la préserver contre l’altérité.


Caple Jr. Steven

Creed II (2018)

Creed II reste dans la continuité de la hantise et du passé, en nouant son récit autour de l’affiliation père-fils et mêlant la structure de Rocky III et IV. En effet, Adonis, devenu champion du monde, se voit confronter au fils d’Ivan Drago, Viktor. Alternant entre la vie brillante et romanesque d’Adonis et le quotidien dur et peu reluisant de Viktor, l’œuvre oppose un contraste intéressant, tout comme l’idée shakespearienne de la vengeance paternelle. Chacun essaie d’assumer l’héritage du père, Adonis tente définitivement d’assumer sa propre identité en se battant pour lui-même et Viktor combat pour laver l’honneur d’Ivan qui se sert de son fils pour retrouver sa dignité. Plus intimement, Adonis doit assumer son nouveau rôle de père et tente d’être un bon mari pour Bianca qui perd l’ouïe. Quant à Rocky, plus spectral que jamais, il tire sa révérence en aidant une dernière fois son fils de substitution et en renouant avec le plus important : son fils biologique. Toujours moderne et stylisée, mais plus aride et tourmenté, puis plus sec et rugueux dans ses combats, le film ouvre les personnages à une vulnérabilité qui s’éclore à cause de la colère, de l’arrogance, de la rancœur et de l’humiliation, pour retrouver une paix avec soi-même et ses aïeux.


Carpenter John

Assaut (1976)

Pris d'assaut par un groupe d'assaillant, un groupe formé par le hasard tente de survivre à l'intérieur d'un commissariat délaissé par la ville. Face à un ennemi insaisissable et non identifiable (un gang formé de plusieurs ethnies) pour les personnages, ces derniers ne connaîtront jamais leur motivation. Le "Mal" est donc à l'état pur, sans âme et s'apparente à un groupe de zombies déployé par vagues. Angoissant et oppressant, Carpenter joue avec l'espace clos de ce bâtiment délabré. L'attente et l'action sont les deux éléments qui régissent le mouvement des survivants, incarnés dans des conditions sociales différentes (un policier afro-américain, une secrétaire femme, deux prisonniers futurs condamnés à mort...). Ils doivent user de tout leur esprit et stratagème pour faire face à cet envahissement. Le spectateur est plongé dans un néant existentiel et cauchemardesque car au final, rien n'est résolu. Après avoir survie et dans un faux happy-end, tout le monde reprend sa route dans laquelle les personnages étaient destinés. De ce fait, Carpenter démontre que la violence de cette société est toujours présente et que les héros n'existeront jamais.

Le Roman d'Elvis (1979)

Plus un défi pour s'extraire du cinéma d'exploitation qu'un réel projet d'auteur, Le Roman d'Elvis est l'occasion pour Carpenter de se tester dans une commande télévisuelle. Le cinéaste dirige haut la main ce biopic dense sur Elvis Presley que Kurt Russel (leur première collaboration d'ailleurs) incarne avec une parfaite nuance mimétique. Le film donne du respect et rend hommage à sa légende, en gardant son mystère, sa mysticité et son charisme. On pense à cette belle image lorsque l'homme parle à son ombre, cette ombre qui représente le manque et le deuil traumatique d'un frère jumeau qu'il n'a pas pu connaître. L'œuvre découle sans écueil et avec un savoir-faire carré, son récit, il faut le dire académique, mais passionnant. Carpenter n'impose aucune patte particulière, il s'efface pour mieux laisser la place au rôle-titre, mais garde son goût pour critiquer les travers d'une Amérique étouffante, qui peut transformer ses artistes en produit de consommation que les gens s'arrachent. Quoi de mieux que le King, l'épicentre de la culture rock'n'roll, pour représenter la mythologie américaine et ce combat pour rester soi-même et garder son génie face aux démons de l'industrie.

Fog (1980)

Carpenter exploite la tradition du fantastique maritime en mettant en scène des marins fantômes qui pour le centième anniversaire d’Antonio Bay, viennent hanter et tuer la population pour récriminer contre un meurtre originel, celui sur lequel s’est bâtie la ville. Avec une lente progression, l’auteur installe une peur à partir des choses du quotidien, notamment par une astucieuse utilisation du brouillard pour dévoiler l’étendue d’une atmosphère spectrale. Il brise l’au-delà de l’horizon conquérant pour renvoyer les racines violentes, les secrets volontairement cachés et la culpabilité refoulée de cette petite ville tranquille. Ce Mal insaisissable était déjà présent, car il rongeait de l’intérieur la communauté (à voir les grands angles inquiétants de la ville et de ses alentours avant le brouillard) et donc le brouillard est là aussi pour révéler ce voile enfoui d’une mauvaise conscience collective. La plasticité de l’image créée alors une tension continue et pouvant être surgissante grâce à l’alternance entre le visible et l’invisible puis la lumière et l’extinction de celle-ci. Pour finir, la communauté se ressoude et peut faire lien face à cette contamination, certes défaite, mais qui va probablement revenir, car les fantômes réapparaissent toujours.

Prince des ténèbres (1987)

Avec cette histoire d’un Mal absolu, enfermé dans un liquide verdâtre, qui contamine un groupe d’étudiants scientifiques, Carpenter continue d’explorer la coexistence du monde vivant avec celui des morts. Dans un doute constant de savoir ce qui est vivant ou mort, le cinéaste fait de son œuvre un huis clos étouffant et hallucinatoire, un film de siège littéral qui interroge le lien entre science et religion. Deux manières différentes d’appréhender l’horreur, mais la même conclusion face aux monstruosités du Mal, à la fois représenté par les mathématiques et Satan. Prince des ténèbres est aussi un film sur la circulation du Mal à travers un groupe et comme souvent avec son pessimisme, l’auteur en montre sa dissolution face à cette épidémie vicieuse. Tout le monde se retrouve face à soi-même et à ses peurs dans un crescendo chaotique et fatal qui donne à voir des puissantes visions d’horreur ténébreuse et lovecraftienne. Jusqu’au bout, le cinéaste maintient une incertitude, comme l’expose l’idée des miroirs qui déforment la réalité dans laquelle sont les personnages qui se déshumanisent face au cauchemar de l’Anti-dieu et d’une dimension qui nous tire vers la terreur de notre inconscience.


Cassavetes John

Une femme sous influence (1974)

Chronique d’une mère névrosée, en proie à un malaise existentiel inexplicable, Cassavetes exerce une oeuvre sublime sur la dépression et son impact sur une famille de classe moyenne. Le cinéaste filme — à la fois proche de ses comédiens mais tout en étant éloigné pour laisser cette grande liberté de jeu — jusqu’à l’épuisement ce cocon familial traversant une infinie palette d’émotions. Film-portrait et familial, le metteur en scène interroge l’anxiété qui peut naître au sein du foyer domestique, un foyer obsédé par la quête de normalité comme le prouve Nick (Peter Falk est brillant) qui ignore la folie de sa femme puis tente de la sauver. L’alchimie incroyable du binôme forme une confusion de sentiments phénoménaux, du plus bel amour jusqu’à la pire des douleurs. Les cris, les pleurs, la paranoïa, la colère, l’affection, l’abandon, l’imprévisibilité ou encore le malheur sont au coeur d’Une femme sous influence et de Gena Rowlands, dans le rôle de sa vie.

Meurtre d'un bookmaker chinois (1976)

Dans cet antipolar radical, Cosmo Vitelli, patron d’un club de striptease minable voit son quotidien mal au point à cause d’une grosse dette de jeu. Harcelé par des mafieux, il est obligé de tuer une personnalité importante de la triade chinoise. Même s'il est aimé par ses streapteauses, cet homme contient un mal-être en lui et une profonde solitude. Ce personnage au parfum melvillien traverse le film telle une ombre et sous une pression silencieuse. Ce ton est accentué par une mise en scène aléatoire, intrusive et distante qui ne soulève aucun glamour. Rien n’est jamais exagéré ou stylisé, le cinéaste préfère exprimer la vérité des sentiments secrets et le désarroi de cet homme au destin scellé. L’espace sous la caméra de Cassavetes est totalement désorienté, elle enregistre aussi bien un club lugubre et replié, qu’un L.A. de jour et de nuit dénué de charme ainsi que les coups de feu qui amènent les derniers soupirs. Les visages sont scrutés, attristés par une vie craignos et peu clinquante mais « the show must go on », même avec une balle logée dans l’abdomen.


Cavalier Alain

Le Plein de super (1976)

C’est dans une chevrolet station-wagon que deux duos d’amis se retrouvent par hasard, deux parisiens et deux provinciaux à la relation houleuse qui va se transformer en une amitié complice. En réalisant un road-movie picaresque, l’auteur fait une chronique des années ’70 avec sa culture post mai-68, où les hommes essaient de trouver une place adéquate dans une société désordonnée. Le Plein de Super est une œuvre qui s’affranchit des normes de productions classiques pour mieux rentrer dans le vif, capter une réalité tangible et des morceaux purs de vies. Ces quatre hommes en conflit avec leur femme, divorcés ou fertiles s’évadent, recherchent un désir de vivre, avancent sur les autoroutes françaises et leur voyage devient un récit d’apprentissage sur la liberté. En filmant à portée de main, Cavalier saisit des passages délicats, des scènes burlesques et ironiques, parfois crues parfois intimes de cette équipe étrange et blagueuse. Il y a une certaine mélancolie roturière dans le récit de ces hommes mais aussi un pouvoir de vitalité chargé de dynamisme et de joie de vivre, faisant de ce métrage une œuvre singulièrement chaleureuse.


Chan Jackie

Police Story (1985)

Le corps élastique de Jackie Chan se développe admirablement bien dans cette comédie policière qui vacille entre pitreries périlleuses, action intense et scènes de ménage burlesque. En effet, le scénario ne propose rien d'innovant, mais l'inventivité très élaborée du cinéaste-acteur et de son tressage méticuleux de différents registres permet au spectateur de garder un œil attentif. Chan passe intelligemment d'une action explosive (la destruction en voiture pétadérante dans le bidonville), à des quiproquos savoureux (le triangle "amoureux" jouant sur la ringardise et le grotesque), à des hilarantes saynètes (la chorégraphie de jonglage téléphonique) ou encore des combats brutaux énervés (le centre commercial, point d'orgue où tous les éléments scéniques participent aux dégâts fracassant de ce palais de vitres). Il donne de son corps, comme s'il était un Buster Keaton dopé aux stéroïdes, tous les objets et recoins de l'espace et du décor contribuent au ballet titanesque de la star. Jouant sur les changements de tonalité (la fin est plus sérieuse et enflammée), le film joue aussi sur la figure du policier brave et héroïque, mais qui titube et garde le ridicule maladroit, propre au maître du déséquilibre.


Chazelle Damien

Babylon (2022)

Chazelle réalise une ample fresque colossale et décadente et tient son projet le plus titanesque en filmant le Hollywood sulfureux des années 20, son passage inévitable vers le parlant et les conséquences que cela induit sur ses acteurs. Le récit se concentre sur trois personnages, victime du succès où ils sont projetés sous la lumière éphémère de l'industrie puis digérés et rejetés dans l’ombre du système. Œuvre vive et dynamique, elle nous aspire dans l’immensité explosive et gargantuesque de l’époque et oscille volontairement entre la beauté et le vulgaire, le spectacle et l’horreur, la comédie et la tragédie jusqu’à une épuisante accumulation. À la manière d’un Fellini, l’auteur étale un dégoût excessif et cacophonique, mais aussi l’hystérie d’un milieu d’expurgation qui déborde de matières (excréments, alcools, drogues, sueur, sang, larmes) en nous montrant les coins les plus festifs et les plus sombres de l’enfer hollywoodien. Le contraste entre amour et haine, nostalgie et désenchantement créer une alliance d’euphorie et de désillusion permanente où les tournages deviennent une soif créative et une guerre d’ego sans merci, dévoilant un requiem final qui projette le futur pour saisir la pleine puissance du cinéma.


Chou Davy

Retour à Séoul (2022)

En réalisant un film sur une jeune femme coréenne, adoptée en France, qui retourne dans son pays natal pour retrouver ses parents biologiques, Davy Chou parle d’une jeunesse se sentant abandonnée qui recherche ses origines. Le personnage du cinéaste est volontairement antipathique et imprévisible, et Chou suit ses changements soudains d’état émotionnel. Retour à Séoul est construit en plusieurs parties avec un espace de plusieurs années entre elles où se maintient l’idée que ce personnage est difficilement cernable, elle veut retrouver ses racines, mais les repousse ensuite puis fini toujours par jeter les personnes qui l’entourent, et créer alors une distance froide entre elle et le spectateur. Le dispositif suit de façon stricte et rigide l’adaptation difficile de Freddie dans cette nouvelle culture pour elle intraduisible. Femme à la dérive, elle se renferme sur elle-même et peut être agressive et belliqueuse. Mais plus Freddie essaie de s’affirmer, plus l’auteur vitalise son récit par des fulgurances d’énergie immédiate et de poésie colorée pour traduire le tempérament impétueux et virevoltant du sujet. Au final, ce retour aux racines est amer, car il entrevoit que la possibilité de trouver son identité est une quête irrésolue et sans fin.


Christensen Benjamin

Häxan : La Sorcellerie à travers les âges (1922)

Fondateur de tout un pan du cinéma fantastique et horrifique, Häxan tient son originalité par son approche narrative et esthétique. Le film se veut comme un docu-fiction sur le sujet des sorcières, de son folklore et de la place qu’elles tenaient dans le passé. Construit en sept tableaux, la tonalité de l’œuvre est d’abord didactique et démonstrative. Au travers de gravures et de références, le cinéaste pointe les croyances d'antan, puis s’ensuit des vues en prise en réel qui illustrent les propos documentés. L'auteur dans ses visions les plus dingues, met en lumière ce monde cauchemardesque à travers des reconstituons fascinantes, dans la veine des tableaux de Bosch et de l’expressionnisme allemand, qui mêlent bestiaires glauques, rituels et danses macabres, fantasmes repoussants et sensuelles, foire diabolique et grotesque ou encore onirisme ombrageux. Plus l'œuvre avance plus les visions deviennent troublantes et occultes, tout en faisant l’état d’un fanatisme religieux et inquisiteur qui par une paranoïa naïve déployer des moyens tortueux et terrorisants pour persécuter les soi-disantes « sorcières ». 


Cimino Michael

Le Canardeur (1974)

Pour démarrer, Cimino offre un road-movie picaresque où deux générations se lient d'amitié. D'un côté, Thunderbolt, braqueur vieillissant, un gaillard taiseux mais classe, et de l'autre Lightfoot, un jeune homme frivole animé par une désinvolture naïve et un appel à l'aventure. L'œuvre prend un ton à la virilité comique très fordienne et une nonchalance voisinant avec le burlesque, mais aussi avec des touches mélancoliques, notamment par cette exposition nostalgique d'un monde et d'un mythe perdu, ceux des bandits qui se regroupent pour abreuver leur soif de richesse, mais surtout de liberté en traversant l'espace américain. Le cinéaste produit un regard moderne porté sur l'héritage des anciens et sur l'importance de l'identité américaine avec son idéalisation, ses paradoxes et ses blessures. C'est une ballade distrayante pleine de grandes respirations à la complétude harmonieuse mais aussi mouvementée et narrativement variée, renforçant la fraîcheur énergique de cette amitié touchante. Le goût anachronique propre à Cimino et son style volontairement en retard sont déjà là, comme pour mieux embrasser cette parenthèse enchantée finissant dans une morbide solitude élégiaque.

Voyage au bout de l'enfer (1978)

Cette vision amplement romanesque, faisant le constat blessé d'une communauté déchiré, au sein même de son foyer, par le destin de trois soldats partis vers l'horreur des conflits vietnamien, s'accomplit dans un puissant geste lyrique et bouleversant. Cimino déploie son récit en trois grandes parties, tel un grand opéra, qui nous intègre au cœur de cette collectivité d'une americana industrielle. Comme chez Ford ou Visconti, l'auteur, gère admirablement le souffle enthousiasmant des foules (la grande scène de mariage) mais ceci n'est qu'une parenthèse d'un présent déjà évaporé montrant des signes prémonitoires de la tragédie intime à venir. Car cette idéalisation se confronte à la brutalité de la guerre que le film capte brièvement, mais assez pour qu'elle soit éprouvante. De l'intensité insoutenable de la roulette russe, l'allégorie du suicide de la nation, à l'enfer des bas-fond dantesque de Saïgon où ce jeu morbide continue, la fêlure est trop profonde et le retour amer du chasseur de cerf (incroyable De Niro) en est plus qu'élégiaque. L'autarcie du groupe est brisée, mais Cimino garde de l'espoir pour préserver le mythe américain et son utopie au milieu de la majestuosité primitive de la nature et des montagnes.

Sunchaser (1996)

Jusqu’à la fin, Cimino aura saisi les fractures sociales de son pays. Ici, en filmant un road-movie initiatique sur deux hommes intrinsèquement opposés, deux constats d’une Amérique déchiré dans son essence. Le premier, un docteur bourgeois, archétype de l’individualiste capitaliste mais traumatisé par la mort de son frère. Le second, un jeune prisonnier violent d’origine indienne en phase terminale d’un cancer, qui va prendre en otage Michael et le forcer à l’emmener dans une montage sacrée navajos pour s’abreuver d’un lac soi-disant capable de guérir l’âme. Deux visions, deux façons de vivre différentes, qui vont d’abord se détester puis apprendre à se connaître dans une fable mystique très en mouvement qui est un éloge à la liberté, à l’aspiration spirituelle et l’union de deux classes différentes. Ce remake caché du Canardeur, touche par sa vision solaire d’une amitié qui fusionne pas à pas avec les origines utopiques d’une Amérique rêvée. Sunchaser tient un rythme soutenu pour mieux assouvir la soif de vivre d’un binôme ayant l’esprit en peine, pour l’un c’est une leçon d’existence, pour l’autre une mort atteinte dans un mirage devenant vrai pour qui veut le croire.


Clouse Robert

Opération Dragon (1973)

Opération Dragon est le film ayant starifié mondialement Bruce Lee avant sa mort. C’est aussi une très bonne série B mêlant le film d’arts martiaux, un canevas film d’espionnage très jamesbondien et le genre de la blaxploitation. Mais même dans ce mélange des genres assumé très seventies dans son esthétique, on peut y voir la synthèse du parcours personnel et intellectuel de Lee. Il montre et explique clairement sa philosophie de vie, son application totale du Jet kune do, sa maîtrise de l’espace et de ses mouvements gracieux, et sa façon d’incorporer une dimension sociale dans son récit. En effet, le fait de filmer la situation des habitants du port de Hong Kong pour comparer leur vie à celles des noirs américains, rejetés dans des ghettos puants, et comment le kung-fu devient un moyen de proximité communautaire pour affronter les formes d’autorité et de pouvoir, tout cela donne du fond à l’œuvre malgré son approche décomplexé et modeste. Enfin, l’ego de l’acteur est mis à profit, il tente de le briser symboliquement dans la scène des miroirs (qui cite La Dame de Shangaï) pour multiplier ses facettes et l’universalité de son propos en liant pop culture et profondeur d’un message philosophique.


Cocteau Jean

Orphée (1950)

Cocteau adapte sa propre pièce qui réinterprète le mythe originel d’Orphée dans une atmosphère qui cache continuellement un univers invisible où le merveilleux se loge dans le quotidien le plus réel. Passant du mythe, au fantastique et au subconscient, Orphée est le récit d’une destinée déjouée, celle d’un poète qui cherche le monde au-delà des apparences, un désir de traverser de l’autre côté du miroir (motif symbolique du vieillissement, servant de passage entre le monde des vivants et des morts), le tiraillant entre son désir de liberté et sa pulsion de Mort. Cocteau modèle le mythe en son temps et en sondant la psyché humaine, ainsi toutes les allégories et symboles sont représentés par des êtres de chair et de sang. C’est pourquoi l’amour est au centre de la vie, elle brise la fatalité de la mort et rend immortel le poète qui se voit aussi débloquer de son propre reflet égocentrique. L’inventivité de l’œuvre avec ses trucages astucieux à la Méliès permet de jouer avec un espace-temps malléable, de montrer la poésie comme un langage crypté, de faire voir un royaume d’ombre à l’expressionnisme étrange et investi de souvenirs en ruines puis de nous faire pénétrer dans une aventure onirique, surréaliste et intérieure.


Coen Joel et Ethan 

The Big Lebowski (1998)

Par le biais d’un faux polar, les frères Coen nous font jubiler dans une comédie qui prend le pouls givré de son époque. Jeff Bridges incarne la nonchalance pure à travers ce personnage du Dude, une sorte de Jésus à l’épicurisme radical, se retrouvant dans des péripéties à la loufoquerie ubuesque et insensée. Sorte de conte portant un fort humour noir, l’œuvre se suit comme une longue pérégrination labyrinthique qui aime s’éparpiller dans les quiproquos, les malentendus et la géographie de L.A. C’est une succession de rencontres décalée qui consolide des individus excentriques et créé un patchwork très jouissif. Le décalage provient aussi de l’oisiveté prospère et pacifique du personnage et de l’hystérie violente général qui l’entoure, mais aussi par la truculence du rythme qui par instants s’échappe dans des rêves surréalistes et des gags fantaisistes s’amusant avec l’idiotie et la bêtise des personnages. Les cinéastes sont parvenus à créer une mythologie déjantée, par leur force à créer des groupes et des communautés attachantes et en creusant le sillon du film noir (on pense au Grand Sommeil) avec ses fausses pistes pour nous investir dans le chemin de croix de ce Christ des années 1990.

O'Brother (2000)

O’Brother peut se résumer comme une épopée picaresque prenant comme schéma l’Odyssée et se trouvant en plein dans le moule de la Grande Dépression et de l’État profond du Mississippi. Les héros d’Homère sont remplacés par trois fantasques évadés qui croisent dans leur épopée des êtres loufoques, improbables ou monstrueux. Le film prend toute l’atmosphère propre au folklore du Deep South comme par exemple la musique gospel, blues ou country omniprésente, les personnages ou événements historiques (Baby Face Nelson, Tommy Johnson, le KKK…) croisant le chemin des personnages et toute l’iconographie qui accompagne de façon parodique cette époque. Notamment l’ouverture du film qui montre les « chain gang » et installe toute l’esthétique de l’œuvre avec sa photographie camaïeu volontairement décolorée et jaunâtre. Ce conte habile et mythologique des frères Coen fonctionne grâce à son humour débridé euphorisant et à son accumulation aléatoire d’événements à la fois cruels et pittoresques, permettant de nous procurer de l’affection pour cette bande un peu simplet, notamment un Clooney, entre classe et dérision, en Ulysse qui veut retrouver sa Penelope.


Cohen Grégory & Ott Manon

Narmada (2012) (court-métrage)

La première chose qui intéressait les deux cinéastes était de réaliser une enquête sur le mouvement social indien contre les barrages construits dans les vallées du fleuve Narmada. Le film fait l’état des lieux et interroge plusieurs personnes ayant été victime de ces monstres en béton qui ont causé de nombreuses inondations. Mais, les artistes ne se complaisent pas dans un documentaire simpliste car il expérimente autant visuellement que sonorement. Le film est une longue déambulation sensorielle sur le cours du fleuve au nom mythologique, l’image en super 8 ajoute une trace d’une expérience évanescente et mystérieuse. Ainsi, il n’hésite pas à aller vers l’abstraction et la poétique pour mieux témoigner d’un processus de développement qui emporte tout sur son passage. Le désert aquatique filmé forme une fascination hypnotique mais aussi une inquiétude notamment dans l’utilisation sonore donnant l'impression d'une dimension qui serait la voix de la nature et des êtres oubliés. Ott et Cohen interrogent la manière dont on habite un territoire en danger et forme l’objet dans un voyage sensible où coexiste lutte, conflit, nature et présence insaisissable.

De cendres et de braises (2019)

Manon Ott passe seule à la réalisation et fait une série de portraits des habitants des Mureaux, commune d’Île-de-France connue pour abriter les Usines Renault de Flins. La cinéaste concentre son regard surtout sur les cités dans un processus continuel d’aménagement, les bâtiments souvent détruits puis reconstruits représentent les failles d’un système technocrate qui en affligeant ce geste tente d’effacer le passé et l’histoire de ses habitants. Ce film-thèse, tourné en vidéo, sert à donner de l’importance à ces gens mais comme Narmada, cette œuvre ne se limite pas à un sobre documentaire militant car Ott donne de la chaire poétique à son constat. Le métrage baigne dans un noir et blanc satiné et déploie des arcs oniriques et fulgurants qui libèrent les imaginaires de ces territoires surreprésentés. L’ambiance quasi nocturne et free-jazz donne une volupté rêveuse et émancipent des paroles intimes de personnes cherchant à s’échapper par le prisme de la musique, de la nature (peu présente ici) ou du dialogue. Un film qui prend le temps d’exposer l’évolution de l’urbanité d’aujourd’hui et évoque la braise enfouie dans ces êtres prêts à se libérer de leurs racines sédentaires. 


Coogler Ryan

Creed (2015)

Creed est le passage de flambeau entre Rocky/Stallone et la nouvelle génération. Tout tourne autour de cet héritage, déjà par l’entremise d’Adonis Johnson, fils illégitime d’Apollo, qui veut se faire son propre nom, car trop hanté par l’ombre imposante de son père. Puis par la réalisation de Coogler apportant un modernisme virtuose et classieux qui réactualise le mythe de Rocky, en le mettant dans une veine plus contemporaine et hip-hop. Le film invoque des réminiscences de la saga, comme si on défilait dans un musée parallèle, mais sans s’appesantir dans la nostalgie. Plus dans la hantise et la colère d’un fils qui tente de contenir la douleur de l’absence d’un homme qu’il n’a pas connu, Creed est aussi une œuvre qui veut retenir la flamme légendaire de Rocky et lui rendre hommage malgré la volonté de le mettre en retrait pour accepter l’idée de transmission. La réalisation fluide et féline du cinéaste met en lumière cette ascension d’un être qui lutte pour édifier son propre destin. Le passage de relais se fait avec une élégance et une grâce où chacun aide l’autre à faire en sorte qu’il ne chute pas. C’est une histoire de dépassement de soi, sur le ring et dans la vie, et comme Adonis, l’auteur veut être à la hauteur de ses aînés. 


Cooper Merian C. & Schoedsack Ernest B.

King Kong (1933)

King Kong est un emblème mythique du 7e art s’inscrivant dans la tradition des romans d’aventures du XIXème siècle, entre Le Monde perdu de Doyle (et du film), l’imaginaire de Verne et les gravures de Doré, il est par contre originale car issu d’aucune adaptation. Il est une mise en abyme métaphorique sur le fantasme humain, celui de braver le mur de l’interdit et de l’inaccessible. Par l'idée d'un tournage fictif, les deux cinéastes confrontent ses explorateurs à une dimension antédiluvienne et majestueuse, ils accèdent à un autre monde fascinant où le réel est transgressé mais dangereux pour ces derniers. Grâce à son inventivité technique et son travail sur les échelles de plan, l’œuvre atteint l’apothéose de l’imagination pour réaliser ce spectacle bestial sur la huitième merveille du monde. Une merveille tragique étant le reflet d’une société en crise et des pulsions humaines. L’amour impossible entre la Belle et la Bête miroite dans une ambiguïté sexuelle, une frustration qui devient destructrice. Kong est une victime piégée d’une jungle technologique qui pointe la modernité de la civilisation et en même temps celle de ce film créant un nouveau mode d’expression.


Coppola Francis Ford

Les Gens de la pluie (1969)

Comme d'autres du Nouvel Hollywood, Coppola a fait ses premières armes dans le road-movie. L'œuvre est intimiste, mélancolique et prend le chemin hasardeux d'une femme, enfermée dans le carcan d'une future mère au foyer désemparée, qui décide de fuir sur la route des paysages américains pour trouver la liberté. L'auteur prend le temps de filmer la sensibilité solaire, mais amère de cette errance où une solitaire tourne en rond dans un monde en plein désarroi existentiel et dans une atmosphère contrastée entre tendresse cocasse et chronique sociale à la névrose maussade. Tout en rupture de ton discontinu, les flashbacks surgissent, recomposent le puzzle mémoriel et enchaînent le sujet dans sa culpabilité. Son rêve d’émancipation est impossible à cause de ce passé jaillissant sans cesse. Le voyage se fait à reculons, hanté par la présence invisible, mais lourde du mari, et un monde traversé d’hommes en qui elle voyait une échappatoire, mais qui sont traumatisés et seulement le miroir réflecteur de ses envies, ses fantasmes et ses peurs. Il n’y a que Jimmy, dont la mémoire manquante fait de lui un enfant naïf dans un corps d’homme, qui renvoie aux responsabilités de la future mère et pour qui il y a une raison de reculer.

Le Parrain (1972)

Le Parrain n’a pas volé son titre de monument car cette chronique dynastique témoigne d’une splendide perfection à tous les étages. La mise en scène opératique de Coppola, la photographie obscure et dorée de Willis, le montage étendu et alterné de Reynolds et Zinner, la musique aux variations obsédantes et funestes de Rota ou encore la distribution parfaite entre un Al Pacino qui connaitra son premier grand rôle et un Marlon Brando à l’apothéose de sa carrière. Les Corleone, cette famille ancrée dans les rites et qui ne dérobe jamais au respect des traditions, donne à voir une représentation du rêve américain mais dans la pénombre c’est la violence et le sang qui règnent. Coppola gère majestueusement ce contraste ambigu dans une narration complexe qui expose à la fois la fin d’un règne et d’une période d’un vieux mafieux respecté mais aussi l’ascension de son fils qui ne se destinait pas à être le Don, un fatum auquel il ne pourra échapper. C’est un grand plongeon dans les coulisses du crime et de son pouvoir qui mêle l’intime et le mythe, la loyauté et la trahison, la dignité et la lâcheté, l’ombre et la lumière. Une ample tragédie mortifère, réglée lyriquement au cordeau par un auteur hors norme.

Le Parrain : 2e Partie (1974)

Pour cette deuxième cathédrale du cinéma, Coppola exerce une fresque aussi bien imposante que romanesque. L’élément novateur qui densifie ce concerto tragique, c’est le récit en alternance entre le présent de Michael et la jeunesse passé de Vito. D’un côté, un homme glaçant devenu un monstre solitaire, qui voit s’échapper les traditions siciliennes et sa famille. De l’autre, un enfant qui immigre aux États-Unis au début du XXème siècle et monte progressivement dans la hiérarchie mafieuse, et devient un robin des bois de la rue et un modèle respecté paternaliste. Cette ampleur mémorielle sert à faire un contrepoint entre le déclin humain de Michael et la construction légendaire de Vito, deux sublimes trajectoires d’un miroir inversé. Maintenant, Michael n’est qu’un être qui tue de sang-froid pour tenter de maitriser un empire en pleine déliquescence. Il devient le reflet et l’héritier de la malédiction d’un rêve américain transformé en cauchemar capitaliste. Le cinéaste nous fait voyager dans les édifices du temps, des lieux originels et de l’Histoire pour révéler les secrets denses de deux époques, l’une dorée, l’autre noire, et répandre l’envergure d’un être qui porte difficilement le poids du pouvoir et du sang.

Coup de cœur (1982)

Avec Coup de coeur, Coppola se veut comme un précurseur du cinéma électronique* où il déploie toute sa mégalomanie. Il réalise un conte de fées flashy au milieu d’un lyrisme flamboyant et d’une magie rutilante en plein Las Vegas artificiel avec des décors démesurés, comme si le show bigger than life des Bunnies d’Apocalypse Now s’étirait à l’échelle du film entier. Il assume totalement les artifices d’une scène pensée comme un Broadway géant dans lequel s’écoule un mélodrame aux échappées imaginaires contenant en filigrane une réflexion sur les médias et les divertissements de masse. Sa fantasmagorie baroque et surfabriquée fait sens lorsqu’on voit la mutation médiatique de la télévision et de la publicité à cette période. Ce Las Vegas factice avec ses néons clinquants représente une Amérique confondant l’intime (le couple) et le monde (le spectacle) dont le cadre devient une vitrine dans laquelle le monde est décor. Les personnages veulent s’en sortir, aller ailleurs et changer de vie, mais ils ne rencontrent que leur reflet, leur image ou l’autre séparé par une paroi de verre. Un constat mélancolique célébrant autant la féerie enfantine du grand spectacle que sa vacuité, sa vulgarité, ses mirages et ses illusions. 

 

*En avance sur son temps, Coppola avait installé un dispositif permettant de visionner en direct les prises de vues sur des moniteurs afin de les comparer en live et d’anticiper la phase du montage sur ordinateur. Il a comme envisagé le processus de création dans sa totalité afin de rompre avec la succession classique des étapes de fabrication d’un film. Mais il a dû renoncer à son rêve de cinéma « en direct », car trop compliqué à mettre en place.

Rusty James (1983)

Rusty James est l’associé idéal de Outsiders pour sa vision mythologique d’une jeunesse américaine vivant dans une prison sociale aliénante et brutalisée par une société injustement violente. Mais cette œuvre se différencie par son onirisme expressionniste entre Welles et Cocteau, son côté errance urbaine stylisé à la Wenders et son teen movie arty (inspiré par l’univers motard) qui influencera l’esthétique MTV. Coppola réalise un songe éveillé et mélancolique sur la relation miroir de deux frères où le jeune idolâtre l’ainé et voudrait reprendre son héritage, tandis que ce dernier, devenu l’ombre de lui-même et qui attend son heure, tente de le détourner de ce destin futile. L’auteur montre qu’il expérimente sans cesse avec sa plasticité symbolique, chargé par un noir et blanc tranché engloutissant les illusions de ses sujets. L’auteur met aussi en évidence l’inexorable fuite du temps en traitant du poids de celui-ci, de la perte accéléré de l’innocence, et par le fait de vouloir trouver un sens à sa vie avant de mourir. Tout cela enveloppé par un spleen philosophique envoûtant posant aussi la question de l’héritage ambiguë des légendes et d’un idéal chimérique à dépasser pour pouvoir grandir.

 

Dans ce noir et blanc splendidement pur, aux ombres longues vaporeuses et aux clairs-obscurs fumeux, il y a un flash de couleur qui apparaît, celui du poisson-combattant, connu pour lutter contre son propre reflet, comme le personnage de Mickey Rourke. Ce dernier ne veut pas que son petit frère (joué par Matt Dillon) devienne comme lui, c’est-à-dire un être absent au monde, vidé de son âme et une légende spectrale et illusoire qui prépare sa longue disparition de ce monde. Avec sa mort, il libère son frère cadet de sa névrose et l’aide à se libérer de son reflet, lui qui n’a pu le faire.

Peggy Sue s'est mariée (1986)

Peggy Sue s'est mariée est une belle capsule temporelle dans laquelle le sujet (une quarantenaire en crise depuis son divorce, s'évanouit lorsqu'elle redevient "reine du bal" lors d'une réunion d'anciens élèves.) voyage dans le temps et retourne dans son adolescence. Dans cet espace-temps, se cache un refuge nostalgique qui permet à Coppola de rebâtir une mythologie retro avec un irréalisme intimiste et se fusionne avec fascination avec l'Amérique des années 1950, comme si le Hollywood des eighties était lié par le sang avec cette époque restaurée. L'auteur met en scène une comédie de remariage prenant le ton d'une rêverie fantaisiste et romantique à laquelle il instaure une tendre naïveté touchante pour mieux se projeter dans l'esprit émerveillé de Peggy Sue. Cette fable de réapprentissage, sous son apparence fantastique et bucolique, forme le sentiment mélancolique d'un temps perdu, de beaucoup de regrets, mais aussi d'une prise de conscience fataliste sur les origines du futur de la femme. Jouant sur les diverses possibilités de réécrire son passé, l'œuvre invite à la réconciliation avec son présent, à profiter de ce que la vie nous offre et surtout à l'acceptation d'un âge doré résolu.

Jardins de pierre (1987)

Le Jardins de pierre du titre est celui d’un cimetière sur lequel le film s’ouvre et se termine. Hommage rendu par l’armée américaine à un soldat mort au Vietnam, l’œuvre est hantée par les réminiscences de cette guerre sans jamais la montrer. En effet, nous sommes du côté de ceux qui sont restés au pays, les soldats d’opérette comme on les appelle. Ils sont les témoins impuissants face à l’absurdité de cette guerre inutile dont Coppola capte sobrement leur quotidien, entre rituels militaires répétitifs, tiraillement entre rester planqués au pays et le regret de ne pas combattre au front, et vie de famille. C’est une méditation à la fois funèbre et retenue sur les échos d’une guerre qui laisse une trace endeuillée à ce récit qui par sa mise en scène réorganise ce travail du deuil. Comment arrive-t-on à ces rites funéraires où les soldats sont utilisés comme des figurines à la gestuelle hiératiquement parfaite ? C’est à travers ce jeune idéaliste qui incarne une innocence sacrifiée que l’auteur répond à cette interrogation. Il filme des hommes et des femmes luttant pour des idées, mais surtout contre des blessures, des remords et une colère sourde, à l’image du cinéaste ayant perdu son fils sur ce tournage, un reflet forcément troublant.

Le Parrain : 3e Partie (1990)

Le Parrain III est le film de la rédemption, du pardon et de la confession introspective pour Michael, hanté par la charge de ses regrets et le poids du temps. La carapace qu’il s’était construite se dilate dans ce volet et il ouvre de nouveau son cœur qui s’était fermé depuis longtemps. Le personnage, prêt à passer le flambeau, retrouve une promiscuité intime avec sa famille dont la distance et l’exclusion étaient devenues l’étendard. Notamment par le biais de Kay, personnage fantôme qui réintègre la Famille. Le film contient une sensibilité poignante et mélancolique qui exprime la fatigue, l’affaiblissement et la lassitude de Michael. Plus funeste et crépusculaire que jamais, avec sa photographie d’une ocre orangée et feutrée et sa mise en scène impériale et viscontienne, l’œuvre, démontre toute la pourriture corrompue d’un système religieux (faisant le contre-point avec le rachat spirituel du personnage), la vanité du pouvoir et le faux-semblant des unions familiales amenant à une fatalité littéralement opératique. La mise en abyme finale entre le crescendo sanguinolent et l’opéra joué, apporte un tragique majestueux et une apothéose se terminant dans un cri muet resplendissant de douleur.


Corbijn Anton

Un homme très recherché (2014)

Sans spectaculaire et manichéisme, le film prend pour cadre la ville d’Hambourg où un clandestin soupçonné d’être un djihadiste est surveillé de loin et de près par une cellule antiterroriste, dirigé par un Philip Seymour Hoffman dans son dernier rôle et au jeu nuancé et fragile. L’œuvre suit une progression rigoureuse du récit et interroge un système qui suspecte sévèrement et déshumanise un homme voulant à la base seulement recommencer sa vie. Corbijn dépouille soigneusement, donne un cachet ambigu à ses personnages et forme en eux une forme d’humanité plus complexe contre d’autres sphères antiterroristes qui tirent réellement les ficelles. L’esprit automnal, le temps grisâtre et la façon qu’à le cinéaste de capter les lumières et l’architecture d’Hambourg forment une certaine pesanteur où la victoire n’est pas prêt d’être atteinte. L’œuvre manque un peu de force et de personnalité mais au moins elle témoigne d’une volonté de montrer le monde de l'espionnage de façon crédible ; et toutes les contradictions et les enjeux complexes d’une politique post-11/9 qui exerce une peur oppressive sur notre société.

Life (2015)

Loin d’être un biopic standard, le cinéaste s’intéresse à ce qu’il y a autour des célèbres photographies de James Dean, prise par Dennis Stock avant que le comédien ne devienne une légende. Il imagine les contours pour voir les différences entre la vie et la représentation que les photos font de lui. On peut également dire entre la réalité et le mythe, chose que l’auteur connaît grâce à son métier de portraitiste pour star. Le récit décortique sur un court temps (le temps du reportage-photo) l’énigme insaisissable qu’était James Dean avec un soin pour le détail et la reconstitution. Tout participe à ce décalage pour entreprendre ces clichés mythologiques, loin de la foule déchaînée d’Hollywood. Le réalisateur reste en périmètre de ce monde pour mieux saisir la vérité du mythe, et cela, dans une grande intimité qui permet de procurer une émotion très sensible lorsqu’on sait que les jours de Dean sont comptés. C’est un film avec une élégance, une grâce et un charme secret qui saisit la relation ambiguë d’un photographe et de son sujet, et qui sait prendre son temps pour dévoiler l’intériorité de ces deux hommes.


Corbucci Sergio

Le Grand Silence (1968)

Le Grand Silence se démarque des autres western spaghetti grâce à une mise en valeur d'un paysage original. En effet, le blanc monochrome, celui de la neige épaisse, domine les images de Corbucci où se côtoie des paysans devenus des hors-la-loi à cause de la famine, des chasseurs de primes gourmands de cadavres et un cow-boy muet mystérieux. Dans ce froid extrême, Corbucci oppose un duel physique entre deux géniaux acteurs (Trintignant et son charisme silencieux, Kinski et son calme d'un sadisme carnassier) mais aussi sur les pôles moraux du Bien et du Mal. Les mercenaires dépassent les limites en profitant de leur statut de tueur légal, le shérif est un guignol naïf, la justice est incapable de contrôler ses lois, les bandits sont les victimes et le héros pousse ses adversaires à tirer en premier pour être dans la légitime défense. Le constat très noir de l'ensemble fait un grand contraste et décalage avec son esthétique d'un blanc immaculé et rajoute du sel à la cruauté glaciale de ce western hivernal machiavélique et tranchant (avec des rares moments de poésie empathique). La fin en est le parfait reflet en renversant toute happy-end dans un massacre final barbare et époustouflant de nihilisme.


Corneau Alain

Police Python 357 (1976)

C’est dans une province humide faites de nuits et de brumes, que Corneau réalise son premier polar, genre orphelin depuis la mort de Melville. Tout en ayant ses inspirations américaines*, l’auteur inscrit pleinement son récit dans la réalité française à travers le récit de ce flic seul, taciturne, mécanique et aux méthodes peu orthodoxes, qui se retrouve à enquêter sur un meurtre dont il est, sans le vouloir, le principal suspect. Comme il le fera dans Série noire, l'auteur filme une France glauque et périphérique, coincée entre des HLM déshumanisés et les tristes quais orléanais. Il questionne un pays embourbé dans ses contradictions, ses non-dits, sa corruption et dans un confort bourgeois impur qui étouffe ses propres crimes pour protéger ses privilèges. Les personnages vivent dans un bas-monde anxiogène, chacun vit dans une prison symbolique qui l’attache à celui ou celle qu’il aime et par une fatalité ésotérique. Montand en faux coupable hitchcockien, victime du destin, chute longuement et se désagrège dans une enquête se refermant sur lui. En quête d'identité, il devient un automate désenchanté d’une intrigue retors auquel le réalisateur prêtre une solide technique entre pessimisme noir et éclair de violence. 

 

*On pense à l’héritage de Melville pour le personnage reclus, ayant une vie austère, méthodique, organisée, mais qui la voit déréglée par une femme. Puis également pour la façon qu'a Corneau de transposer la mythologie du film noir américain en l’intégrant dans la froideur européenne du monde moderne. Mais on pense aussi à L’Inspecteur Harry avec le rapport fétichiste avec l’arme du personnage, son côté vigilant et électron libre puis sa façon d’être réfractaire à la communication et au travail d’équipe.

 

Autre analyse intéressante est le rôle pivot de Simone Signoret en femme handicapée du commissaire qui voit tout et sait tout, mais assiste à ses horreurs sans pouvoir intervenir, impuissante par rapport à ses tromperies, mais prêtre à tout pour sauver son foyer. On pense évidemment à sa relation avec Montand, connu pour être un coureur de jupons, mais avec qui elle restera malgré tout.

La Menace (1977)

Comme dans Police Python 357, Corneau s’attache à organiser dans une mécanique rigoureuse et captivante le destin d’un faux coupable, mais en inversant le schéma classique du film policier, car cette fois l’homme s’accuse lui-même d’un meurtre qu’il n’a pas commis afin de disculper la femme qu’il l’aime. Le cinéaste pousse à bout les possibilités d’une intrigue tortueuse dans une structure circulaire et imprévisible. En effet, cela débute comme un thriller hitchcockien en pleine province hexagonale avant de continuer au Canada pour devenir un film d’action percutant et nerveux à la sécheresse siegelienne. Précis, efficace et minutieusement orchestré, Le Menace est un aussi un film très langien, car le personnage (Montand en personnage miroir du précédent film) est pris au piège d’un destin scellé, d’une perte de soi culpabilisante, d’un processus autodestructeur tragique et d’une justice dysfonctionnelle. L’œuvre prime sur un mouvement constant et un labyrinthe aux formes sphériques pour davantage jouer sur les contrastes et le broiement du sujet, passant d’une vision des vestiges du passé de la France à une rupture brusque vers le fantasme cinématographique des grands espaces sauvages américains.

Série noire (1979)

Le chef d'œuvre du cinéaste, dans lequel il explore les méandres et la poisse existentielle d’un déplorable démarcheur à la fois beau parleur et mal marié, qui devient assassin pour un magot. Le cinéaste nous fait dériver dans les confins les plus glauques, miséreux et obscurs d’une France bétonné avec ses pavillons lépreux, ses banlieues aux terrains vagues mornes, son hiver sinistre et son atmosphère désespérée. L’influence du Nouvel Hollywood est propice dans le style de l’auteur, se trouvant à la fois dans une forme de réalisme authentique et d’un nihilisme poétique qui épouse la détresse la plus noire de son sujet. Ce dernier s’enlise dans un cauchemar claustrophobe qui donne à voir un monde civilisé tentant d’oublier la morosité de son quotidien dans une variété de pacotille. L’écriture roc et solide, teinté d’une ironie sordide, appuie sur la fatalité et la folie vertigineuse de son personnage, possédé magistralement par Dewaere avec sa fébrilité cathartique et son déséquilibre mental. Croisant le chemin de cinglés et de tarés, il le devient tout autant et bascule dans une accumulation aliénante et démente dès plus abjecte. Tout cela pour un rêve d’amour et d’argent qui ne signifie plus rien dans ce monde puéril.


Cosmatos George Pan

Rambo II : La Mission (1985)

C'est bien connu, Rambo II renie tout le message du premier volet pour promouvoir une idéologie ultra patriotique avec un récit de vengeance contre les Vietnamiens qui ont encore en leur possession des prisonniers de guerre américains. Le héros est dans ce film un dieu de la guerre et un conservateur pur et dur, symbole apologique de la toute-puissance Amérique qui veut démonter ses démons (les bureaucrates lâches, la défaite contre les sales Viêts, les méchants Soviets, entre autres). Un pur objet de propagande manichéen donc, mais qui contient une rigueur allant toujours à l'essentiel. La mise en scène rudement solide de Cosmatos donne un sens du spectacle explosif et d'une candeur excessive, entre actioner musclé à la parfaite lisibilité et film d'aventures classique dans une jungle suante (le lieu du trauma devient un terrain de jeu hostile). Iconisant sans cesse le corps sculpté et les accessoires de Rambo, il devient le fantasme d'une vision guerrière antique, prenant alors une dimension mythologique. Outre son message neuneu, le film a iconisé à tout jamais le personnage et imposé un modèle d'action efficacement redoutable dans le système, pour le meilleur et pour le pire.

Cobra (1986)

Sur le toit d’Hollywood, Stallone continue de produire et de jouer les héros too much, comme le prouve, une nouvelle fois, cette incarnation d’un flic badass qu’on appelle pour les situations d’urgence extrême. Cobra est un dérivé du Flic de Beverly Hills que Sly n’a finalement pas tourné, la comédie policière tourne alors en polar pur et dur, un hard-boiled qui singe le vigilant movie Dirty Harry. Mais l’œuvre est intéressante, car elle cristallise tous les essais de Stallone pour rester au top, quitte à dépasser les limites de la frime et des excès kitschs. Pourtant, les expérimentations de Cosmatos sont intéressantes pour filmer la déliquescence urbaine et l’ultra violence de sa criminalité. Le cinéaste multiple le décadrage des angles, surexploite les courtes focales, joue avec les jump-cuts et utilise des lumières agressives pour instaurer un malaise sombre, glauque et suintant, pas loin du slasher. De plus, même s’il justifie sa violence, le personnage est un antidote venimeux, il se révèle autant sociopathe que les psychopathes qu’il poursuit, ses démonstrations de force deviennent un précepte de vie qui enlève l’humanisme habituel de Sly (l'homme de la rue devient un Terminator antisocial) et en montre toute sa décadence.


Costa-Gavras

Un homme de trop (1967)

Sorte de western maquisard, Un homme de trop, au travers d’une réalisation acharnée, musclée et sèche, met en scène un groupe de résistants au milieu d'une forêt aride bataillant contre l'ennemi. Dans celui-ci, se trouve un intrus qui personnifie la question centrale de l’oeuvre : Est-il possible de ne pas choisir un camp en temps de guerre ? Peut-on rester neutre ? Ce personnage incarne une période où la traitrise était perçue comme irréversible, qu'importe si au final l'homme est sincère, il reste un traite aux yeux de tous, car il ne prend pas position. Ainsi, la méfiance autour de lui embrasse également toute la nuance des oppositions diverses pendant le conflit*. Sinon le film se tient par une forte ingéniosité spatiale qui renvoie régulièrement au piège enfermé dans lequel se trouve la troupe. Son efficacité et son rythme nerveux nous font rentrer directement dans le bain physique et spectaculaire d’une action authentique. La tension est donc de mise, notamment dans sa façon d’exposer toutes les décisions complexes à prendre, le mouvement omniprésent des soldats, les imprévus à gérer, les émotions changeantes des résistants ou encore les victimes inévitables de cette guerre aux divergences ambiguës.

 

*Le cinéaste réussi le pari de ne pas être manichéen grâce à sa galerie variée : les résistants implacables et sans pitié, les résistants justes et sensibles, les résistants qui se posent trop de questions, l'homme de trop fuyard et dont la sincérité est insaisissable, les jeunes miliciens collabos, les nazis (avec des Français directement leur camp), etc.

L'Aveu (1970)

L’Aveu est un film-dossier politiquement brûlant sur l'injustice d'un ministre tchèque, victime des purges staliniennes, forcé à avouer un acte qu'il n'a pas commis. Une façon pour Gavras, mais aussi les comédiens de montrer leur désillusion face à un parti auquel ils croyaient. En témoignant de ce fait réel, l'auteur fait un réquisitoire d'une poignante efficacité dans lequel Montand interprète, avec une fébrile dignité, un homme, brutalisé par des interrogatoires musclés et au fond du désespoir. Sorte de huis clos kafkaïen, les décors exigus appuient sur l’enfermement anxiogène et claustrophobe du héros, surtout que le cinéaste joue avec la cassure et la brisure dans son montage, à l'image des interruptions et ordres constamment imposés à Arthur. Ce dernier est pris à la gorge face à cette torture physique et mentale, car ce montage tout en rupture donne une perte des repères spatio-temporels, rentrant en adéquation avec l'état d'esprit du protagoniste dont les souvenirs se mêlent à des images d’archives et au point de vue de sa femme. Une manière d'exposer le ré-agencement de la mécanique mémorielle, et de montrer comment le conscient et l'inconscient peuvent se mêler sous l'effet de la torture.

Section spéciale (1975)

Costa-Gavras s’éloigne de la fiction s’inspirant du réel pour reconstituer de façon minutieuse un événement historique ayant été longtemps réprimé par le régime de Vichy. En 1941, le régime créa un tribunal spécial après que Pétain ait voté une loi d’exception rétroactive pour juger six prisonniers français et les condamner à mort afin de contenter les désirs nazis, car un assassinat contre un de leurs officiers fut perpétré par des militants communistes introuvables. Avec une approche très documentée, le cinéaste déroule point par point le blasphème fait aux principes fondamentaux de la justice française. Mais au lieu d’avoir une approche distante ou documentaire (avec une forme de naturalisme tout de même), l’auteur fait un portrait satirique sur la bouffonnerie et la lâcheté de ces différents magistrats qui se soumettent à l’infamie de cette loi. Le film prend la dimension d’une farce funèbre et d’un spectacle de marionnettes grotesques qui se moquent de cette mascarade surréaliste pourtant bien réelle. En même temps, le réalisateur montre les quelques figures héroïques s’étant opposées en vain et surtout les victimes où leur propre crime fut exagéré afin de convenir aux besoins de cette honteuse pantomime.

Missing (1982)

Missing est un film-dossier, mais aussi une radiographie et un témoignage historique sur le coup d’État chilien de Pinochet en 1973. À travers le récit d’une femme, qui, avec l’aide de son beau-père, recherche intensément son mari disparu, le cinéaste réalise une quête sur la vérité. Il fait de son film une imposante enquête où le rapport de se documenter, d’interroger, de reconstituer fidèlement les mauvais traitements commis par la justice devient essentiel. Le silence, le mensonge et la désinformation vont de bon train, comme le suggère l’État américain qui nie tout de l’affaire de ces assassinats cachés. Costa-Gavras dénonce aussi les méthodes autocratique qu’utilisent une dictature pour instaurer la terreur afin de soumettre sa population. L’horreur est alors omniprésente, souvent en hors champs et suggéré par le son, mais aussi exposé frontalement de façon terriblement neutre, d'où l'immersion de l’oeuvre, sobre et implacable, et de son atmosphère de peur constante. La force allégorique du récit est aussi celui d’un conflit des générations entre la jeune femme et l’homme plus âgé*. Mais dans l’opposition du début, la relation se transforme intimement et sensiblement en persévérance, en compréhension et douleur commune.

 

*La première est une progressiste idéaliste tandis que le second est un conservateur chrétien, ne croyant pas aux ingérences de la politique extérieure de son pays. En effet, les États-Unis ont aidé à monter le putsch de Pinochet et sachant que les deux personnages sont américains, pour le second qui n'est pas un militant comme la femme, c'est une totale désillusion lui faisant comprendre les complots possibles de son pays. Cela est appuyé par le tourment kafkaïen dans lequel il se trouve en allant de bureaux, en prisons et hôpitaux pour retrouver son fils, car il entrevoit les horreurs commises. 


Costa Pedro

Vitalina Varela (2019)

Ce nouveau portrait à la dimension obscure est celui de Vitalina, une cap-verdienne allant au Portugal pour voir son mari qui a abandonné sa femme vingt-cinq ans plus tôt. Mais il est trop tard, l'homme est déjà mort, laissant une profonde douleur funeste au personnage. Costa réalise un film entre deux mondes : celui des vivants et des morts. Vitalina vacille entre les deux, constate un monde ruiné faîte de précarité, de tôle et de murs brisés. Le monde est consumé par les ténèbres et fait écho à l'abandon perpétuel et l'amour perdu de la femme. Entre colère et douceur, tristesse et rancœur, elle dégage une beauté gracieusement imposante, au milieu de ces quelques lumières qui se distillent dans les contrastes de la pénombre. Le corps marqué par le travail et le temps de Vitalina étouffe avec une apaisante lenteur dans cette cage de béton silencieuse où des silhouettes fantomatiques errent avec peine dans les étroits passages des corridors. Dans cette incursion éreintante, elle retourne dans ses souvenirs rayonnants, prête à sortir vers le jour et à se (re)construire telle une maison, après avoir sondé les abysses miséreux de la nuit. Un éclat plein de justice contre l'oublie de sa présence.


Cukor George

Indiscrétions (1940)

Cukor, le cinéaste des femmes, analyse dans une fine comédie le cas de Tracy : une bourgeoise interprétée par la classieuse Hepburn, qui, deux années après un divorce avec Dexter se remarie avec un richissime patron d’usine mais son ancien mari revient à la charge en s’invitant au mariage avec un reportage pour Spy, un magazine à scandale. C. Grant et J. Stewart gravitent autour de la belle femme statuaire, au caractère froid et impénétrable. Le cinéaste casse alors progressivement cette carapace dans un jeu malin de chassé-croisé, de ping-pongs dialogués et d'une habilité élégante dans le changement de registre. Avec son sens inné de l’observation, Cukor, réalise une satire moqueuse de la haute aristocratie et de la presse dans une ribouldingue luxueuse entre sa grande propriété, ses smokings et robes, son champagne et sa piscine. Mais il reste dans une morale bienveillante sur ses personnages très fantaisistes qui font tomber les masques et cassent leurs habitudes de classe pour développer un nouvel ordre de plaisir plus récréatif et plus humain. Indiscrétions est un film plein de folie joyeuse mais dénonce en même temps un monde rigide et intolérant avec la faiblesse humaine.


Cuarón Alfonso

Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban (2004)

Cuarón donne plus de maturité par rapport aux deux volets précédents et exerce un style visuel très moderne. Son goût pour une mise en scène en plan-séquence soit en caméra portée soit qui s’affranchit des limites physiques donne à l’œuvre une élégance aérienne et limpide. De même, la nouvelle maturité se trouve aussi dans l’agrandissement des espaces avec ces paysages très landes écossaises, l’atmosphère ténébreuse et gothique avec son jeu d’ombre et de lumière ou encore ses créatures très nocturnes mais toute cette technicité n’est pas là pour faire seulement jolie. Le film impose une belle thématique, celle du début de l’adolescence et tout ce que cela en engendre : puberté, isolement, crise identitaire, affrontement de ses peurs… L’auteur sculpte une œuvre-métaphore, joue de sa réalisation pour donner sens entre son jeu de reflets qui renvoie à la double nature des personnages et son jeu du temps (l’horloge, le changement de saisons, le voyage dans le temps et sa focalisation interne/externe…) pour soutenir l’idée d’un Harry qui grandit devant nos yeux. Ainsi, Le Prisonnier d’Azkaban prouve qu’on peut avoir une patte singulière dans ce type de production ayant un gros cahier des charges.

Les Fils de l'homme (2006)

Avec son style documentaire et hyperréaliste de reporter de guerre, la caméra-journalistique de Cuarón ne lâche jamais le point de vue de Théo, un homme catapulté dans un univers dystopique où la stérilité coupe toute évolution à l’humanité et la fait courir à sa perte. Mais un seul espoir peut changer les choses, une femme enceinte que Théo doit emmener en lieu sûr pour sauver l’humanité. En exprimant toutes les angoisses de notre siècle, sociale et politique, le cinéaste marque au fer blanc l’impact des dérives d’une société polluée, chaotique, envahi par les médias et les publicités propagandistes, le fanatisme religieux et une fausse démocratie devenue tyrannique et xénophobe. La virtuosité des plan-séquences parfaire à une immersion globale et époustouflante dans un cadre très vivant. La traversée christique des personnages est travaillée par une esthétique décolorée pour mieux imprégner les abîmes d’un Londres futuriste en déclin jusqu’à un no man’s land en guerre donnant le reflet des pays moyens-orientalistes. Anxiogène, tout en se libérant de Théo, la caméra témoigne à mettre ce qu’elle veut en avant, ainsi Les Fils de l’homme est un tableau puissant d'anticipation sur notre monde.

Gravity (2013)

Avec Gravity, Cuarón offre une expérience sensitive très poussée et plonge le spectateur dans la réalité palpable de l'espace en la mêlant avec un survival au suspense suffocant. Le film nous fait ressentir les profondeurs immenses du vide, les accélérations acérées des débris, la perte des repères (plus de haut ou bas, de gauche ou droite), la vitesse d'inertie ou comment les personnages subissent les lois de l'espace et s'empressent pour survivre. Les sujets se confrontent à un gouffre et désordre infernal de trajectoires, chaque nouveau déplacement devient un nouveau problème géométrique spatial. Tout ce sujet de devoir s'accrocher pour résister à l'engouffrement dans l'espace exerce métaphoriquement l'idée de se cramponner à la vie, résister à la matière pour ne pas s'abandonner à l'anti-matière. La valeur symbolique appuie sur la conception de se détacher de son cordon ombilical, de l'agripper ou de le relâcher et être dans le dépassement de soi pour renaître. Et dans cette ambiance d'étouffement et d'hostilité, l'auteur livre des passages hypnotisants où la plénitude du temps et du silence dévoile la transformation d'une femme, passant de la mort à la vie.


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