K


Kaufman Philip 

L'Étoffe des héros (1983)

Kaufman exalte avec prouesse seize années de conquête spatiale : du premier mur du son dépassé à l’envoi des sept premiers astronautes américains dans l’espace. L’auteur met au profit les codes du western mais dans une sensibilité moderne : les chevaux sont remplacés par les avions et les fusées, les frontières terrestres par les frontières spatiales, et les pionniers de l’Ouest par les pilotes et astronautes. Cette épopée-fresque met en exergue un groupe très hawkiens (entraide, humour, solidarité, divergence, amitié virile…) qui affronte dans leur course vers les étoiles, les industries politiques et médiatiques qui ne pensent qu’au profit, au combat de pouvoir contre l’URSS et à la bonne image de leur nation. Un mélange d’images d’archives, de vols à haute vitesse et de reconstitution authentique d’une époque assemble cette œuvre d’exploration où se lie grande et petite Histoire. Sans fil rouge direct, le film préfère s’attarder sur la vie intime des chasseurs du ciel avec leurs épouses, leurs entrainements militaires et l’émerveillement lyrique de la découverte spatiale. Une œuvre qui met en avant autant le doute, la contradiction, la folie et le courage de ces rêveurs épiques et cosmiques.


Kaurismäki Aki

Ariel (1988)

Ce très court film porte l’histoire de Taisto, un mineur de campagne, décidé à partir pour Helsinki après la fermeture de son lieu de travail et le suicide de son père. Kaurismäki ne s’étale pas sur la dramatisation, il désactive sans cesse la gravité des situations et donne un cachet ironique dès l’introduction. Le film vadrouille dans un road movie lunaire et évolue vers des genres détournés : du réalisme social au drame policier avec ses codes américains. De là, le cinéaste expose plusieurs situations dans cette analyse du monde prolétaire : conséquence du chômage, agression par des truands, pauvreté, homme sans logement, injustice qui pousse à la criminalité, prison, braquage… Seul la rencontre avec une mère divorcée motive le personnage à trouver une solution pour fuir, fuir d’un pays aux horizons fermés qui ne veut pas de lui. C’est pourquoi le titre du film renvoie au bateau clandestin dans lequel l’homme et sa famille reconstituée vont se jeter pour migrer et trouver le bonheur autre part, expression directe d’une volonté d’échappatoire. Malgré la noirceur de l’œuvre, elle reste dans un esprit sarcastique, tout en étant moderne et pointilleuse dans son classicisme.

La Fille aux allumettes (1990)

Pour son deuxième film sur le « prolétariat », l’auteur finlandais réalise un conte social s’inspirant librement de l’œuvre quasi éponyme d’Andersen. Iris, jeune femme à la vie monotone et répétitive comme les machines de fabrication d’allumettes ouvrant le film, est la martyre de ses parents qui attendent d’elle l’argent qu’elle gagne dans son usine. Le long-métrage est très mutique et rigoureux dans son montage, à la manière d’un Bresson, Kaurismäki va à l’essentielle dans les gestes, les dialogues et le statisme de sa mise en scène. Cette dernière correspond à l’atmosphère austère et isolée des décors même si l’esprit « rock » du monsieur s’écoule dans les séquences de bars à jukebox. Iris telle une princesse fait tout pour trouver son prince charmant et le bonheur mais la société finlandaise et même mondiale (à voir toutes les navrantes infos TV appuyant le pessimisme universel de l’œuvre) renverse constamment ses idéaux. Ses parents et l’homme de son enfant dont elle doit avorter se retournent contre elle et transforme le récit en quête vengeresse et froide. Sans pathos et avec inflexibilité, le cinéaste renforce la déprimante pauvreté d’un milieu duquel il est difficile de s’échapper.

La Vie de bohème (1992)

Kaurismäki transpose un roman du XIXème siècle dans une atmosphère contemporaine à travers une esthétique poétique et un noir et blanc intentionnellement daté pour donner ce parfum d’un cinéma d’avant-guerre. De ce fait, le décalage entre passé et présent va dans le sens des personnages bohèmes que le cinéaste filme avec humanisme et une douce mélancolie. Marcel un écrivain lunaire, Rodolfo un peintre albanais stoïque mais attachant et Schaunard, un musicien aux sentiments grandiloquents. Leur façon de vivre, leur langage littéraire et leur vision de la vie qui n’ont rien à voir avec une pensée moderne amènent un humour poétique à ce film au ton libre et dérisoire. Les artistes vivent dans la précarité, se font de l’argent très modestement avec leur talent et même dans l’inconfort, ils réussissent à rester solidaire malgré l’amitié pudique qui les unit. La philosophie kaurismakienne veut qu’on reste digne même dans le manque matériel et même si le futur est sans horizon. En utilisant la figure du bohémien, le réalisateur parle de la difficulté de survivre en tant qu’artiste mais montre que quand la richesse spirituelle et amoureuse est présente, la vie vaut d’être vécu.

Au loin s'en vont les nuages (1996)

Au loin s’en vont les nuages a tout pour être un film morne, par son sujet traitant de la précarité et du chômage. Mais il n’en est rien car Kaurismaki insuffle un optimisme plein d’espoir mais qui ne cache en rien toutes les souffrances de ce couple se retrouvant du jour au lendemain sans travail. Le cinéaste dégraisse tout le pathos possible, donne un ton décalé et comique au jeu bressonien de ses comédiens et observe en même temps les préoccupations d’une société contemporaine qui licencie avec une grande violence. Lauri et Ilona restent dignes et intègres, se relèvent toujours même quand leurs corps tombent et chacun de leur côté essaie de gérer comme ils peuvent les blessures de leur pauvreté grandissante. L’homme se noie dans l’alcool et fait ressurgir son égo’ pendant qu’il essuie refus sur refus tandis que la femme pleure de devoir passer d’un métier de maître d’hôtel à un métier de serveuse. Mais, cette fable sur la solidarité fait ouvrir des perspectives en l’avenir dans ce petit monde mélancoliquement hopperien et coloré. Un monde où l’on ne se plaint jamais et avance comme chez un Ozu, car la lumière se cache toujours derrières les nuages.

L'Homme sans passé (2002)

Kaurismaki arrive toujours à réinventer son propre cinéma qui est pourtant constamment un hymne aux exclus et à leurs conditions de vie. Dans L’Homme sans passé, le cinéaste montre un homme qui en devenant amnésique repart de zéro et refait sa vie. En cela, il se confronte aux difficultés et incohérences de la société qui ne l’aide pas à retrouver sa dignité. Comment se nourrir, se loger et travailler normalement quand nous n’avons plus d’identité ? L’entraide est la solution à ce problème, une entraide donnée par une famille vivant dans des bidonvilles portuaires et par l’amour naissant d’une femme qui travaille pour l’Armée du Salut. Comme à l’accoutumée, pas de misérabilisme mais plutôt de la cocasserie et de l’humour pince-sans-rire dans ce burlesque chaplinesque qui jongle parfois entre le film musical et la comédie italienne. La communauté bric-à-brac des conteneurs dans lequel vit le personnage, donne des airs de blues et de folklore prolétaire puis ses confrontations absurdes avec les gens de la ville, fait de ce film une fable irréelle mais toujours consciente des problèmes de son pays ne pouvant se résoudre que par le partage, la générosité et la solidité des valeurs populaires. 


Kershner Irvin 

Star Wars : Épisode V - L'Empire contre-attaque (1980)

Suite mémorable aux innombrables scènes cultes, L’Empire contre-attaque prend le contrepied de l’épisode précédent en séparant le groupe dans une aventure plus sombre. Comme son prédécesseur, j’ai un amour fou pour cette suite plus dynamique, mouvementé, ombrageuse et surtout tragique. Le désert neigeux de Hoth, le combat contre le Yéti, la bataille contre les TB-TT, l’initiation de Luke auprès de Yoda et ses visions cauchemardesques sur la planète marécageuse de Dagobah, la course effrénée du Faucon Millenium, la congélation de Han Solo, les cris déchirants de Chewbacca et le « je t’aime » de Leïa, le combat épique entre Luke et Vador puis le « Je suis ton père »… Tout me fascine, la beauté des personnages s’élève avec leurs faiblesses, leurs non-dits, leurs silences, leurs frustrations, leurs ambiguïtés… Une multitude d’émotions qui garde un bel esprit de récit initiatique et ancre encore plus la mythologie de Star Wars.


Kiarostami Abbas

Où est la maison de mon ami ? (1987)

La quête très touchante de ce petit garçon est dépouillée fructueusement par un rythme limpide s’exerçant sur des effets de répétitions, une urgence du temps entrelacer dans un calme imperturbable et un réalisme dérivant vers une atmosphère chimérique. Ce petit être remplit d’obstination et de courage fait face à un monde adulte qui ne l’écoute pas, ignorant et moralisateur, seul un vieux philosophe et des garçons de son âge aident comme ils le peuvent. À hauteur d’enfant, Kiarostami filme avec maniérisme les allers-retours du gamin d’un village à l’autre composé par les escaliers, les portes et les fenêtres confuses de ces maisons toutes identiques ainsi que les chemins sinueux de la forêt et des collines qui construisent le parcours messianique du personnage. Cette traversée atteint son paroxysme dans une déambulation magique dans les petites rues obscures de ces hameaux iraniens, baignés par le clair-obscur des lampadaires et la pénombre lunaire où souffle le vent de la vie. Une œuvre très poétique faisant office de parabole universelle sur le hasard des rencontres, l'amitié, les obstacles de la vie et la beauté honnête de cette enfance qui n’attend rien en retour.

Et la vie continue (1992)

1990, un tremblement de terre dévaste le nord de l’Iran dont Koker, le village où se déroule le récit de Où est la maison de mon ami ?. Cet événement fait revenir Kiarostami et son alter ego, l’homme qui joue « le réalisateur » sur les lieux du tournage pour retrouver le petit acteur de l’opus précédent. Cette ambivalence entre le réel et la fiction fait acte de témoignage d’une catastrophe véridique, d’abord vu sous les yeux-spectateur de l’homme et de son fils dans un long périple en voiture puis en contemplant à pied les ruines de plusieurs maisons encore debout trois années auparavant. C’est avec une profonde distance et sans pathos que Kiarostami révèle la force d’une population qui réinvente leur quotidien, s’adapte à leur nouvelle vie et accepte le sort des victimes du séisme. Le long-métrage est aussi une œuvre sur la recherche, celle à travers des longs détours et des rencontres qui démontre la volonté d’un homme à trouver son objectif, même s’il faut (re)gravir les routes sinueuses et fortement inclinées des longs paysages montagneux de l’Iran. Le cinéaste expose l’évidence du monde mais incite à voir la beauté au-delà des ruines, pour trouver l’espoir d’un lendemain enchanteur.


Kontchalovski Andreï

Tango & Cash (1989)

Surfant sur la vague de L’Arme fatale, Stallone tente de changer son image d’héros mâle alpha et guerrier en habitant un flic élégant et riche, en binôme avec un Kurt Russel sanguin et explosif. L’œuvre est propre au actioner viriliste des années 1980 mais vacille surtout entre le buddy-movie et le polar violent dans un ton bien comique et plein d’autodérision. En effet, l’ambiguïté homosexuelle, les punchlines constantes et Stallone qui se moque de ses personnages cultes, donnent au film une ambiance sans sérieux, tout le contraire de la volonté de Kontchalovski, remplacé au pied levé par Albert Magnoli. Ainsi, Tango & Cash se suit sans déplaisir et reste efficace, certaines trouvailles esthétiques sont bien trouvées comme toutes les séquences en prison dans laquelle Tango et Cash sont injustement envoyés, la mise en scène exploite toute la crasse du lieu, les souterrains secrets, les lumières évasives ou encore la pluie diluvienne ressortant les corps herculéens du duo lors de leur fuite. Mais, reste que le film n’est pas marquant malgré la bonne alchimie des deux stars car la précipitation finale du récit donne un goût déséquilibré à cette œuvre gentiment crétine.

Michel-Ange (2019)

Un anti-biopic qui n’est pas là pour glorifier un homme mais un génie artistique mégalo’, cupide, menteur et parfois lâche. Avec son visage cramoisi et son air bestial, Michel-Ange est tiraillé par les commandes successives des puissantes familles de la Renaissance italienne qui utilisent le talent de l’artiste à des fins orgueilleuses ou politiques. Kontchalovski réalise une œuvre monumentale, une grande métaphore sur le labeur artistique, à l’image du déplacement de l’énorme bloc de marbre que seul un fou comme Michel-Ange peut faire transporter, mettant en péril la vie de ses ouvriers. Une séquence vertigineuse comme celle de la cloche dans Andreï Roublev et dont les similitudes thématiques sont nombreuses. Cette démesure artistique concorde avec l’état d’esprit de l’homme essayant de révéler la beauté de ce monde encrassé par une matérialité dégoutante, avare et charnelle d'une Toscane reconstituée sublimement. Reconstitution détaillée et précise ainsi que transcendée par une esthétique picturale autant illuminée que ténébreuse, baignée par des visions gracieuses et cauchemardesques d’un artiste-divin qui poussé par un désir créatif infini est prêt à tout pour donner vie à son art.

 

Kontchalovski exorcise toute la démesure d’un artiste ayant marqué à jamais l’Histoire. Il ne prend pas la facilité en racontant classiquement la vie de Michel-Ange car il préfère exploiter la branche mentale d’un homme tiraillé entre son art et les puissances politiques de son époque. Du réalisme au divin, il n’y a qu’un pas, ainsi le film ronge jusqu’à l’os le génie torturé d’un homme orgueilleux et individualiste, un créateur puissant cherchant sans cesse la beauté dans la crasse et le vice. Une œuvre somptueuse autant physique que sacrée. (Annotation bonus)


Korine Harmony

Trash Humpers (2009)

Ode au vandalisme et à la créativité de la force destructrice, Korine met en images quatre personnes (dont lui-même) masqués en vieillard qui errent dans les rues isolées de Nashville. Ils couchent avec des poubelles et des poteaux électriques, cassent tout ce qu’ils peuvent, assassinent, chantent, etc. Trash Humpers est totalement libre dans sa narration, proche du docu-fiction qui se délivre de tous codes cinématographiques pour créer une œuvre drôle, « débile », glauque et dérangeante. Filmé à partir de villes bandes VHS usagés, l’image est crade, sale et souillée dans un montage totalement désordonné, créant ainsi une espèce de « home video » sur une Amérique délaissé et pavillonnaire. C’est aussi l’image d’un pays qui s’ennuie et se lâche avec ces êtres aux masques dérangeant et leurs rencontres avec des paumés qui galvanisent une atmosphère brisée et loufoque mais surtout un discours désinvolte. La forme esthétique s’émancipe totalement et stimule cet esprit libertaire à adopter mais contraste également avec l’ambiance perturbante du film. Foncièrement transgressif, ce mauvais rêve rigolo pénètre l’âme du spectateur pour l’emporter dans une poésie cinématographique sordide.


Kosinski Joseph

Top Gun : Maverick (2022)

Largement supérieur à son prédécesseur, Top Gun : Maverick est un film captant de manière tangible toute la puissance, la nervosité et le danger des vols célestes dans lesquels Tom Cruise laisse entrevoir toute sa persona, celle d’un homme voulant toujours aller plus haut et celle d’une anomalie dans le système. La question de l’héritage, du passage de flambeau et de la filiation est au cœur de l’œuvre et pose cette interrogation : comment les figures hollywoodiennes survivent ou meurent dans le temps ? L’acteur-producteur est là pour faire ce témoignage, montrer qu’il est toujours présent et aussi fort, malgré la jeunesse flamboyante qui l’entoure et le vieillissement d’une ère disparue. Ceci se fait heureusement avec une certaine mélancolie et un rapport sensible à la mort, tout en gardant un fil conducteur spectaculaire, mais dont le dernier acte, plutôt convenu, estompe légèrement le souffle saisissant qui précédait cette mission finale.


Kubrick Stanley

Day of the Fight (1951) (court-métrage)

Le premier court-métrage de Kubrick est à propos d’une journée sur un boxeur professionnel du nom de Walter Cartier. D’abord photographe, le cinéaste avait déjà réalisé un reportage photo intitulé The Prizefighter pour le magazine Look sur ce même boxeur. L’idée de ce film est donc de faire la même chose, mais sous la forme d’un documentaire audiovisuel. Le film est distancié, notamment par le biais d’une voix-off - donnant un ton de petit film d’actualité - qui décortique les rituels de l’homme avant le grand soir du combat. L'œuvre oscille entre la captation réelle des images prises sur le vif et des scènes reconstituées comme le démontrent certains plans à l’esthétique élaborée. Kubrick arrive à donner une garantie du réel même avec ses images truquées, ce qui donne une force évocatrice et crédible à ses plans et au portrait du pugiliste. Le combat final donne à voir un duel inévitable, motif qui sera récurrent dans la carrière de l’auteur, car pour ce dernier, filmer deux hommes s’affronter, c’est filmer la nature profondément violente et agressive de l’humain. Cela fait partie de son instinct et il n’en est pas autrement pour le réalisateur qui démontre déjà ses préoccupations dans un simple documentaire.

Lolita (1962)

Critique brûlante de l’Amérique des années 50 sur sa dualité entre puritanisme et libération sexuelle, comédie noire de mœurs, satire sociale ou encore farce tragico-pathétique, l’adaptation de Lolita par Kubrick est une œuvre qui garde l’essence subversive du livre, mais sans jamais surenchérir sa force sexuelle et immorale. Tout est question de subtilité et de suggestion, d’intelligence et d’orchestration minutieuse, d’un jeu de masque vacillant entre la dérision, le grotesque (voir le burlesque par moments), l’absurde et l’ironie. À voir le personnage grimaçant de Sellers en journaliste-écrivain excentrique qui reflète la conscience refoulée, jouissante et perverse d’Humbert. L’auteur filme parfaitement la folie progressive de ce dernier, un dandy cultivé et raffiné, dont la déviance qu’il ne peut contrôler face à la beauté à la fois innocente et provocatrice de la belle Lolita, le fait basculer dans un délitement paranoïaque et une fatalité morbide. Enfin, l’auteur s’attache avec justesse à la passion exacerbée de son sujet et à comment l’amour d’un homme peut devenir déraisonnable et déchirant face à l’insolence d’une jeunesse éternelle.


Kurosawa Akira 

Rashômon (1950)

Cas d’école magistrale et novateur d’une mise en abime narrative, Rashômon suit cinq témoignages différents sur le même événement : celui d’une sombre histoire de meurtre et de viol entre un brigand, un samouraï et sa femme. Les récits s’imbriquent audacieusement et prennent la trajectoire d’un jeu de piste où il faut essayer de démêler le réel du mensonge. Les versions différentes apportent un lot subjectif de la réalité et contractent un message profondément triste : si l’on ne plus croire en l’Homme, la vie devient un enfer comme en témoignent aussi dans un temple bouddhiste en ruine, les trois personnages revenant sur le procès. L’auteur inspire au mysticisme et surnaturel, déploie un magnétisme sensoriel dans la forêt où s’est déroulé le lieu du crime. Le noir et blanc souffle une harmonie énigmatique d’ombre et de lumière et intensifie les expressions théâtralisées des comédiens submergés par les sentiments de désir, de honte, de violence et d’honneur. Le procès n’amène alors à aucune vérité mais un geste permet de ramener de l’espoir, celui de recueillir un bébé abandonné sous les décombres du temple où la pluie diluvienne colérique se transforme en une éclaircie somptueuse.

Les Sept Samouraïs (1954)

Kurosawa donne naissance à une épopée fleuve touchant à jamais l’histoire du 7ème art. Le chiffre sept, comme ces sept samouraïs qui décident de défendre sans relâche un village paysan attendant avec angoisse l’attaque d’une armée de bandits. L’œuvre est un pamphlet humaniste d’une grande harmonie, sollicité dans un ample mouvement de vie qui rassemble deux classes sociales obligées de s’unir face à l’adversité. Comme le western fordien, Kurosawa structure son film comme une ancienne légende fabriquée mais ici féodale et japonaise. Il exécute avec brio un étendard de portraits fouillés, une attention particulière à la construction du groupe et à la préparation de l’entraînement pour l’opération de la future défense, et dynamise avec énergie le souffle dantesque et spatial du métrage. Le film est un trésor d’émotions et d’idées où l’art de la guerre devient un art du cinéma, il met en duel des enjeux autant sociaux qu’intimes, sur le partage, l’honneur, l’amour, la solidarité, le sacrifice et le deuil. Enfin, malgré la victoire, ce chef-d’œuvre est d’une profonde mélancolie car il repositionne notre loi sur Terre, à l’image des derniers samouraïs voyant qu’ils n’ont plus leur place dans cette société.


Kurosawa Kiyoshi

Cure (1997)

Avec Cure, Kurosawa suit deux courants survenu dans les années 90 : le thriller cérébral sur des serial killers et le film de fantôme hérité du J-Horror. En effet, un détective se voit impliquer psychologiquement dans une enquête sur un tueur utilisant l’hypnose et la manipulation pour pousser des personnes à assassiner. Et comme un fantôme, ce tueur est insaisissable, il est inconsistant et dénué de vie. Pour mettre en images son film, le cinéaste part d’un quotidien banal pour ensuite progressivement obscurcir son tableau afin de parvenir à une étrange et troublante vision fantastique. À voir l’atmosphère jouant sur une dimension ombreuse et grisâtre qui forme une esthétique spectrale. L’inquiétude vient aussi du désamorçage de l’horreur et des meurtres, car il laisse place à une contamination occulte cachée à l’intérieur des victimes comme un virus, elle peut représenter une pulsion enfouie de la société japonaise et une sorte de culpabilité collective. L’auteur arrive tout au long à engendrer une hypnose qui instaure un puzzle sensitif et dont le cauchemar s’instaure dans le balancement entre apparition et disparition, et les recoins opaques des cauchemars et des hallucinations.


Kotcheff Ted

Rambo (1982)

Avant d'être l'archétype du héros reaganien, Rambo est un martyr traumatisé par le Vietnam, un marginal qui ne peut retourner normalement dans la vie civilisée. Son arrestation musclée et humiliante par une police qui ne veut pas de cet étranger vagabond, le fait revenir sur ses instincts de machine guerrière, il passe de gibier apeuré et blessé à un prédateur viscéral. Coincé entre deux décennies, les années 1970, pour sa vision critique désenchantée d'une Amérique rurale belliciste, et les années 1980, pour son côté survival d'action intense et au rythme nerveusement court, First Blood pose la question de la faute originelle. À qui doit-on cette escalade de violence ? L'injustice de la police ou la limite dépassée par Rambo ? Le constat est celui d'une honte refoulée d'avoir perdu la guerre et de ne pas l'avoir vécu, au contraire du héros, habité par celle-ci et la ramenant pour en montrer sa détresse cauchemardesque. Rambo est le symbole cathartique et destructeur qui brise une Amérique ne pouvant se voir dans son miroir. Kotcheff y insère une épaisseur brute et mélancolique dans cette chasse à l'homme primitive, et donne de l'humanité à un animal qui explose dans une confession finale déchirante.

Retour vers l'enfer (1983)

Retour vers l’enfer n’est pas un grand film, mais il se regarde avec plaisir grâce au rythme efficace qui dégraisse toute fioriture pour aller à l’essentiel. On y perçoit plusieurs mélanges dans ce film de guerre comme Rambo bien sûr (pour le côté actionner nerveux, mais le fond ressemble au deuxième avant l’heure), The Deer Hunter (pour la direction dramatique du retour en pays traumatique pour retrouver un proche) ou encore Les Douze salopards (pour la constitution d’une équipe barje qui se dirige vers une mission suicide). Évidemment, l’œuvre n’arrive à la cheville d’aucun, car elle est beaucoup trop balisée par ses clichés et les évidences bêtes du scénario. On prend tout de même un malin plaisir à voir cette équipe hétéroclite se composer, s’entraîner puis partir pour leur raid explosif. Il y a une forme décomplexée et humoristique, grâce à sa galerie de personnages sorti d’une histoire de John Milius (producteur d’ailleurs) entre leur coolitude autoritaire, le mélange délirant de réactionnaire dionysiaque et à ses figures militaires qui ne veulent pas se soumettre à l’ordre et à la hiérarchie. Cela baisse la température sérieuse assez ratée du film pour en faire un objet d'une dérision sans grande prétention.


Kwan Dan & Scheinert Daniel

Everything Everywhere All At Once (2022)

La vie ratée et répétitive d'Evelyn, qui tente d'entretenir son entreprise de laverie et ses relations familiales, bascule lorsqu’elle plonge dans une faille interdimensionnelle où son mari d’une autre dimension lui demande de sauver le multivers. Les Daniels offrent un mille-feuille cosmique complètement délirant qui allie cinéma indé et blockbuster en mélangeant les genres dans un équilibre très inventif, entre S-F et films d’arts martiaux hongkongais. Le multivers est exploité avec jubilation, à voir ces passages de dimension dans un seul et même mouvement, ces ruptures de monde en deux et sa façon de lier différents univers en un. L’idée du raccord est omniprésente, jusque dans la thématique de l’œuvre, celle de raccorder les morceaux brisés d’une famille sentimentalement en crise et devant retrouver une harmonie circulaire. Le rythme est quant à lui survitaminé, mais parfois harassant et foutraque avec sa façon d’entrechoquer ses univers fictifs et parodiques de la pop-culture. Néanmoins à la manière des Wachowski, Everything est d’une explosivité renversante et un chaos organisé virevoltant qui explore toutes les pistes possibles en termes de chorégraphies, de métamorphoses et d’humour meta.


Écrire commentaire

Commentaires: 0