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Zahler S. Craig

Bone Tomahawk (2015)

Bone Tomahawk réussit remarquablement à lié western classique et atmosphère de film d’horreur. Le cinéaste prend son temps pour donner une étoffe et une caractérisation à ses personnages. Un shérif flegmatique et dévoué, son vieil adjoint à la fois perspicace et maladroit, un as de la gâchette prétentieux mais attachant et un mari boiteux qui veut retrouver sa femme, après qu’elle se soit fait kidnapper par des indiens. Quatre hommes qui poursuivent un voyage harassant, funeste et sanglant, mit en scène de façon classe et méticuleuse par Zahler. Il porte un soin subtil aux dialogues avec un vocabulaire authentique, des insinuations cachées, et un humour élégant, donnant une part d’humanisme, de discrétion et de simplicité pendant toute la première heure (même si l'introduction donne le ton sec et tranchant du film), avant de basculer dans une brutalité gore. Le film ne stylise pas la sauvagerie de ces violences fulgurantes car l’espace ouvert par le réalisateur pour faire exister ses protagonistes est toujours présent. Il développe un cachet fantastique et mystique faisant froid dans le dos à ces troglodytes cannibales, et ainsi l'œuvre assume une hybridation des genres qui prend à la gorge. 

Section 99 (2018)

Après un western poussiéreux et millimétré, Zahler s’essaie à un film de prison dont la violence est également sans concession. C’est une longue descente aux enfers mais avant cela, l'auteur met en place lentement ses enjeux pour instaurer une tension laconique et emphatique. Bradley, joué de manière impressionnante par Vince Vaughn, est un colosse froid qui se voit obligé de replonger dans le petit crime pour subvenir aux besoins de sa famille car il est victime du chômage. Le contrôle moral et émotionnel qui le définit cache une brutalité sans faille mais il est marqué par une humanité et une quête quasi christique qui fait de lui un beau sujet avec ses contradictions. Le film exerce brillamment sur cette balance de la moralité pour corser le parcours carcéral de Bradley, il progresse d’une prison classique à une prison presque surnaturelle, semblable à un Guantánamo bis poisseux et ténébreux. Angoissant, suffocant et fracassant (surtout dans ces combats très frontaux), le film est un objet brillamment soignée, qui nous enferme crûment dans un univers glacial et bétonné, hautement inquiétante dans la tortueuse Section 99 avec son imagerie maladive et sa conclusion effroyablement prenante.

Trainé sur le bitume (2019)

Sous la couverture d’un polar brut de décoffrage, Trainé sur le bitume est une étude sur les rapports de forces et de négociation, qui organise son récit et sa réalisation de manière patiente dans un cadre quasi nocturne, urbain et à la lumière baveuse. Il n’hésite pas à faire des pas de côté pour étoffer l’histoire de deux flics ripoux et réactionnaires suspendus de leur métier, et se voyant poursuivre des braqueurs mystérieux et aux méthodes froidement imperturbable ainsi qu’un afro-américain intelligent et manipulateur. La relation entre tous les personnages se fait sur l’idée de transaction et où le seul moteur est l’argent. Pour signifier son attention, Zalher dilate sans cesse le temps afin de décomposer finement les situations constituées de nombreuses observations, de filatures, d'inversion dans les places initiales des sujets, d’interactions latentes et de calme avant la tempête. La beauté plastique de l’objet touche en la faveur de cette expérience nette de précision, parlant autant de notre rapport à la famille, au mariage, à l’amitié et la collectivité. Comment parvenir à ses fins tout en étant en phase avec autrui ? Par la menace ? La force ? La ruse ? L’honnêteté ambiguë ? Bien des adjectifs pour définir ce talisman sans merci.


Zemeckis Robert

Retour vers le futur (1985)

Un film célèbre pour toute une génération, passant de famille en famille, le goût pour cette aventure pulp de science-fiction. Il traverse le temps comme Marty propulsé dans le passé avec la mythique DeLorean, allant à la rencontre de ses parents jeunes et de son ami le Doc, inventeur de cette machine à voyager dans le temps. Zemeckis oppose deux générations alors, celle du consumérisme reaganien et celle des fifties, avec sa mythologie old-school et son ambiance proche de La Fureur de vivre. Le rythme d’enfer fait jubiler le spectateur face à ce duo improbable et biaise toutes les questions scientifiques rationnelles pour se concentrer sur le plaisir frénétique de cette confrontation temporelle. Les inversions des rôles comme celle du père et du fils renversent les clichés moraux et sentimentaux, pour procurer un humour burlesque bourré de quiproquos et de reflets aux références populaires. En jouant sur les questions du temps et les répercussions des actions du passé sur le futur, Retour vers le futur est aussi une œuvre pleine de mise en tension maîtrisée et énergique mais reste avant tout une entreprise chargée de tendresse candide et nostalgique.

Retour vers le futur 2 (1989)

Alors que le premier volet se concluait par une résolution optimiste en adéquation avec le réussite financière et méritocratie prônée par la capitalisme reaganien, le deuxième épisode prend le contrepoint en blâmant Marty d’avoir été trop cupide dans le futur, et qui avait à la base comme objectif celui de sauver sa progéniture. Ce futur coloré et fluorescent, qui se veut cool et agréable à vivre procure un portrait incommodant et piquant d’une Amérique caricatural et sous le joug d’une surdose de libéralisme. L’œuvre devient plus passionnante dans son retour en 1985 devenu postapocalyptique et cauchemardesque, soumit par un Biff en chef suprême corrompu par l’argent. Lorsque le héros revient en 1955 pour régler ce problème de conflit temporel, le film fait voir une mise en abîme de Marty devenant son propre spectateur. Avec un rythme virtuose et millimétré, Zemeckis multiplie les linéarités et les points de vue, créant des miroirs inversés au premier épisode et procure ainsi une nouvelle facette à la fois identique et différente pour notre plus grand plaisir. Cette traversée de plusieurs temporalités fait obtenir un gage plus ambitieux, tout en gardant la même affection pour cette folle alliance.

Retour vers le futur 3 (1990)

Le dernier volet de la trilogie Retour vers le futur permet de conclure ce témoignage de l’identité américaine en revenant sur un mythe et son origine c’est-à-dire le Far West. Marty va plus loin dans le passé pour sauver le Doc, volatilisé en 1885, car ce dernier va mourir sous les coups de Buford, l’ancêtre de Biff. Les références aux grands du western abordent avec générosité le récit (Leone, Ford, Eastwood…) ainsi que tous les signaux propres au genre (Monument Valley, saloon, locomotive, duel…). Mais même dans ce genre, Zemeckis s’amuse à détourner le style, à faire des clins d’œils aux deux autres films, à jouer avec les différentes répercussions sur le futur en fonction du choix des personnages ou en réalisant des échos visuels aux films ainés. C’est avec ingéniosité que le film constitue son schéma fétiche mais en variant le récit comme le fait de se concentrer particulièrement sur l’histoire intime du Doc, qui vit une histoire d’amour touchante avec son homologue féminin, une professeure cultivée et aventureuse. Aussi inventif, jouissif et drôle que les autres, ce dernier volet enrichit cette aventure vernienne et s'achève dans un adieu plein de bienveillance.


Zhao Chloé

Nomadland (2021)

Pour Chloé Zhao, les États-Unis est un espace désormais circulaire, loin du rêve américain où le pionnier pouvait arpenter les frontières comme dans les grandes images du western. Les grands paysages et le ciel infini sont présents mais le mythe qu’ils incarnent devient opaque car la cinéaste déconstruit cette mythologie américaine. À travers les grands derniers voyageurs des longues routes désertiques (les « van dwellers ») et plus particulièrement Fern, une sexagénaire qui vit de jobs temporaires et peu glorieux, la réalisatrice capte avec beauté les métamorphoses de l’Amérique. Dans son van, le personnage joué par une McDormand en femme endeuillée et victime de la crise de 2008, croise des visages authentiques et écoute des récits bouleversants dont l’apport entre documentaire et fiction est très fin. Le spectateur se laisse emporter dans cette imagerie malickienne (un art de l’ellipse proche de ce dernier) qui manifeste la difficulté d’une vie nomade dans l’immense géographie vertigineuse d’un pays libre mais gangréné par le système néolibéral. Une œuvre qui concilie sans jugement des hommes et femmes laissés sur la paille et dont les espoirs sont aussi grands que les étendues mélancoliques de l’Amérique.


Zidi Claude

Les Ripoux (1984)

Les Ripoux prend les contours d’un buddy-movie avec ce duo mal assorti et opposé dans la perception de leur métier. Noiret est un ripoux magouilleur, plein de mauvaise foi et de ruses, qui profite de son statut de policier pour empocher des pots-de-vin, tandis que Lhermitte est un policier intègre et intransigeant avec l’honneur et les valeurs de sa profession. Le film est une comédie feel-good et en même temps une critique sociale, teinté de réalisme, sur le boulot de flic dans les quartiers appauvries, populaires et métissés du quartier de Barbès. Zidi tire un portrait tangible et sociologique du XVIIIe arrondissement de Paris des années 80 entre ses bistrots de quartier, ses rues bondées de monde, la clandestinité des travailleurs, ses pickpockets du dimanche et sa grosse criminalité. Le plaisir est savoureux face à l’insolence sympathique de Noiret et l’évolution truculente de son acolyte, de policier sérieux à ripoux flambeur. Malgré le ton comique débridé et les gags réjouissants, l’œuvre ne cache pas son amertume et sa mélancolie désabusée, elle sait être percutante dans ses face-à-face et fourmille de détails insolites sur les combines quotidiennes des ripoux.


Zinnemann Fred 

Tant qu'il y aura des hommes (1953)

Zinnerman avec son quatuor de comédiens magiques établit deux magnifiques histoires d’amour se faisant parallèle et qui sont mise à mal par le devoir de la patrie et l’ambition hiérarchique des hommes. C’est dans un milieu corrompu, celui d’une caserne militaire à Hawaii, où la loi du silence règne que Prewitt est injustement persécuté car il refuse de se soumettre face à une autorité qui l’oblige à boxer, sport qu’il préfère oublier. Mais c’est aussi là qu’il est élevé par la force amicale et la camaraderie de Warden, un sergent plein de charisme et Maggio, un joyeux rital alcoolique, qui lui aussi est victime de la violence humaine. L’ambiance idyllique hawaïenne, avec son soleil, ses bars, son océan et ses musiques de saison chaude fait un contre-point dérisoire avec la fatalité d’un épisode — l’attaque de Pearl Harbor — tragique et symbolique des États-Unis, la dureté de la vie militaire et les amours déchirants qui finissent dans la déception et la mort. C’est alors, à la fois un drame sentimentale et un pamphlet antimilitariste, animé par une distribution glamour, des beaux et durs sentiments et avec des valeurs universelles telles que l’amitié et le sacrifice, qui font de ce film une œuvre splendide et intemporelle.

Chacal (1973)

Sorte de James Bond détaché émotionnellement, le Chacal est un assassin spécialiste des chefs d’État et lorsque l’OAS lui demande de tuer le général de Gaulle, le tueur à gages s’y applique avec méticulosité avant d’être déjoué dans un acte final prenant. En effet, le cinéaste prend le temps de reconstituer avec minutie les préparations de cet attentat dans une mouvance du thriller politique et d’espionnage très en vigueur pendant cette époque. L’intelligence du cinéaste est d’avoir choisi un acteur inconnu à ce moment pour mieux embrasser l’aspect secret et dissimulateur du personnage. L’incarnation d’Edward Fox et la justesse du récit permettent de nous rendre sympathique cet homme qui est pourtant impassible et imperturbable dans ses actes, nous procurant quasiment l'envie qu’il réussisse sa mission. "Chacal" est sinon une œuvre solide grâce à sa précision efficace, ses variations géographiques et son souci d’authenticité documenté (l’auteur va jusqu’à vouloir recomposer des vrais événements historiques et tourner en plein 14 juillet pour la fin) qui nous immerge aisément dans le jeu de chat et de souris et de suspense se déroulant entre le criminel et les autorités.


Zombie Rob

The Devil's Rejects (2005)

De Massacre à la tronçonneuse, en passant par le western moderne et le road-movie à la Bonnie and Clyde, les nombreuses influences de Rob Zombie sont digérées avec une belle harmonie. Son style violent et noir s'inscrit dans la filiation des années 1970, et suit trois psychopathes qui sont les héros du récit. Voulant d'abord exposer leur sadisme répugnant, le cinéaste renverse les valeurs morales, en s'attardant sur les liens familiaux qui les unissent, les rendant ainsi plus attachants et plus emphatiques. Poursuivi par un shérif, ce dernier devient un pur tortionnaire et les trois malades mentaux deviennent les victimes du vigilant cow-boy. L'auteur interroge notre rapport ambigu à l'identification et le positionnement moral sur les antihéros, ce qui fonctionne théoriquement, mais moins dans la pratique, car leur humanité n'est pas assez cultivée dans la narration. Malgré ce défaut, le cinéaste fournit une série B endiablée à l'atmosphère aride et oppressante puis se prolonge vers un sentiment de liberté. Sa variation des tonalités (de l'humour décalée à l'horreur brutale), des pistes musicales et du dynamisme sec de son montage, offre à l'œuvre une vision crue de l'être humain.


Żuławski Andrzej

Le Diable (1972)

Pour son deuxième long-métrage, Zulawski réalise Le Diable, une œuvre qui prend place à la fin du XVIIIème siècle en Pologne lors de la guerre contre les prussiens. Le cinéaste polonais compose un chaos cauchemardesque et horrifique, cela dès le début lorsque Jakub, le personnage principal, se fait libérer d’une prison en feu et en sang par un étrange prêtre. L’univers conduit par un Zulawski transgressif est totalement désolant, travaillé par une folie harassante où la mise en scène tourbillonne et virevolte pour mieux faire sentir l’hystérie générale de ce monde en décomposition. C’est progressivement, quand Jakub découvre que son quotidien n’est plus le même car il s’est écroulé, qu’il devient un meurtrier car il est poussé par l’entité luciférienne. Cette énergie meurtrière est sanglante et sauvage, le cinéaste filme sans concession dans une transe macabre son protagoniste qui est entouré par un milieu tout autant désespéré. L’humanité pour l’auteur est un cirque, un cirque à détruire même sous la douleur pour revigorer un espoir pour l’humanité car le diable est partout, dans les paysages abandonnés et dans la nature pulsionnelle et violente de l’Homme.

Cosmos (2015)

Film-testamentaire pour le cinéaste polonais qui est un pur delirium abstrait entre comédie surréaliste et suspense hitchcockien sur deux hommes allant dans une pension familiale pour y passer des vacances. Ce film complètement tordu est travaillé par une mise en scène au mouvement gymnastique et lyrique, un montage aux nombreuses ellipses et un jeu d’acteur loufoque où chaque comédien est poussé dans ses retranchements. Difficile de comprendre l’ensemble du projet mais Zulawski laisse entrevoir des thèmes chers à son cinéma comme le désir dangereux de l’amour, l’obsession créationnelle et la folie tortueuse des sentiments. Ses nombreuses références passant de Gombrowicz (dont il adapte le roman), Le Rouge et le Noir, Pasolini ou encore Bresson donnent cette complexité baroque où tous les cadrages déploient les pensées exubérantes des protagonistes. Par conséquent, il est préférable de lâcher-prise devant le long-métrage pour mieux s’émanciper dans ce labyrinthe mental qui assume son non-sens et son imbroglio cinématographique. 


Zurlini Valerio

Le Professeur (1972)

La fructueuse collaboration entre Zurlini et Delon permet de donner une œuvre fascinante entre un professeur de lycée et une de ses élèves dont il tombe amoureux. L’acteur français nous aimante par son magnétisme et son spleen ténébreux qu’il traîne dans Rimini, ville balnéaire romantique, mais déserte et sous le temps gris. L’atmosphère froide, d’un morose vide et ruinée de la ville révèle l’intérieur déprimant des personnages, des êtres qui pourrissent sur place et montre leur ennuie et leur autodestruction dans les boîtes de nuit, les soirées lugubres ou autour d’une partie de poker. L’auteur veut montrer une bourgeoisie italienne en décadence, soumis et souillé par leur rapport à l’argent et au milieu un héros tragique hanté et solitaire, qui essaye d’être heureux, mais restant coincé dans un entre-deux. Le film accorde de l’importance aux dialogues très référencés ou à l’histoire de l’art, mais la caméra a une obsession pour toujours chercher les regards, l’indicible, le désir et l’âme de ses protagonistes pour révéler les énigmes et la vie brisée en eux. La notion de mort est donc forte, elle maintient une persistance spectrale à des êtres qui sont, au final, plus des survivants que des vivants.

Le Désert des Tartares (1976)

Ces militaires attendant un ennemi qui ne viendra jamais transporte par sa mélancolie et son abstraction totale. Zurlini filme avec une beauté hypnotique et une majestueuse solitude les horizons infinis dans lesquels les yeux de cette garnison se perdent. Pour parfaire à cette sensation, le cinéaste fait perdre toute cohérence géographique et déconstruit toute idée d’espace-temps et de frontière, à mesure que le personnage principal perd espoir. L’auteur insiste sur son épuisement progressif et la dépression léthargique vers laquelle ses tergiversations obsessionnelles le montre, à la fin, dans une morbidité poisseuse et tragique. L’œuvre veut exposer aussi tous les rapports conflictuels au sein de ce huis clos enfermant une noblesse vaniteuse qui se délabre. Les hommes sont tous touchés par cette attente procurant une forme d’hallucination collective et de maladie imaginative ou fantomatique. Chacun reste dans une inaptitude à faire lien et veut toujours faire autorité sur l’autre, formant une décadence passive et sans affect. Le film découle toute l’absurdité héroïque jusqu’à une stérilité radicale de laquelle l’auteur fait émerger par fragments des fulgurances presque surnaturelles et d’une splendeur mystérieuse.


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