Hamaguchi Ryusuke
Drive My Car (2021)
Atmosphère envoûtante, mise en scène précise, éclats élégiaques, Drive My Car transporte (figurativement et littéralement dans ce véhicule-dépuratif) avec cette relation entre un artiste et sa chauffeuse. Deux êtres en proie à une souffrance profonde qu'ils apprennent à comprendre, à surmonter, à interagir directement avec elle à travers des voix obsédantes, des pièces de théâtre cathartique ou en se recueillant sur des lieux traumatiques. Hamaguchi exerce une élégance intransigeante sur la foi en la parole et sa force pour vaincre la solitude.
Hamilton Guy
Goldfinger (1964)
Goldfinger est l’image d’Épinal de James Bond, car il impose définitivement la structure, les motifs et les passages inévitables de la saga. Dans ce volet canonique, l’agent s’oppose à un antagoniste froid, qui fige les corps comme des statues à l’aide d’or qu’il convoite et accompagné par Oddjob, un homme de main lourd, impassible et silencieux, qui utilise son chapeau pour tuer. Plus figé et plus réflexif que le précédent, Goldfinger est un épisode retors qui privilégie l’intelligence, la tromperie, la manipulation, l’entrelacement et la ruse. Les personnages n’ont de cesse de tricher, d’amener autrui sur des fausses pistes, d’emprunter des chemins sinueux, tout en restant dans une sorte de courtoisie élégante et des échanges savoureux. Il y a quelque chose d’astucieux et de sobre dans son approche, mais le film sait être spectaculairement démesuré ou acrobatique et se lancer à pleine vitesse quand il le faut. Enfin, James représente plus que jamais l’image d’Eros et Thanatos, il devient un danger mortel pour les femmes sans qu’il ne le veuille, cela l’amène à se poursuivre lui-même et à faire du corps-à-corps puis s’étreinte avec une bad et forte James Bond Girl qui devient good sous son charme carnassier.
Hansen-Løve Mia
L'Avenir (2016)
L’avenir, c’est celui de Nathalie, jouée par une Isabelle Huppert lumineuse. Une professeur bourgeoise de philosophie qui se voit du jour au lendemain, trompé et quitté par son mari et affecté par le départ de ses deux enfants après la réussite de leur baccalauréat. Au lieu de donner un film aux grands sentiments larmoyants, Hansen-Løve s’attarde dans une association de légèreté assurée, d’une pudeur radieuse ainsi que d’un humour retenu. Pourtant l’empathie est présente pour cette femme mélancolique mais toujours déterminée car l’apaisement rohmérien qui découle du long-métrage cache le sentiment difficile de reconstruction dans un âge-étape, le sentiment aussi de réinventer ses habitudes, remettre en cause des notions de son existence et accepter le départ de ses proches ou de certains lieux. La réalisatrice instaure un édifice philosophique en exorcisant les thèses des grands penseurs du passé, miroite son œuvre dans un lien permanent entre la femme et une nature utopique, oppose des discussions intellectuelles (notamment avec son ancien élève) mais jamais prétentieuses et au passage met un beau pied de nez au système d’édition cupide auquel Nathalie se confronte pour son travail.
Harari Arthur
Diamant noir (2016)
Démarrant comme une histoire de vengeance, celle d'un fils issu d'une grande famille diamantaire ayant chassé injustement son père, Diamant noir est surtout une recherche hésitante d'une identité. Pier ne sait pas choisir entre son groupe de petit malfrat et sa famille dans laquelle il s'infiltre pour se venger de l'intérieur. Voulant réparer des torts passés qu'il aura, au final, trop fantasmé, le jeune homme s'introduit dans tous les domaines, jusqu'à tailler ses propres pierres précieuses. L'imagerie du diamant et de la perception optique ausculte le film dans ses plus profondes zones d'ombre. Harari stylise avec soin la plasticité de son film qui glisse entre les genres (film noir, braquage, tragédie shakespearienne), à l'instar de la distribution hétérogène avec ses divers ethnies, nationalités et accents. Cette diffraction sonne avec la quête intime de Pier et de ses multiples pères de substitution, comme le ton, de l'onirisme cauchemardesque à la violence dur de la réalité. Sa grande ambiguïté et son kaléidoscope de lumière éclatante donnent une obscure clarté à l'œuvre où les fausses pistes, les contradictions et les sentiments intériorisés gouvernent l'atmosphère sombre de ce scintillant joyau.
Hathaway Henry
Le Plus Grand Cirque du monde (1964)
Comparable au film de Cecil B. DeMille sur le sujet, celui de la chronique collective et de l’itinérance démentielle d’un cirque tenu par la vigueur et le courage de son propriétaire, Le Plus Grand Cirque du monde est aussi la mise en abyme de son producteur Samuel Bronston. Comme le cirque en déclin de John Wayne, Bronston vit son chant du cygne, cette idée est véhiculée par les catastrophes que vit le barnum (naufrage puis incendie) lorsqu’il s’exporte en Espagne, à l’image de l’industrie hollywoodienne se commercialisant sur le sol européen. Pareillement au western, le personnage veut conquérir une nouvelle frontière, mais ici celle du vieux continent et sous le joug du spectacle (toutes les amusantes reconstitutions du far-west), mais c’est un échec, comme si l’Europe n’était pas sensible au show américain. Sinon, c’est l’histoire d’un homme bourru, mais au cœur d’or, voulant retrouver un amour perdu traumatisé par un passé refoulé et qui laisse une progéniture radieuse, blessée par cette absence. En somme, une jolie aventure de problèmes sentimentaux, de filiations et de retrouvailles au sein des tribulations quotidiennes et colorées de toute une cohorte d’artistes.
Nevada Smith (1966)
Nevada Smith est un western d’aventure et de vengeance où Steve McQueen part à la chasse à l'homme pendant plusieurs années pour retrouver ceux qui ont tué ses parents. Cette longue temporalité permet de donner une forme épisodique en trois parties bien distinctes. Elles peuvent se résumer ainsi : traumatisme et initiation dans le désert en intro, première vengeance dans une small town, deuxième vengeance dans un bagne marécageux et troisième vengeance dans une infiltration de groupe de bandits. De plus, cette ample narration fait traverser énormément de paysages variés au personnage. La troisième vengeance qui ne se conclut pas confère à l’œuvre une moralité chrétienne, car le héros applique les règles de ses différentes rencontres positives (le vendeur d'arme en père de substitution, la courte romance au bagne, le prêtre qui le recueille et lui apprend la Bible...) qu'il a croisées sur son chemin. Mais même avec cette moralité, Hathaway réalise des moments de violence sadique pour donner une sensation éprouvante au parcours du personnage. Malheureusement, le film est presque trop rigoureux et n'augmente jamais en crescendo pour convaincre totalement en termes d'émotion.
100 dollars pour une shérif (1969)
Par sa longueur, sa décontraction, son humour, sa violence ou le choix de John Wayne face à une jeune actrice, ce western vacille entre ancienne et nouvelle époque. C'est un récit de vengeance qui prend le temps d'observer et de mettre en place la future expédition plus aventureuse et dépaysante du duo, prenant ainsi des airs d'un léger road movie à cheval. Mais il y a des passages plus secs dans sa violence n'épargnant pas le spectateur. À l'accoutumée l'acteur incarne un homme pudique, intègre et droit avec la loi, mais dans cette œuvre, il joue un shérif ivrogne, borgne, gueulard et à la moralité ambivalente. Avec ce changement de registre, son anti-héroïsme lui donne une plus grande chaleur humaine. Il est aussi rare de le voir servile face à une jeune fille déterminée, forte tête, très mature et prête à tout pour faire pendre l'assassin de son père. Par sa façon d'opposer l'âge avancé, les failles et le côté maladroit de Rooster, face à la fougue électrique, calculatrice et bornée de Mattie, le cinéaste questionne la place du classicisme et sa disparition progressive au profit d'une jeunesse plus sombre. Ainsi, Hathaway veut rendre hommage à la carrière du Duke face à la modernité cinématographique qui s'impose dorénavant.
N.B. : On peut noter la mort expéditive de Dennis Hopper en jeune bandit, tout jeune réalisateur d'Easy Rider, le film de la contre-culture et du Nouvel Hollywood.
Hawks Howard
Seuls les anges ont des ailes (1939)
À l’aide de son passé d’aviateur, Hawks réalise une œuvre touchante sur le quotidien d’aviateurs en Amérique du Sud, chargés de redistribuer le courrier dans des conditions dangereuses. C’est par le point de vue de la pétillante Jean Arthur que le spectateur rencontre des hommes marginaux, touchés par les stigmates de leur passé ou de leur vieillesse. Ils vivent pour leurs avions en mauvais état, sont liés par une amitié euphorique mais pudique et sont prêts à mourir pour leur devoir de fidélité. Cette communauté menée par un Cary Grant désabusé et charismatique est ébranlé par un amour compliqué avec la belle blonde et son passé amoureux ressurgit lorsque la belle Rita H. revient. L’apparence de mélo romantique est transformé par Hawks dans un style équilibré et à hauteur d’homme, il fait chanter et rire ses personnages séduisants par leurs failles internes et externes afin d'exalter l’esprit de groupe pour mieux l’incorporer dans un schéma intense et dramatique. Les vols sont comme une guerre, ainsi la mort sonne toujours à leur porte mais le deuil est vécu discrètement dans ce cadre exotique où l’on accumule alcool, amitié, amour, rédemption, dispute, chagrin et aventure.
La Terre des pharaons (1955)
Occasion parfaite pour s'essayer au cinémascope, l'unique péplum du réalisateur américain sculpte son œuvre dans une approche réaliste. La première partie impressionnante appuie ce propos en contemplant la construction gargantuesque de la pyramide - réalisé pour le futur tombeau du Pharaon Kheops - dans des longs et langoureux panoramiques. Par l'envie de filmer un groupe organique allant vers un seul but, le cinéaste montre en même temps la mégalomanie du chef de cette entreprise. Se concentrant avant tout sur les rapports humains, le film oppose les limites de l'individualisme (Pharaon et sa postérité, la princesse Nellifer et sa cupidité...) et la qualité collectif qui lui aboutit à une continuité (L'humble architecte Vashtar, son fils et leur peuple libérés de l'emprise du Pharaon). Chez Hawks, rien de surnaturel ou de divin, seul l'Homme a bâti ce monument et il est libre de ses choix qui peuvent être positifs ou fatidiques.
Rio Bravo (1959)
Renouvelant le western tout en restant dans un classicisme propre au genre, Hawks réalise un classique chaleureux et d'une grande simplicité dans ses sentiments, loin des grands espaces du Far West. Ici, les espaces sont petits et se répètent au sein de cette ville dans un temps restreint. Les paysages sont quasi inexistants et le récit est plutôt ordinaire. L'essence élémentaire de Rio Bravo provient de ses relations humaines où se chevauchent l'entraide, la solidarité et l'esprit de groupe. Par décontraction et transparence, Hawks installe une atmosphère offrant des bouts de vies intimes et humaines. Une alchimie parfaite s'opère entre les personnages où chacun à son propre rôle à jouer. Des valeurs communes mais universelles ordonnent le récit de ces êtres qui doivent lutter contre l'envahisseur pour ne pas être bousculé dans leur quotidien. Jamais dans l'épique ou le spectaculaire, Rio Bravo est un western atypique et décomplexé, résumé par cette scène magique où les quatre hommes chantent et jouent une mélodie appelant à l'insouciance et la légèreté de la vie.
Hazanavicius Michel
OSS 177 : Le Caire, nid d'espions (2006)
Dujardin incarne à merveille ce bouffon élégant au sourire classe, son air James Bondien des sixties colle parfaitement à l’ambiance pastiche créé par Hazanavicius : le générique à la Saul Bass, l’harmonie des couleurs chatoyantes proche du Technicolor, le vintage des costumes et des accessoires, l’esprit cinéma de studio, l’exotisme de l’Egypte… Tous ces éléments aménagent à stylisé une œuvre raffinée et exquise faisant office d’hommage au cinéma d’espionnage rétro. Les codes du genre sont usés pour donner des scènes absurdes et hilarantes, autant que les répliques pleines d’ironie et de sarcasme sur le mépris d’antan et colonialiste des français à propos d’une autre culture. Mais, aucun procès moral de la part du cinéaste, son film divertit avant tout et fait jubiler le spectateur dans un récit limpide et une recherche esthétique pleine de seconds degrés. Par conséquent les séquences s’enchaînent délicieusement dans des situations cocasses et exercent un jeu sur les clichés, les caricatures et un humour outrancier dans une parfaite comédie cinéphilique.
OSS 177 : Rio ne répond plus (2009)
OSS 177 doit à présent débusquer un chef nazi réfugié à Rio, destination en apparence paradisiaque et exotique pour notre héros national. Encore une fois, Hazanavicius offre une œuvre soignée, à l’esthétique haut de gamme et s’inspire du modèle cinématographique propre aux séries B des seventies : zoom, split-screen qui multiplie les points de vue, décors naturels plus amples… Ainsi, l’époque suit également, celle de la fin des années 1960 entre chasses de nazis en Amérique du Sud, génération hippie, liberté sexuelle et psychédélique, et pensée gaulliste d’un Jean Dujardin toujours aussi drôle et ubuesque. Alors que les musulmans étaient la tête de turc du volet précédent, ici ce sont les juifs qui en prennent pour leur grade. Le relativisme historique d’OSS et sa misogynie rend le film hyper outrancier, créé des situations de malaises inouïes (face au Mossad notamment) mais l’homme inspire toujours la classe et l’élégance. La marque de fabrique satirique et absurde de la franchise continue d’opérer, et reste dans la réjouissance d’hommage détourné : de Lelouch à De Broca ou encore Hitchcock, les références ne manquent pas et s’allient splendidement à cette parodie pastiche.
Coupez ! (2022)
N’ayant pas encore vu l’original, je ne peux comparer l’adaptation d’Hazanavicius avec la version japonaise. Mais celle du cinéaste français a le mérite de maitriser ses plusieurs niveaux de mise en abyme, entre une première partie jouant sur le malaise comique d’une série Z et une seconde partie qui montre l’envers du décor des nombreuses conditions accidentelles qui amènent à un résultat chaotique, en filmant le contrechamp, c’est-à-dire la préparation et le tournage. Ludique, imaginative et récréative, Coupez ! est un hommage au système D et à l’artisanat du cinéma, mais également à la création collective. Le film donne en même temps un ton décalé et parodique aux studios surfant sur le concept du remake et à la catastrophe (jubilatoire et absurde dans ce cas) que cela peut engendrer.
Hellman Monte
Back Door to Hell (1964)
Back Door to Hell est le deuxième film du diptyque d'Hellman tourné d’une pierre deux coups aux Philippines. Il raconte le récit de soldats américains qui débarquent aux Philippines afin d’aider des guérilleros locaux contre l’invasion japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Au-delà du principe serial de film de guerre, Hellman filme ces trois soldats dans un cloître existentiel qui est traduit par la jungle dans laquelle ils s’enlisent. Elle emprisonne et asphyxie, enlevant tout charme exotique à l’environnement et faisant rapprocher le récit à celui d’un voyage conradien minimaliste. Le style âpre et anti-spectaculaire rend exiguë l’action, elle est souvent enfermée et barricadée, car l’auteur se concentre sur des escarmouches, des petits maquis végétaux, des cachettes, des refuges et sur les visages des acteurs. Cela appuie aussi sur la tension des locaux à propos des Américains, qui malgré leur entraide, voient en eux un autre type de colonisateur. Il n’y a pas d’héroïsme dans cette vision de la guerre, comme si toute cette mission était dérisoire. C’est pourquoi les hommes sont dans un purgatoire et sont confrontés à leur propre futilité et se dirige vers une perdition les menant à la mort et pour les survivants vers le néant.
Macadam à deux voies (1971)
Le vrombissement des véhicules enragés, une route isolée et plongée dans la nuit, des regards concentrés et mutiques vers l’infini horizon de l’asphalte, enfin les bandes jaunes de la route qui défile comme la pellicule dans un projecteur. Voici comment commence l’un des meilleurs films du cinéma. À la recherche de courses et d’argent, deux hommes, obsédés par leur Chevrolet, rencontrent une auto-stoppeuse hippie et un mythomane à la recherche de reconnaissance avec qui ils font la course. L’échange des corps, comme l’échange des véhicules ne font plus qu’un mais ne suffisent pas à procurer des sentiments sociaux aux deux compères. Seul le sentiment d’adrénaline et de vitesse les maintiennent en vie. Conformément, Hellman s’affranchit de tous codes narratifs et se concentre surtout sur le culte de la voiture, les non-dits des personnages, l’atmosphère léthargique que procure le battement mécanique des véhicules et le silence de ces anonymes du vagabondage. Une œuvre sur le mythe de la liberté et de l’errance mais aussi une oeuvre mélancolique qui se termine par l’embrasement de la pellicule, ouvrant ce trou vers le néant et l’espace insaisissable du cinéma.
Road to Nowhere (2011)
Au-delà d’être une mise en abyme d’un tournage qui raconte l’histoire d’un fait divers sordide, Road to Nowhere est un emboîtement infini de regard et d’image. Quelqu’un regarde toujours quelqu’un entrain de faire une image, de jouer dans une image ou encore de voir une image. Hellman génère cette frontière transparente entre la réalité et la fiction, transparente car finalement le film ne dit plus s’il est une fiction, un faux documentaire, une œuvre dans une œuvre, etc. Plus le récit avance, plus il devient flou, vaporeux comme le ferait un Lynch mais aussi l’esthétique évolue vers un état fantomatique et obscure. Les géographies sont éclatées, le fil narratif décousu et les silences sont pesants. Le réalisateur nous égare continuellement dans un jeu troublant et incertain. De ce fait, il n’y a pas de conclusion hâtif, ni dans l’enquête menée autour de cette mystérieuse Laurel/Velma ni dans l’histoire d’amour occulte entre cette dernière et Mitchell, tiraillé entre son film et sa muse. C’est alors un questionnement énigmatique sur notre rapport à l’image moderne qui peut s’inventer à tout instant, se voir tout le temps et que l’on interroge sans cesse, un cheminement opaque vers le nul part.
Herzog Werner
Nosferatu, fantôme de la nuit (1979)
Avec ce magnifique hommage au film de Murnau, Herzog traite à sa manière de la mythologie du vampire sous une influence stylisée au romantisme allemand. Stylisée mais aussi immersive, avec une caméra portée omniprésente et une lumière naturelle, donnant une valeur documentaire. Pointillée par une esthétique picturale et expressionniste jouant sur les clairs obscurs et un onirisme bleuté, la plongée dans la psyché de ce vampire torturé par sa solitude - brillamment interprétée avec terreur par Klaus Kinski - est à la fois magistrale et glaciale. La dimension transcendantale invite à la contemplation et nous fait rentrer dans un état somnambulique, à l'image de Bruno Ganz qui contemple les immenses montagnes germaniques sur du Wagner. Totalement cauchemardesque, le poids du temps et de la mort imprègne l'œuvre, l'apparition soudaine d'imagerie ténébreuse avec ses momies filmées en ouverture, les morsures sensuelles du vampire, la blancheur fantomatique d'Adjani, l'étrangeté funeste du château, le cortège gargantuesque de cercueil ou encore la danse macabre poussée par la Peste noire rythment cette histoire mystique et cynique avec brio.
Family Romance, LLC (2020)
À partir d’un sujet réel, celui d’un homme qui dirige une agence au Japon où il est possible de louer un « ami » ou un « membre manquant de la famille », Herzog réalise un long-métrage au propos universel. Tout porte à croire que le film est un documentaire à cause de son dispositif minimaliste, des regards-caméras, le naturel des personnages ou encore l’impression d’instantanée des situations mais l’œuvre est bien une fiction. Une fiction qui questionne la disparition de l’humanité au profit des faux sentiments et de la nouvelle technologie telle que la robotique, summum de l'étrangeté. Herzog décrit un monde absurde avec une pointe d’ironie et d’humour mais surtout avec émotion, à l'exemple de cette fausse relation père-fille entre Yuichi et Machiro qui touche par l'honnêteté des sentiments naissant entre eux. L'homme, tel un caméléon, change de costumes jusqu’à se perdre lui-même dans sa réalité, remplit de faux-semblant, et remet en cause la véracité de sa propre famille. En éternel explorateur de la condition humaine, Herzog fascine par la poésie troublante de son jeu de dupe illusoire même s'il est accompagné par une mise en scène fragile et un manque de tact dans le pathos.
Hers Mikhaël
Les Passagers de la nuit (2022)
Les Passagers de la nuit est une chronique sur comment les rencontres peuvent transformer les personnes et comment elles peuvent également les sauver. C’est le cas de cette mère, qui après un difficile divorce, recueille une jeune vagabonde illuminant sa vie, ainsi que celle de ses deux adolescents dans leur appartement parisien. Hers ressuscite avec poésie la vibes des années 1980 et démarre son œuvre par la victoire de Mitterand aux élections. Par ce biais, il esquisse une période remplie d’espoir et la rend utopique en travaillant tout le récit par une douce atmosphère aux élans nostalgiques et une esthétique granuleuse jouant sur différents formats. Le film est comme un murmure soyeux misant sur la sensibilité fragile de ses comédiens et restitue des sentiments informulables en filmant avec une proche promiscuité. Le rythme très calme capture ce temps qui passe dont le cinéaste en fait un portrait distendu et flottant. Ce dernier saisit le mouvement de la vie avec ces beaux aspects comme les épreuves difficiles de celle-ci, d’où les nombreuses digressions narratives. Elles sont harmonieusement anodines pour davantage capturer la chaleur du lien familial et de cette délicate capsule temporelle.
Hill Walter
Le Bagarreur (1975)
Le premier film du franc-tireur Walter Hill est une chronique désenchantée sur un homme aux poings d’or qui gagne de l’argent en castagnant dans des combats clandestins. L’œuvre prend comme contexte la Grande Dépression des années ’30 dans la Nouvelle-Orléans, elle est un tableau réaliste sur la difficulté pour survivre dans cette époque démunie. La mise en scène tout comme la narration est directe et simple, renvoie à un certain classicisme sans artifice, à l’image de Charles Bronson avec son regard de pierre, son mutisme mélancolique qui cache une nature d’homme sans passé ni avenir, fuyant le béguin amoureux et un futur sédentaire. Il arrive comme il part c’est-à-dire dans un train, figure typique du vagabond solitaire et que le cinéaste met en relation avec l’extravagance d’un James Coburn en manageur flambeur et irresponsable. Le film cogne par sa sobriété insoumise, l’émotion des combats passe seulement par le rythme impactant et fatigant des coups, et l’ensemble est tenu par une description franche du contexte sociale et économique de la période, qui donne le ton d’un simili-western imperturbable et à la linéarité clairvoyante.
Driver (1978)
Driver s'inscrit autant dans la filiation du film noir comme "Le Samouraï", qu'il est l'ancêtre du Drive de Refn. Même idée du professionnel solitaire mutique à la froideur monolithique et résumé à une spécialité particulière, même déambulation hypnotique dans la nuit et les lumières d'une ville fantasmatique ou encore même intrigue minimaliste abstraite. Mais il y a des différences, car le driver de Hill est un fantôme cupide sans fêlure et sans romantisme, vivant pour l'adrénaline du moteur, tout comme le monde vidé de toute substance dans lequel il s'acharne à conduire à pleine vitesse pour remplir ses missions. Ce mélange d'épure bressonienne s'accompagne d'une d'action vigoureuse que Hill découpe sèchement dans des courses-poursuites rigoureusement haletantes et nerveuses. Il suit une ligne claire d'un récit sans superflu à l'image des manœuvres méthodiques de l'as du volant qui impriment la dynamique intense de l'action. Le réalisateur fait aussi de L.A un terrain de jeu d'une lisibilité urbaine bien définie où seul existe des sujets innomés qui se croisent et se défient pour s'attraper, chacun dans leur fonction, du cow-boy motorisé invincible au flic intraitable et obsédé par sa chasse.
The Warriors (1979)
Avec son apparence de film d’exploitation, The Warriors arrive à percer cette nappe en proposant une odyssée à la mythologie urbaine et étrange. Les Warriors que l’on suit en temps réel dans une traque au sein de la jungle new-yorkaise, composé par ses graffitis, son métro malfamé, ses lumières crépusculaires dans des espaces et rues vides, progresse de territoire en territoire ennemi pour rentrer à Coney Island, leur Terre sainte. La question du territoire est importante car elle témoigne de la vision même d’une Amérique bâtie sur la violence et la possession géographique, et l’œuvre de Walter Hill est un retour à ses origines mais déployé dans un accent moderne. Les motifs du western sont inévitables ainsi que celui du film de guerre car qui dit territoire dit gangs qui s’affrontent dans des combats chorégraphiés et des courses fuyantes dans le labyrinthe nocturne de la Big Apple. Chaque groupe à son identité propre et le cinéaste joue de cet archétype pour proposer un cocktail toujours stylisé, prend le parti de la distance (à voir le charisme monolithique des acteurs) et amène son œuvre sur les bords d’une atmosphère irréelle où le melting-pot ethnique appuie les tensions communautaires de ce film culte et palpitant.
Le Gang des frères James (1980)
Walter Hill revisite le mythe de Jesse James et du groupe qui l’a entouré pendant plusieurs années. La première bonne idée est d’avoir engagé des acteurs frères pour jouer les rôles des différents bandits pour mieux appuyer sur les alliances et les affrontements de ces quatre fratries. Cela apporte aussi du réalisme au style déjà rude et sec du cinéaste qui met enfin en œuvre son genre fondateur : le western. Il démythifie l’histoire pour octroyer une œuvre à visage humain sur des anciens soldats confédérés, devenus des bandits dans un pays fracturé et en roue libre qui a oublié et moqué la population du Sud. L’auteur s’attache au côté psychologique et portraitiste, à leur vie quotidienne, leur lien avec femmes, frères et enfants, et à désicôniser des personnages comme Jesse James en le rendant antipathique, froid et déterminé. L’œuvre contient une violence irrespirable qui rend hommage à Peckinpah avec ses ralentis qui suspendent le temps pour accroître le déchaînement de celle-ci. C’est alors un film antiromantique, anti-légendaire et anti-héroïque teinté d’un archaïsme poétique et intimiste qui déconstruit toute mythologie pour faire éclore l’étude véridique de ce gang idéalisé par le folklore américain.
48 heures (1982)
48 heures incarne le prototype du buddy movie, en plus d’être le premier film de ce genre célèbre. En effet, le duo formé par Nick Nolte et Eddie Murphy est totalement opposé dans leur psychologie et ils doivent s’allier le temps d’une mission. Le premier est un flic blanc au caractère bien trempé et rugueux, tandis que le second est un prisonnier noir totalement fantaisiste. Borné avec une voix grave qui fonce comme un baroudeur pour l’un, pipelette à la fois casse-pied et imprévisible (où découle, dès son premier rôle, toute la talentueuse improvisation de l’acteur) pour l’autre, cela donne le ton du film, à la fois film policier bien viril et buriné, et en même temps comédie de situation légère où y découle toute l’alchimie qui contribue à une tension très drôle. Le cinéaste certifie également sa maîtrise limpide de l’environnement urbain en exploitant son tempérament nocturne, sombre et violent, mais aussi un effet rajeuni avec ses grandes focales, ses néons et ses bokehs donnant un cachet fantasmé à l’œuvre. Hill en résulte un formalisme naturaliste (à mi-chemin entre l’esthétique des années 70 et 80), un cocktail d’humour et une œuvre à l’efficacité resserrée avec des scènes d’action brutes allant droit au but.
Hillcoat John
The Proposition (2005)
The Proposition est un western apocalyptique dont l’approche baroque ressemble à celle d’un Peckinpah et de son désespoir élégiaque. En effet, tout donne l’impression d'être une fin du monde dans cet outback désenchanté et infernal de l’Australie en pleine fin de processus de colonisation anglaise. Hillcoat exploite le côté primaire et crépusculaire de son décor et de ses personnages, avant que ces derniers se laissent embourber par la civilisation. Il mêle ordre et chaos dans cette histoire d’un shérif désemparé avec sa femme témoin de la brutalité humaine et d’une famille hors-la-loi où la putréfaction et la poussière, autant que les visions hallucinés et lyriques s’invitent pour prendre dans son coeur la sauvagerie et la beauté incandescente de la nature. Sanglant et frénétique, le film expose un déchaînement de violence qui détruit toute croyance possible et confirme le poème funèbre dont il porte les stigmates.
La Route (2009)
La Route est le récit d’un père et de son fils, qui tente de survivre dans un monde dévasté par un cataclysme inexplicable. Ils errent sur des terres cendrées n’ayant plus une once de faune et de flore, entouré par un danger permanent, en poussant un caddie rempli de bric à brac. De façon terre-à-terre et concrète, Hillcoat filme un no man’s land sans espoir, cela avec une sobriété et une limpidité déconcertante. Il laisse parler la poésie morte et noire de ses paysages carbonisés et se met au service du périple affectueux d’un père qui voit en son fils son unique raison d’être encore en vie. Il est la promesse d’une renaissance dans cette douloureuse odyssée ponctuée par des flashbacks d’une civilisation en déclinaison et d'êtres ayant préféré abandonner, mais aussi par des rencontres qui permettent de redonner foi en l’humanité. Leur lien inébranlable est montré avec une sensibilité douce et dure à la fois, car l’enfant est confronté frontalement à la barbarie humaine et le père le protège, mais ne lui épargne pas ces images. Anti-spectaculaire et minimaliste, authentique dans la fermeté de son réalisme, La Route veut faire jaillir, sans jamais grossir le trait, l’amour filial qui se loge dans la violence de cet univers apocalyptique.
Hitchcock Alfred
Le Chant du Danube (1934)
Le Chant du Danube n’était très pas apprécié par Hitchcock lui-même, qui voyait en ce film « un musical sans musique, très bon marché », pourtant le long-métrage est une réjouissante comédie romantique évitant les écueils du biopic plan-plan. Car en effet l’œuvre se concentre sur Johann Strauss fils, l’auteur bien connu du « Danube bleu », qui se voit tiraillé entre l’amour pour son art et la fille d’un pâtissier refusant sa carrière d’artiste. Mais ce n’est pas tout, car elle raconte aussi la relation d’un père, grand musicien, méprisant le talent de son fils. Le cinéaste parfaire avec soin une mise en scène élégante qui instaure un affolement burlesque et une fantaisie sympathique. L’œuvre est rythmée comme un vaudeville léger faisant naître avec amusement l’une des valses les plus connues de notre Histoire. À voir les petits motifs du quotidien qui donnent des idées au jeune compositeur pour élaborer sa mélodie (la scène dans les fourneaux de la pâtisserie par exemple) et qu’Hitchcock agence malicieusement. Même dans cette tonalité comique, l’auteur démontre un art pour le suspense avec un travail du montage alterné qui joue sur la tension du temps et du savoir afin de créer des quiproquos savoureux.
Rebecca (1940)
Pour son premier film américain, Hitchcock se voit adapter Rebecca, le récit d’une femme épousant sur un coup de tête, un riche veuf anglais, hanté par l’ombre écrasante de son ex-femme et qui hante tout autant les murs de son château. Malgré la production hollywoodienne, le ton reste résolument anglais, comme l’indique la sensibilité gothique de l’œuvre. C’est aussi un conte de fées à la Cendrillon, mais dans un versant macabre où l’univers serait intemporel, vacillant entre le romantisme du prince charmant et la cruauté sadique de la mère, représentée par la terrifiante et abusive gouvernante et par le fantôme pesant de Rebecca. Dans ce jeux d’ombres et de lumière, d’intrigue à suspens avec ses coups de théâtre, de rêve se transformant en cauchemar éveillé et d’oppression croissante, l’auteur s’épanche sur les conflits psychologiques de ses personnages : jalousie, sentiments d’infériorité, désirs et envoûtements, fautes confessées, emprise du passé et culpabilité inondent Manderley. Un lieu isolé et secret, dont la surface luxueuse est submergée par des souvenirs macabres, des longs couloirs aux pièces interdites et impénétrables, et un vide gigantesque faisant éclore toute sa forme fantasmatique.
Fenêtre sur cour (1954)
Dans un seul décor et par un seul point de vue, l’auteur nous montre avec sophistication le grand « spectacle des faiblesses humaines » comme le disait Truffaut. Mise en abyme évidente du cinéma avec cette succession de regards qui se superpose et cette multiplication de fenêtres (ou écrans) et de cadre dans le cadre, Fenêtre sur cour nous fait épier James Stewart qui épie lui-même ses voisins avec ses jumelles et son appareil photo. Expérience pure du cinéma et de ses projections émotionnelles, l’œuvre montre que l’humain est un voyeur naturel et fait l’étalage de toutes les conduites humaines et de ses comportements (« Le miroir d’un petit monde »). Hitchcock brasse les thèmes du désir, du fantasme, de l’amour, du mariage et de toutes ses problématiques en l’enlaçant parfaitement avec cette enquête à distance. Ce discours sur le regard est porté avec une ironie crispante et macabre, et une excitation tout autant angoissante que jubilatoire. Pour finir, c’est aussi une belle analogie du cinéaste-cinéphile, car le personnage observe les choses de son propre monde, déforme un monde illisible pour chercher la vérité derrière le faux-semblant, creuse la surface des images et démantèle les illusions de ces dernières.
La Main au collet (1955)
On peut dire de La Main au collet que c’est une œuvre glamour et sophistiquée, une œuvre nostalgique dont les décors de la Côte d’Azur font ressortir tout le charme séducteur du duo composé par Cary Grant et Grace Kelly. L’acteur joue un ancien cambrioleur soupçonné d’avoir volé un bijou qu’il n’a jamais dérobé. Comme Arsène Lupin, le personnage est un gentleman ravageur, mais comme beaucoup de sujets chez Hitchcock, c’est un faux coupable qui doit enquêter pour se disculper. Le film scintille brillamment par ses couleurs chatoyantes et amuse par son humour espiègle. Sorte de comédie policière légère alors, l’auteur n’en néglige pas ses thèmes habituels comme les récits de crime échangé et le rapport au sexe et à sa suggestion (la scène du feu d’artifice sur le balcon). Grace Kelly incarne une figure du sexe « indirect » ou « glacé » (Truffaut), impassible dans son apparence et caractériel dans son intimité. Ainsi, Hitchcock joue sur ce suspense « sexuel » (métaphorique comme la conduite à vive allure de la femme sur la corniche monégasque) où les rapports de domination, de mensonge, de culpabilité et de réversibilité sont prégnants. Cela en fait un divertissement luxueux et charnellement discret.
Hong Sang-soo
Le Jour où le cochon est tombé dans le puits (1996)
Premier film incorporant déjà tous les motifs du cinéaste, Le Jour où le cochon est tombé dans le puits a une structure narrative sophistiquée. Quatre points de vue différents qui s'entrecroisent dans ce film rempli d'amertume et d'amour perdu. La particularité de cette œuvre est qu'elle présente un visage sombre, crasseux et morbide pour un film d'Hong Sang-soo. Malgré une intrigue un peu complexe et parfois peu compréhensible, c'est une belle réunion de sentiments à la fois pathétiques, violents et profonds. La sobriété et la tranquillité de ses futures œuvres sont déjà de mise même s'il y a cette approche tragique de la vie. Un film donc très différent dans l'atmosphère habituelle de ses prochains longs-métrages mais où il est aisé pour le connaisseur d'apercevoir tous les traits caractériels qui feront l'authenticité du cinéaste coréen.
Matins calmes à Séoul (2011)
Dans un noir et blanc sublime, le spectateur suit le récit d'un cinéaste retournant à Séoul pour revoir son ex-fiancé et des amis dans une ambiance hivernale et mélancolique. Le froid matinal, le bercement nocturne et la neige veloutée tombant sur le bitume caressent la peau du spectateur. Variation de ses thèmes de prédilection tels que les actes manqués, l'alcool, l'abandon, la solitude, le passé ou encore l'amitié, le cinéaste nous piège en répétant de manière fluide les journées de l'homme. Comme la scène de bar où Seong tombe sous le charme de la restauratrice, ainsi leur rencontre devient différente à chaque nouvelle journée. C'est un discours attendrissant sur le destin et les coïncidences de la vie qui prouve qu'avec un "petit rien", le cours du présent peut totalement changer. Les motifs se répondent entre eux dans une gestuelle faite de répétition et qui correspondent à l'état d'âme d'un artiste sensible mais paumé (à voir tous les passages où il joue au piano), ne sachant plus trop vers qui se tourner.
Haewon et les hommes (2013)
Plus linéaire dans sa narration (même si le cinéaste s'amuse à substituer un doute dans son fil conducteur mélangeant rêve, réalité et répétition de certaines scènes), Haewon et les hommes est un film plus mélodramatique, à fleur de peau et romantique que ses prédécesseurs. Objet atypique et planant, le temps grisâtre et brumeux ordonne une atmosphère mélancolique et pesante sans enlever non plus la légèreté poétique propre au cinéaste. Les nuages et les légères gouttes de pluie poursuivent incessamment ce couple formé entre une étudiante et son professeur de cinéma. Un être en crise et enfantin d'un côté et de l'autre un homme voulant faire abstraction de son mariage. Le désir et l'amour impossible sont des thèmes élevant le film dans une beauté touchante à l'instar de cette scène où le duo se tient la main sur du Beethoven dans leur parc favoris ou lorsque l'homme pleure abondamment devant un coucher de soleil.
Hotel by the River (2019)
C’est dans une atmosphère polaire et duveteuse que Hong Sang-soo met en images son interrogation sur la vieillesse et l’approche de la mort. Tout cela dans une tristesse mélancolique qui s’imbibe d’une légèreté rêveuse et impassible. Cet hôtel désertique où s'échouent des âmes en peines, égaré au bord d’une rivière dans une agglomération inconnue forme un paysage pictural éblouissant. Le noir et blanc se compose parfaitement avec la froideur architecturale du lieu et la neige soyeuse qui crée un monochrome blanc. Sentimentale et poétique, Hotel by the River remonte les souvenirs douloureux des personnages. Deux frères qui se chamaillent, cicatrisé par le départ de leur père bohème lors de leur enfance, deux amies qui essaient de se rassurer sur leur sort et la faiblesse des hommes, un vieil homme qui tente de se racheter comme il peut et de laisser une trace avant de mourir. Dans cet entrecroisement de personnages se faisant écho, Hong Sang-soo marque au fer blanc le lien entre le vieux poète et les deux femmes dans une lecture d'un poème profond et insaisissable après une dernière cuite et avant de prendre la rivière vers l’au-delà.
Hivernal et reposant, beauté pure et légèreté rêveuse, terre à terre et poétique, voilà l’un des plus beaux films du cinéaste coréen. L’attente de la mort et le sentiment de départ atteignent avec sagesse ce vieil homme bohème qui veut revoir ses enfants avant de mourir. Ils ne le savent pas mais lui le sait, c’est son dernier souvenir pour eux mais son dernier poème sera pour les deux jeunes femmes qu’ils rencontrent. Ainsi, l’histoire et la froideur flottante de l’œuvre submergent avec simplicité et projettent avec singularité ce sentiment insaisissable de la mort. (Annotation bonus)
La Femme qui s'est enfuie (2020)
Seule pour la première fois depuis le début de son mariage, Gam-hee profite de l’occasion pour aller rendre visite à trois amies. Elle fuit le quotidien d’une relation surement nauséabonde mais le spectateur ne le sera jamais. En effet, toute l’atmosphère du film est sereine, sans drame apparent, avec des simples discussions entre vieilles connaissances autour d’un repas (et sans alcool ou très peu). Ces trois segments sont toujours entrecoupés par un plan sur une montagne, point central géographique et de cadence qui compose ce schéma fait de refrain, et invite à cet équilibre de quiétude. Le cinéaste s’amuse à faire des répétitions entre les parties et tourne ses discussions autour des sujets comme le végétarisme, les animaux, les bienfaits de la campagne, les relations amoureuses, la nourriture, l’art… Les hommes sont peu présents et lorsqu’ils sont là, ce n’est pas pour donner un reflet glorieux de la gent masculine. C’est une recherche féminine du calme et des retrouvailles même les plus tristes faisant remonter les remords et la clémence. Cette recherche se conclut dans une salle de cinéma, comme Gam-hee, nous nous sentons tranquille face aux douces vagues qui lorgnent l’écran de cinéma.
La maîtrise d’Hong Sang-soo a varier une filmographie à la fois si identique et si différente à la fois me donne des vertiges, c’est pourquoi La Femme qui s’est enfuie est aussi dans ce top. L’apaisement de sérénité, le rythme valsé et tout en refrain et la structure claire du récit se reposant sur la « fuite » de Gam-hee pour aller voir ses amies, inondent ce film d’un extrême bien-être et d’une narration sans drame. Une œuvre qui cache les sentiments de douleur, les expose soigneusement sans agitation et coule avec limpidité, tel le va-et-vient des vagues d’une mer détendue. (Annotation bonus)
Introduction (2021)
L'auteur réintroduit au centre de son récit des jeunes adultes, celui d'un couple séparé après le départ de la fille pour ses études à Berlin. La temporalité est coupée, par des ellipses, en trois parties se faisant des échos aux variations discordantes. En effet, les relations paraissent flottantes, la réalité est décalée ou décentrée, le hors champ domine et la mise en scène suit le déséquilibre de ces conflits générationnels. Les jeunes prennent le temps de (se) regarder, d'étreinte autrui, de contempler leur environnement, tandis que les adultes sont désintéressés par ce qui les entoure, aveuglé par la blancheur de l'image opaque qui sature les paysages. Youngho et Juwon n'introduisent jamais les parties, ce sont toujours des rôles secondaires (adultes) ne voulant pas les voir ou en désaccord, comme s'ils étaient indésirés. Malgré une introduction floue pour eux dans le monde adulte (comme les yeux de la fille dans le rêve du garçon), le film contient un enthousiasme pour ces élans juvéniles et un émerveillement tendre de l'instant présent, mais la désillusion et la mélancolie marquent l'image d'un avenir incertain, ainsi le flux des émotions est changeant, à l'instar de la mer qui monte et descend doucement.
La Romancière, le film et le heureux hasard (2022)
Le titre évocateur du film exprime bien la part de coïncidence circulant pour cette romancière qui en une journée fait face à son passé, à des connaissances amères, à des ambitions déchues ou encore à la complexité de garder contact avec une amie lointaine. Les séquences s’ouvrent toujours avec une appréhension du contact, comme s’il fallait trouver une nouvelle façon de communiquer pour réussir à se rapprocher et à passer la barrière de la gêne, des silences, des remarques, des non-dits et des reproches sous-jacents. Parfois, la barrière est franchie comme la belle scène des langages de signe et parfois non comme avec ce cinéaste peu sincère et antipathique, mettant en évidence un flux d’affects changeants. Les regrets et la rancœur cachés du film se percent lors de la rencontre (l'heureux hasard) avec l’actrice que la femme admire. Sorte d’espoir qui se prolonge par la concrétisation du film que l’écrivaine réalise avec elle et que HSS met en abîme en nous laissant apercevoir un extrait en couleur qui casse le noir et blanc de l’œuvre. Les aléas d’un réel ordinaire et les irruptions inattendues d’événements pourtant tranquilles exposent à quel point cela peut véhiculer un nouveau sens au quotidien.
De nos jours... (2023)
C’est en voyant ses deux comédiens, qu’il avait pris en photo avec son téléphone, dans sa galerie d’images et en retrouvant les deux images côte à côte, qu’Hong Sang-soo a eu l’idée de structurer son film en montage alterné et sur la même journée. D’un côté, Sangwon, une actrice ayant mis de côté sa carrière d’actrice, de l’autre, Hong, un poète admiré par la jeunesse, essayant d’arrêter la cigarette et l’alcool. Les deux récits parallèles s’envoient des échos, donnant l’impression que les sujets se connaissent, alors qu’aucun des deux ne fait mention de l’autre. Ils ne se croisent jamais, mais des liens indicibles s’établissent entre eux au milieu d’une œuvre très minimaliste et volontairement précaire. C’est le lien du montage unissant les deux personnages que les enjeux se concordent, car c’est par là que nous comprenons ce « Nous » (le nom du chat). Le « Nous » représente la solitude et l’ensemble, le lien méta entre Kim min-hee et le cinéaste (poussant encore plus l’idée de se mettre en scène), entouré par des personnes agaçantes ou les laissant amèrement seules. La fin montre le poète, seul et profitant d’un verre et d’une cigarette, incarnation d’une grande solitude, peut-être triste, mais aussi apaisée.
Hopper Dennis
Hot Spot (1990)
Dans Hot Spot, Hopper rend hommage aux films noirs et le mêle avec le genre du thriller érotique. C’est dans le soleil suintant et brûlant du Texas que l’auteur pose sa caméra, afin de suivre le charismatique Don Johnson, en vagabond mystérieux qui profite de sa tchate, de son physique et de son intelligence pour braquer des banques dans des petits bleds miteux et moites du Dirty South. Dans ce récit triangulaire, l’homme se voit tiraillé entre deux forces contraires, deux femmes inconciliables, mais magnifiques, la blonde vénéneuse et manipulatrice et la brune faussement naïve et effarouchée. Ses figures archétypales font transparaître tout le caractère chaud et volcanique du récit, mais aussi la dimension perverse qui se cache derrière un jeu latent de séduction, de désir, de chantage et de sensualité. Climat incendié, lente suavité, délectation sophistiquée et vibration des couleurs parcourent ce chemin empoisonné dans lequel se laisse piéger le personnage. Ce dernier est épris dans un dilemme torride, entre l’édénisme amoureux et le luxe sexuel, faisant du film une œuvre délicieuse sur une Amérique impure, bloquée dans ses tentations et sa violence. Puis comment ne pas tomber amoureux de Jennifer Connely.
Hou Hsiao-hsien
Cute Girl (1980)
Un film totalement inscrit dans le genre de la comédie romantique taïwanaise et meanstream de cette époque. En passant au-delà de l'aspect mielleux et nièvre, Cute Girl reste une œuvre agréable à voir. On peut voir les premiers contours qui feront la patte de Hou Hsiao-hsien dans sa future œuvre. Par exemple la présence de la nature (opposition ville/campagne), le motif de l'arbre sacré, la narration décousue, les plans longs, le jeu d'espace et de temps... sont présents mais à petite échelle. L'image est haute en couleur et très ensoleillé collant parfaitement avec l'ambiance humoristique et parfois burlesque qui planent sur Cute Girl. Malgré l'aspect commercial du film et les défauts liés à un genre peu subtil (dans ce cas précis), le premier film d'Hou Hsiao-hsien est une légère friandise amusante.
L'Herbe verte de chez nous (1982)
Hou Hsiao-hsien s'attarde sur l'enfance et ses petits moments de vie à la campagne dans ce beau film, maintenu avec une certaine distance par le cinéaste qui les montre souvent en osmose avec la nature. Celle-ci tient une place prépondérante notamment à travers l'enjeu écologique promu par Da-nian, le professeur venu enseigner dans ce village. Il fait face aux joies des enfants mais également aussi aux peines et le film prend contact avec des sujets comme l'éducation parentale, le deuil ou encore l'abandon. C'est aussi avec une teinte d'humour et de réalisme que le réalisateur expose la collectivité et l'idéalisation d'un lieu hors de la ville, mit en évidence par l'envie de montrer le quotidien monotone de ces villageois et des enfants. Le style de Hou Hsiao-hsien devient plus lancinant, faisant imprégner une atmosphère idyllique de la campagne et organise la topographie de son œuvre autour du train. Signe de modernité au sein de cette campagne reculée et de l'arrivée et du départ de l'homme-citadin qui témoigne d'une dernière image, celle d'une course effrénée de ses écoliers, symbole d'une jeunesse fougueuse.
Les Garçons de Fengkuei (1983)
Portrait d'une jeunesse pauvre qui transitionne de la campagne à la ville pour trouver du travail, HHH affirme plus son style avec Les Garçons de Fengkuei. En se concentrant d'abord sur les déboires de cette jeunesse bagarreuse dans leur petit village puis en filmant l'aventure du groupe dans une vie citadine où ils se perdent, il fait l'opposition entre la campagne et la ville, un lieu difficile et intransigeant avec cette jeunesse paumée. Travaillant avec des grands angles et des plans d'ensembles systématiques, le cinéaste enlève tout sentimentalisme et offre un film entre le teen-movie et le néo-réalisme italien. HHH capture des instants du quotidien, que ça soit dans la nature portuaire et pastel du bourg ou l'urbanisme bruyant et polluant de la métropole. Ah-ching, le personnage central, sécrète un lien intime avec nous comme l'exposent les scènes où la réalité et les souvenirs se mélangent à partir d'une madeleine de Proust. Les souvenirs lui viennent spontanément, ravivant un traumatisme ou un instant de bonheur et lui faisant naviguer ainsi entre le plaisir et la peine (notamment amoureuse), symbole d'une transition difficile entre l'adolescence et l'âge adulte qui doit être débrouillarde pour s'en sortir.
Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985)
Ah-ah, petit garçon issu d'une famille exilée de la Chine vit sous ses yeux les pôles essentiels de l'existence dans un récit autobiographique à longue durée : celui de la vie et de la mort. Trois morts emblématiques organisent son développement : le père, la mère et la grand-mère, qui nous font traverser l'histoire de Taïwan, parcouru longtemps par une dictature militaire. À la recherche des traces du passé : douloureuses (deuil, douleur de l'exil...) ou joyeuses (le souvenir de la promenade avec la grand-mère, les amourettes...), le film est une mosaïque de moments de vie du quotidien, des petites choses vécues, des jeux entre copains, des repas, des relations entre frères et sœurs, etc. Mais aussi la période adolescente est l'occasion de voir un Ah-ah plus dur et bagarreur qui forme un groupe de petite frappe avec ses amis. La distance imposée par la mise en scène donne une vraisemblance à ce mémorium venu d'ailleurs, travaillant sans cesse la profondeur de champ pour faire circuler ces êtres donnant vie continuellement au cadre. D'une grande profondeur mélancolique mais tout en retenue, HHH déterre ses souvenirs lointains tout comme Ah-ah qui enterre et déterre son trésor d'enfance sous son arbre sacré.
Poussières dans le vent (1986)
Dans cette histoire d’amour entre deux adolescents qui quittent leur village pour tenter leur chance à Taipei, une profonde finesse jaillit dans la réalisation du cinéaste. Poussières dans le vent caractérise la relation dans un continuel éloignement et rapprochement entre les deux personnages, à l’image des va-et-vient du train qui articule tout le récit. La capacité de HHH à condenser le goût même de la vie, sa texture et son flux instaure un chagrin rêveur ainsi que la photographie blanchâtre et cotonneuse, sensibilisant le spectateur dans une suspension lointaine et proche de l’instant présent. C’est avec contemplation et musicalité que le film transmet une tristesse nostalgique notamment dans le village natal des personnages, isolé dans les montagnes. La distance habituelle de la mise en scène du réalisateur ajoute cette soustraction des sentiments qui implose parfois comme lorsque Wan apprend à travers une lettre pendant son service militaire que sa bien-aimée s’est mariée à un autre. L’apprentissage est le mot-clé, apprendre de ses relations amoureuses pouvant devenir un long chemin vers la perte mais qui permet de mieux grandir par la suite.
La Fille du Nil (1987)
Film de transition, la campagne a disparu au profit d’une métropole quasi-nocturne, celle de Taipei, qui monte en prospérité économique et se développe concrètement. Le problème est qu’elle laisse sur la touche les plus démunis et la jeunesse. C’est le cas d’Hsiao-yang, une lycéenne vivant avec un père absent, un vieux grand-père, une petite sœur collégienne mais surtout avec son frère Hsiao-fang, un bandit mutique, chevauchant dans la hiérarchie mafieuse. Sa vie faite de douleur, de violence et de brutalité, fait qu’elle essaie de s’évader à travers des sorties à moto et à la plage avec ses amis, en tombant amoureuse d’un petit malfrat ou encore en lisant son manga préféré dans lequel une jeune femme est propulsée dans l’Égypte Antique. Un parallèle fortuit avec Taipei et son atmosphère lumineuse, ses publicités et fast-foods occidentaux aux couleurs criardes, ses discothèques et bars qui abondent de monde, l’héroïne tente de vivre une jeunesse normale mais baigne dans la désillusion et le deuil. HHH offre alors une œuvre mélancolique et poétique qui occulte les sentiments cachés de fuite et d’un futur se détruisant méticuleusement, seule face à la solitude qu’imprègnent la ville et son âme.
Les Fleurs de Shangai (1998)
Dans le Shanghai du XIXème siècle, Hou Hsiao Hsien dépeint avec précision en huis-clos le quotidien d’une maison de courtisane. Avec des plans-séquences virtuoses et méticuleux, un rythme hypnotique, une lumière délicate, douce et secrète, une musique enivrante et des fondus au noir systématique qui retranscrivent l’effet anesthésiant de l’opium, Les Fleurs de Shanghai expose les rituels d’hommes riches qui vivent pour leurs courtisanes. La nourriture, la boisson, l’opium, les discussions tournant autour de l’économie et des relations avec les courtisanes définissent le caractère éphémère de ces êtres qui s’engouffrent dans un bonheur fugace. Lorsque les masques tombent c’est la jalousie, le chagrin d’amour, la solitude, les rivalités entre courtisanes, l’agitation sentimentale et les non-dits qui planent sur le récit vaporeux de l’œuvre. En étirant et dilatant le temps jusqu’à son paroxysme, en maîtrisant l’espace et sa configuration dans cette bulle tangible et somptueuse et en décortiquant la hiérarchisation d’une communauté empoisonnée par l’argent et une vie morne, le cinéaste taïwanais nous emporte dans une rêverie mélancolique et élégiaque.
Hoyt Harry O.
Le Monde perdu (1925)
Souvent oublié par rapport à son cadet King Kong, Le Monde perdu mettait déjà en avant des effets spéciaux prodigieux pour son époque. Le charme de ces dinosaures en stop-motion animés dont Willis O’Brien en est le fabuleux responsable et qui remettra ça pour le célèbre gorille géant, se lie directement avec le charme de ce beau film d’aventure exotique. Adaptation d’un livre d’Arthur Conan Doyle, Le Monde perdu est autant un hommage à ce dernier qu’à la résurrection imaginative de ces grandes créatures venus d’un autre temps. Le film présente une jolie galerie de dinosaures hostiles à laquelle la mise en scène porte un soin pittoresque et efficace, tout en les faisant affronter avec férocité. La petite troupe qui se jette dans ce décor archaïque entrelace romance, découverte, humour et des péripéties parfois cataclysmiques. L’œuvre aura le privilège d’instaurer un schéma usé jusqu’à l’os : organisation d’une expédition scientifique, découverte et mésaventure sur une île dangereuse et ancienne, capture d’un animal préhistorique et destruction de la ville où il a été emmené par ce dernier. De King Kong à Spielberg, beaucoup doivent alors à cette fantaisie savoureuse du cinéma muet.
Hue Jean-Charles
Tijuana Bible (2020)
Nick, ex-marine, traumatisé par la guerre d’Irak erre avec son corps squelettique dans la ville-frontière de Tijuana. Ce réfugié de guerre, junkie à l’âme perdue, cherche comme il peut à se faire de l’argent dans les quartiers mal famés et la tristesse d’un paysage violent, sauvage, dangereux et bordélique. Sa quête christique et rédemptrice passe par le biais d’une aide donnée à une femme dont son frère (ex-soldat aussi) a disparu après être devenu un guerrier de Dieu. La puissance spirituelle de Tijuana Bible est baignée dans une esthétique propre au documentaire et recherche constamment une lumière divine et salvatrice. Le soleil plombant et l’aridité surexposent l’image granuleuse et suintante du film et des passages évasifs pénètrent le récit, instants magiques où cohabite ethnologie d’un lieu et fiction assez codée de la divergence entre un antihéros et des narcos-trafiquants à la gueule cassée. Tous les personnages sont touchés par une ambiguïté empiétant sur leur foi religieuse et l’espoir de partir de ce lieu pourri. Peckinpah n’est pas loin de cette œuvre ambitieuse qui a le culot d'être tourné dans un haut lieu criminel et d’être plastiquement parlant aboutie.
Tijuana Bible s’inscrit à la fois dans un style documentaire mais aussi un style poétique où s’entremêle la matérialité des lieux poussiéreux et précaires de Tijuana et des séquences illuminantes à la force sensible et aérienne. Le sacrée qui coule dans les veines du métrage produit toute son ambivalence et cadence des puissants moments impalpables et transcendants. Les âmes vagabondes de ce trou comme Nick sont brisées au fond de leur âme et tentent de trouver le rachat face à la violence de l'adversité. Un film farouchement incandescent. (Annotation bonus)
Hughes John (1985)
Breakfast Club (1985)
Au-delà du culte générationnel qui définit cette œuvre, Breakfast Club est un teen-movie en huis clos donnant un reflet de la jeunesse américaine des années 1980. Ces cinq lycéens collés pendant une journée off et se voyant obligés d’écrire une dissertation sur la question : « Qui crois-je être ? » définissent un aspect social de la société américaine. Au début, impossible de communiquer entre eux, mais progressivement chacun s’ouvre à l’autre pour exposer ses fêlures, dû à une pression familiale et scolaire qui les ont fixés sur une voie toute tracée. Sous ses airs d’insouciance et de légèreté chaleureuse, l’œuvre met en avant toute la douleur secrète s’émanant de cette jeunesse tourmentée. Hughes n’hésite pas à aller dans l’archétype (la reine de promo, la weirdo, le rebelle, l’intello, le sportif), cela peut faire défaut quand on voit à quel point toute l’imagerie colle à son époque donnant le sentiment au spectateur d’être en retard. Mais tout le charme joignant humour et drame, permet de s’attacher à ce théâtre doux-amer et révolté. La difficulté du passage de l’âge adolescent à celui de l’âge adulte permet d’en faire un film universel, tout en étant une bulle intime à la poésie sensible.
Hunebelle André
Fantômas (1964)
L’orientation commerciale de cette adaptation de la saga littéraire éponyme n’est pour ma part, peu convaincante. L’œuvre n’a aucune aspiration esthétique, se veut comme un mélange entre cinéma populaire et une parodie burlesque de James Bond ou en tout cas du film d’espionnage. Plutôt coloré et folâtre, grâce notamment à un Louis de Funès en commissaire Juve très explosif et hystérique, Fantômas reste dans la veine des comédies policières très années ’60 avec ses nombreux gags, cascades, poursuites, arrestations et quiproquos. Pourtant l’action est molle (surtout la course-poursuite finale) et le rythme mal ficelé, on arrive à s’ennuyer, et ce n’est pas le charismatique et athlétique Jean Marais et bien sûr Fantômas qui vont réussir à donner un élan à ce film. Tout de même, Fantômas est convaincant avec son masque bleu impénétrable, sa manière d’être un caméléon et à avoir mille visages, et ses expressions du visage effacés qui le rendent inhumain mais il reste un méchant carnavalesque très classique. Une œuvre récréative donc et encore…
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