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Imamura Shôhei

Pluie Noire (1989)

6 aout 1945, l’apocalypse nucléaire démarre. Yasuko rejoint son oncle et sa tante, ils doivent traverser les décombres d’une ville en ruine et envahie par les cris. L'atmosphère infernale expose des corps déchiquetés, en lambeaux, fondus, brûlés ou sculptés par les cendres, dans un noir et blanc expressif. Cinq années plus tard, Imamura montre les conséquences de cette journée sur les personnages. Œuvre sur les Hibakusha, ces êtres exclus de la société nippone car ils renvoient l’image de la honte et de la défaite sont pénétrés par un mal obscur et invisible, ils meurent un par un à cause des radiations et de « l’éclaire qui tue ». Pourtant le cinéaste fait le choix d’évoquer une chronique ensoleillée, les victimes voulant avancer et faire abstraction du passé mais la maladie revient sans cesse. Le discours humaniste d’Imamura capte avec attention et présente progressivement les dégâts physiques et moraux de ce village rural migré par les victimes de la bombe. Du traumatisme, au mal incurable, jusqu'aux sentiments cachées, ces gens ne peuvent vivre normalement mais la solidarité de cette collectivité produit un espoir et la cristallisation mémorielle d’un cataclysme à ne pas oublier.


Iñarritu Alejandro G.

Bardo : Fausse chronique de quelques vérités (2022)

Bardo touche par la dimension très intime, symbolique et mortifère de son sujet, le rapprochant de Biutiful. En effet, le cinéaste ausculte sa propre vie à travers un alter ego en fouillant ses souvenirs familiaux, mais aussi ceux de son pays natal. Sa première approche est d’enchaîner les tableaux surréalistes sans qu’aucune connexion logique ne soit faite entre eux. Son flou permanent entre le fantasme et la réalité, le rêve et les souvenirs, imprègne l’œuvre d’une poésie introspective et mystérieuse, et progressivement quelques clés sont données pour comprendre la vie de cet artiste, de son sentiment d’imposture, de sa culpabilité vis-à-vis de sa famille et de sa crise existentielle. C’est un voyage chaotique à la fluidité ensorcelante et où les plans-séquences nous font passer d’un état de conscience à l’autre en s’affranchissant de toute cohérence spatio-temporelle. Il est comparable au labyrinthique Miroir de Tarkovski, mais aussi à 8 et demi, pour le côté autoportrait fantasmagorique, la déambulation non-narrative et l’excentricité absurde de certaines séquences. Iñarritu se livre corps et âme en brassant une fécondité de thèmes personnels, faisant de "Bardo" une œuvre apologétique.


Ivory James 

Les Vestiges du jour (1993)

Les Vestiges du jour est un film sur comment un acte manqué peut produire des remords. Cet acte manqué, c’est celui d’un amour entre un majordome et son intendante, qui à cause d’une vie consacrée à leur profession n’ont pu atteindre un bonheur souhaité secrètement. Avec une retenue remarquable, Ivory analyse une aristocratie préférant s’effacer derrière une étiquette afin de respecter son devoir moral. Le poids des conventions rend la relation impossible, elles emprisonnent ces êtres par ses rituels superflus et par cette dialectique vieillissante du maître et du serviteur. Le cinéaste fait alors ressentir tout le poids du regret et la fuite du temps, mais aussi la tempête de l’Histoire et les tabous qu’elle engendre dans ce milieu au nom de la dignité et de la servitude. C’est pourquoi toute cette préciosité décorative et l’orfèvrerie exquise de la réalisation cachent une douleur pudique et un désordre passionnel, comme si ce haut lieu prestigieux ne voulait pas montrer ses failles. Anthony Hopkins incarne tout cela à la fois, un personnage ne voulant pas dévoiler ses émotions, optant pour la discrétion et le sacrifice, mais troublé par les ruines du passé.


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