[Critique] Le Père Goriot (1835)


Le Père Goriot, grand classique de la littérature française, est la pierre fondatrice de la Comédie Humaine de Balzac. Le Père Goriot raconte l'histoire d'une pension en 1819, en pleine Restauration. Cet établissement est tenu par Mme Vauquer, une vieille dame veuve. Elle est accompagnée par sa cuisinière Sylvie et son concierge Christophe. Au sein, de cette maison se trouvent plusieurs hôtes dont les principaux dans cette histoire sont Eugène de Rastignac, un jeune étudiant en Droit qui veut monter dans la haute sphère de la société. Il y a celui qui donne le nom au roman, le père Goriot, un ancien vermicelier ayant fait fortune pendant la Révolution. C'est un homme seul, totalement fou de ses deux filles se ruinant pour elles : Delphine de Nuncigen et Anastasie de Restaud. Il voit peu ses filles, car elles sont sous l'emprise de leur mari et ces derniers n'aiment pas Goriot. En même temps, elles aiment leur père surtout pour son argent donc par intérêt financier. Balzac décrit alors dans ce roman la tentative d'Eugène pour grimper les échelons de la société, notamment en tombant amoureux d'une des deux filles du père Goriot.

 

La première chose que l'on constate lors de cette lecture, c'est une phrase marquante qu'écrit Balzac au début de son roman. Il dit : « Ah ! Sachez-le : ce drame n'est ni une fiction, ni un roman. All is true, il est si véritable que chacun peut en reconnaître les éléments chez soi, dans son cœur peut-être. » S'enclenche ainsi une part de vérité que veut soumettre Balzac dans son roman. Comme nous le savons, l'auteur français (avec Stendhal) est le précurseur du réalisme qui dominera la littérature française dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Ainsi, le Père Goriot est un roman d'observation psychologique des mœurs de la société française, mais surtout parisienne. Balzac veut dépouiller ce qui constitue en bien et en mal (surtout) notre structure sociale. C'est pour cela que le roman commence par une description précise de la maison Vauquer qui paraît lugubre et sordide. Les personnages se trouvant à l'intérieur de ce récit sont à la fois pathétiques et réalistes. Ils sont loin d'être héroïques et le style de Balzac à la fois sarcastique, ironique et cynique déploie la singularité de ce petit monde. Ce sont des personnages remplis de défauts, permettant l'avènement d'une précision pointilleuse de la part de l'auteur français. En apparence, il y a une grande part de bien chez certains protagonistes, mais dans le fond, Balzac veut enlever toute la fausse vertu dans laquelle croient être plongés ces hommes et ces femmes. Typiquement, Eugène, celui que l'on suit le plus dans la narration est un jeune homme voyant petit à petit le monde complexe de l'aristocratie. Nous avons de l'empathie pour ce jeune étudiant, totalement touché par l'ignorance qu'ont les deux filles (un peu moins pour Delphine, rajoutant de la complexité à cette femme) pour leur père. Eugène est très touchant avec le père Goriot, car son empathie est immense pour le vieux monsieur. En même temps, si on s'attarde bien, Eugène est bercé d'ambition et ne pense qu'à cela. Il tombe amoureux de la première fille de Goriot, mais cette dernière le rejette et juste après tombe sous le charme de la deuxième fille (Delphine) en oubliant directement la première. Il ne comprend pas comment les deux femmes peuvent demander autant d'argent à leur père alors qu'il fait lui-même cela avec sa mère et sa sœur via des lettres. C'est la même chose pour le père Goriot dont l'empathie est grandissante au fur et à mesure du roman. Il aime énormément ses filles, mais cela en devient un amour toxique. Il est très généreux envers elles en dépensant sa fortune, mais cette fortune, il a gagné lors de la Révolution sur le dos des plus pauvres.

 

Dans Le Père Goriot, tout le monde parle d'argent, c'est le leitmotiv de tous les personnages qui exposent leurs sentiments en fonction de cela. Toutes les émotions positives sont questionnées dès qu'il est question d'argent. Que ça soit l'amour, la générosité, la bienveillance, l'empathie, la pitié, etc. sont peu sincères dès qu'il faut faire face à l'argent. Les dialogues sont donc très nombreux et certains monologues sont impressionnants de virtuosité. Notamment la vision du monde de Vautrin. Personnage totalement loufoque et pensionnaire dans la maison Vauqer qui veut se faire de l'argent en manipulant Eugène. Il voudrait que le jeune homme se marie avec Victorine Taillefer, pensionnaire ayant une grande fortune, mais ignorée par son père. Le plan machiavélique de Vautrin nous laisse perplexes, car nous nous demandons si sa démarche est sincère ou non auprès d'Eugène. Finalement, Vautrin se fait arrêter par la police pour son passé de voleur très houleux et dont il était connu sous le nom de « Trompe-la-Mort ». C'est aussi « l'éclairage rétrospectif » qui est intéressant chez Balzac, car il construit un passé très fort à tous les personnages pour mieux saisir leurs décisions.

 

Roman fort réaliste, mais paradoxalement, il y a quelque chose d'assez romantique dans cette œuvre de l'auteur. À la manière de Stendhal qui lui jonglait entre les deux styles, Balzac écrit des passages où les « héros » sont sous l'emprise d'émotions grandiloquentes. Bien sûr, Goriot est totalement dans ce cas, totalement exaspérant par son enthousiasme naïf dès qu'il voit ses deux filles heureuses. Quand elles ne le sont pas — bien souvent, car elles n'ont plus d'argent — le vieux monsieur est au fond du gouffre. Jusqu'à son lit de mort, Goriot réagit de manière très sentimentale lorsqu'il voit que ses deux filles ne vont pas venir le voir dans ses dernières heures. D'où la sympathie naissante pour lui, car nous ne pouvons qu'avoir de la peine pour cet homme et la relation qu'il a avec Eugène est attractive. Un lien père-fils se déclenche entre eux, mais nous revenons toujours dans une réalité plus pessimiste lorsque Balzac démontre la fausse sainteté de ces gens. L'amour est également présent sous diverses formes, surtout à travers l'agent féminin comme la cousine d'Eugène, la vicomtesse de Bauséant. Sa relation secrète avec le marquis d'Ajunda-Pinto marque cette analyse que fait Balzac pour accentuer l'amusement qu'a l'aristocratie autour des histoires de cœur. La vicomtesse va être trahie par le marquis, car ce dernier va se marier avec une autre femme. Tout le monde voit alors la désillusion de la cousine d'Eugène lors d'une soirée mondaine. Le romancier décrit la moquerie et le divertissement que cela devient dans ce monde aristocrate. La fin grandiose de l'histoire confirme toute l'ambiguïté de son œuvre. Après avoir enterré le pauvre père Goriot — où il dut payer les funérailles avec Bianchon (ami d'Eugène et étudiant en médecine) car les gendres de Goriot ne voulaient pas — le jeune homme regarde au loin Paris et dit : « À nous deux maintenant. » Malgré la mort de son ami, la première chose à laquelle il pense, c'est à son ambition d'intégrer la haute sphère sociale.

 

Pour conclure, Le Père Goriot est un bel apprentissage de la complexité psychologique qu'ont les hommes et les femmes. Nous grinçons les dents lorsque Balzac décrit les injustices que commettent certains personnages, mais l'écrivain nous rapelle que cela peut être nous également. C'est là où se dégage la vérité dans ce roman qui saute entre le réalisme et le romantisme. À travers sa palette complète de personnes hauts et bas en couleur, l'auteur crée son laboratoire pour analyser la profondeur humaine et ses comportements sociaux. Tout cela dans un ton très agréable à lire entre humour et exaltation des sentiments.


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