Voyage au centre de la Terre est probablement l’un des mes romans préférés, car il inclut énormément de spécificités que j’apprécie dans la littérature et l’art en général. Mais que raconte l’un des Voyages extraordinaires les plus célèbres de Jules Verne ? C’est le récit palpitant d’Alex, un allemand plutôt timoré et craintif travaillant avec son oncle Lindenbrock, un géologue et minéralogiste dont il aime la pupille, la belle et charmante Graüben. Un jour, Lidenbrock découvre dans un ancien manuscrit un cryptogramme venant d’un certain Arne Saknussemm, un savant islandais du XVIe siècle dans lequel il révèle qu’en entrant dans le cratère du Sneffels, un volcan éteint islandais, il est possible de pénétrer jusqu’au centre de la Terre. Lindenbrock en scientifique dès plus passionné et enflammé, emmène son neveu devant accepter à contre-coeur cette quête. Au cours de leur voyage, ils sont accompagnés par Hans, un chasseur et guide islandais, à la fois stoïque et flegmatique.
La qualité la plus frappante du livre est la vigueur, la concision et l’élégance de son récit vacillant entre plusieurs tonalités. Bien plus qu’une œuvre que l’on a résumé à de la science-fiction (alors qu'il en rien, car Verne ne se tourne pas vers l'avenir et reste inscrit dans la culture traditionnelle.), Voyage au centre de la Terre est surtout une étude d’un passé lointain dans lequel s’immerge ses protagonistes. En plein âge de l’exploration avant que la Terre soit entièrement cartographiée, Verne offre un livre extravagant avec des découvertes toujours plus invraisemblables et exceptionnelles. L’auteur joue sur les fantasmes d’un monde perdu et antédiluvien en explorant les couches géologiques du passé et montre son rêve de s’aventurer dans des ailleurs inexplorés. L'auteur n’a jamais autant poussé son imagination au service d’une histoire qui invite à sortir de sa zone de confort afin de se laisser prendre par le désir de découvrir toujours plus. Le romancier décrit une magnifique ambiance nordique à la fois angoissante, mystérieuse et romantique. Avant de rentrer dans le labyrinthique centre de la Terre, l’auteur se laisse aller à des plages de contemplation sur la nudité splendide de la nature. Mais une fois rentrer dans le volcan, Verne explore un territoire étouffant et obscur qui symboliquement devient le double de la conscience et de l’inconscient (le centre est comme l'espace du subconscient). On peut voir le centre de la Terre comme un organisme humain frissonnant, transpirant, digérant et en pleine gestation avant d’expulser ses personnages.
Lindenbrock est comme un volcan, il bouillonne et s’excite sans cesse, avance toujours en ligne droite en refusant de contempler ou d’avoir du recul sur ce qu’il entoure. C’est un homme énergique et excentrique avec du cœur toujours prêt à s’aventurer plus loin, mais têtu comme une mule, s’opposant souvent à son neveu avec qui il discute à coup de réparties. Quant au neveu, c’est d’abord un être enfermé dans le confort de l’amour et du foyer, il ne veut pas quitter sa Graüben, mais cette dernière l’invite à partir pour devenir un homme et comme elle lui dit, elle sera sa femme une fois qu’il reviendra. Au début, il est très sceptique de son voyage, mais progressivement il se forge à travers des épreuves douloureuses ou effrayantes (comme la fois où il se perd pendant plusieurs jours dans l’obscurité des sous-terrains, passage que l'on peut voir comme une métaphore de la folie et de la dépression). Il devient plus adulte, se plaint moins et prend même le rôle du professeur avec la même passion, volonté et tempérament. On peut même dire qu’il le dépasse, car c’est lui qui nous raconte cette palpitante aventure et il est le créateur de son histoire, au contraire de son oncle écrivant des ouvrages scientifiques ennuyeux. Entre les deux personnages se mêle l’humour propre à Verne, l’amour filiale (rappelons juste que le garçon est orphelin à la base) et les confrontations sur les faits scientifiques qui les opposent souvent. Les personnages ont leur propre motivation et sont conduits dans un réseau de désir et de sens constant. Au milieu Hans sert de serviteur autochtone comme il y a souvent dans les romans de Verne. Limité psychologiquement, froid, quasi mutique et dirigé seulement par la rationalité et l’utile, l’auteur arrive à le rendre attachant grâce à son courage, son côté rassurant et salvateur.
La documentation de Verne pour son sujet est impressionnante, car tout le savoir qu'il transmet sert à dissimuler les lacunes du savoir de la possibilité ou non de
voyager au centre de la Terre. Toutes ses recherches sont insérées de manière organique à la narration, même si elles sont parfois complexes, il arrive à rendre cela accessible grâce à la
relation maître-élève, à la relativisation, sa vulgarisation créatrice, ses métaphores, la subversion du discours scientifique et en faisant appel à l'intuition du lecteur. Cela permet de mieux
être insérer dans la crédibilité de ce voyage fait d'espace et de temps. En effet, en pénétrant en profondeur, les personnages traversent les époques les plus antédiluviennes jusqu'à presque
devenir eux-mêmes fossiles. Car malgré son aspect scientifique, l’œuvre garde ce goût pour le mystère, le scepticisme, l'absurde, l'ambivalence, la contradiction, voir le mysticisme et n'oublie
jamais qu'elle est avant tout un objet de littérature et non de science. On peut même le voir à ses allusions à Dieu qui s'oppose à la théorie de l'évolution, thème totalement central de son
époque. Les autres thèmes comme la cryptologie, la paléontologie ou la géologie étaient très en vogue à son époque et sont centraux dans le livre.
Pour revenir sur ce qui m'attache autant à ce roman, c'est sa forme romantique que j'ai soulevé au début. Le livre contient une certaine mélancolie, transmet le mal
du siècle et ses doutes existentiels comme cette façon qu'à Verne de décrire une fuite de la société pour se consoler dans la nature. L'écriture est poétique, baroque et exhaustif dans ses
adjectifs, son lyrisme et ses phrases élancées. L'auteur se questionne sur la fuite du temps dans le passé, la quête de l'absolu et du transcendant, de l'amour et du manque, sur le vieillissement
et la mort, des thèmes typiquement issu du romantisme. En même temps, la patte de l'auteur reste également réaliste avec ses phrases pouvant parfois être courtes et directes, sans concession et
fioriture ainsi que sa façon de ne pas s'attacher à la psychologisation de ses personnages. Cette forme schizophrénique permet de passer du rêve, une sorte des folies des grandeurs, voir d'une
dimension hallucinatoire et fantastique (par exemple lors qu’Axel voit des animaux antédiluviens qui existent bel et bien ou encore lorsque lui et son oncle pensent voir un géant.), à quelque
chose de plus concret et terre-à-terre.
Pour finir, Voyage au centre de la Terre est probablement la meilleure aventure de Verne, grâce à la force imaginaire du récit qui épouse magnifiquement sa dimension scientifique et pour sa façon de jongler entre les tonalités. Livre sur la découverte du passé, à la fois romantique et réaliste, l'auteur offre une œuvre concise sur la fuite du temps pouvant autant être enchanteur, sombre que dantesque. Découverte des volcans islandais, cheminement spéléologique vers le centre de la Terre, contemplation d'une faune et flore antédiluvienne, voyage dans un espace-temps obscur et ancien ou encore traversée épique d'un océan sans fin. Tout cela entre onirisme et cauchemar, espoir et désespoir, le roman invite à sortir de sa zone de confort pour revenir chez soi plus curieux, plus grand et plus mature, et pour être plus heureux de retrouver le centre de sa vie.
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