[Cinéma] ALTMAN Robert (1925-2006)

Annotations

M.A.S.H. (1970)

Le Privé (1973)

Short Cuts (1993)

Kansas City (1996)

Gosford Park (2001)


M.A.S.H. (1970)

La Palme d'or d'Altman est une comédie volontairement scandaleuse et cynique en total accord avec la génération contre-culture et hippie de son époque. Charge antimilitariste et anticléricale, M.A.S.H. dénonce avec outrance les horreurs de la guerre, à travers la chronique d'un hôpital de fortune pendant la guerre de Corée (un écho clair au Vietnam). Ces chirurgiens paisiblement dingues et cools prennent un malin plaisir à mettre en désordre la rigidité hiérarchique de cette micro-société, tout comme Altman qui en multipliant les points de vue, les actions dans la profondeur de champ et les confusions sonores, montre une anarchie très farceuse et cacophonique. Son téléobjectif et ses longs plans d'ensemble en panoramique embrassent ingénieusement toute cette vie en garnison haut en couleur, qui met à mal l'ordre social établi. Remplis d'humour noir et de bouffonnerie grinçante, le film se moque des forces armées américaines en les définissant comme des êtres faussement pieux et hypocrites ou des personnes vulgaires et aimant la débauche. Ne pensant qu'à se détendre après leur sanglante boucherie opératoire, ils nous invitent à nous décompresser dans ce chaos d'une belle absurdité cinglante.


Le Privé (1973)

Adapté d’un roman de Raymond Chandler, le cinéaste s’amuse à prendre à contre-pied le genre du film noir dans un film où Eliot Gould incarne un détective privé nonchalant et ironiquement désinvolte. L’enquête n’est qu’un prétexte pour réaliser une œuvre atmosphérique sur une Amérique nixonienne totalement instable. Ainsi, l’œuvre se construit sur des divagations et des allers-retours, un récit flou à la mise en scène en circonvolution et au rythme flâneur dans un L.A. autant solaire que crépusculaire. Le privé rencontre sur son chemin son chat, des voisines hippies défoncées, un écrivain alcoolique, une femme en détresse dont il tombe sous le charme, un chef mafieux menaçant avec ses sbires, un ami qu’il pensait mort et dont il sera déçu… Des personnages que l’auteur détourne dans une satire distanciée, naturaliste et dérisoire qui cache sous sa légèreté apparente des propos nuancés sur la fin d’une mythologie. En effet, le titre en V.O. : The Long Goodbye, peut se voir comme un au revoir au classicisme hollywoodien et à ses codes. Des codes qu’Altman décompose et corrompt, tout comme le monde décomposé et corrompu qu’il enregistre avec sa caméra.


Short Cuts (1993)

Short Cuts s’ouvre sur des hélicoptères lançant de l’insecticide sur L.A., comme si ces engins l’envoyaient sur ses milliers d’habitants qui grouillent comme des insectes et dont Altman scrute, tel un ethnologue, la vie de certains couples tragiques, bidonnants, obsédés et dont le destin les fait croiser par légère touche subtile. Il réalise un immense portrait qui révèle toutes les névroses possibles au sein de plusieurs foyers appartenant au commun des mortels. Ce tableau un peu cruel, mais plein de compassion est aussi une mosaïque pathétique sur ce que l'humain peut être et peut vivre, dans un ensemble autant émouvant, qu’ordurier et plein de bizarreries. Par sa virtuosité, le réalisateur maîtrise avec brio sa gargantuesque galerie de personnages qui s’entrelacent dans les nombreuses intrigues, sans jamais perdre le spectateur. Ils appartiennent à une comédie humaine touchée par l’empathie ou l’ironie d’un cinéaste traitant d’une société américaine dominée par la dépression, le deuil, l’abandon, l’humiliation, le mensonge, le vice et la mascarade. C’est une grande symphonie polyphonique où tous les détails et les thématiques connectent avec brio tous ces morceaux d’intimités liés par le séisme de la vie.


Kansas City (1996)

Robert Altman mélange les souvenirs de son enfance et une reconstitution pointilleuse de l’atmosphère et du mode de vie de Kansas City, dans les années de la Grande Dépression. En parlant de cette époque précise qui mélange l’univers du jazz et de la pègre, le cinéaste démontre en quoi la ville du Missouri était un carrefour essentiel des États-Unis. C’est à l’image des nombreux récits où les personnages se croisent et s’entrecroisent dans des allers-retours et des voies parallèles, semblablement à tous les trains et toutes les routes qui longent l’œuvre. Comme dans une de partition de jazz, le réalisateur exerce un style rempli de variations, de débordements, d’oppositions et de déroutements. Il brouille les frontières du genre pour ne pas raconter l’histoire attendue, car c’est en apparence une histoire de cavale, mais en pleine ville, une histoire romantique, mais sans amour et un road-movie, mais immobile. Le film met en rapport des duos et des duels, comme des jazzmans s’affrontant et jouant dans une « jazz sessions », les divers couches sociales, ethniques et politiques pour les lier entre elles et les faire communiquer dans une toile de fond noire et fatale, mais très boogie-woogie.


Gosford Park (2001)

Dans un manoir au milieu de la campagne anglaise des années 1930, le réalisateur explore le petit théâtre d'une articulation sociale entre des aristocrates présomptueux et leurs valets qui cachent bien leur jeu. Tous reflètent l'hypocrisie, le mensonge et le faux-semblant d'une noblesse en voie de disparition. Le film place en plein milieu de la narration, un meurtre mystérieux qui fait naître de nombreux suspects dans ce lieu où l’espace est mis en évidence par le partage du haut et du bas, par les multiples chambres mystérieuses ou encore les nombreux couloirs et escaliers renfermant les terribles secrets de cette famille. Gosford Park est alors comme une partie géante de Cluedo, inspirée par La Règle du jeu de Renoir et un roman d’Agatha Christie, mais l’auteur met sa patte en exergue, notamment dans la fluidité feutrée de la mise en scène qui fait s’enlacer une vingtaine d’acteurs et actrices. Ils mettent en lumière la cruauté de la haute société britannique et les rapports dialectiques entre maître et serviteur dans une longue intrigue vénéneuse et jouant parfaitement sur les bribes, les non-dits, les masques qui tombent et changent selon le besoin, et sur l’individualisme de chacun dans ce monde-rôle.


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