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Courrier Sud (1929)
Vol de nuit (1931)
Terre des hommes (1939)
Courrier Sud (1929)
Le premier roman de Saint-Exupéry pourrait prendre les contours d’un simple livre d’aventure qui suivraient les périples d’un aviateur prenant des risques pour livrer du courrier de la France jusqu’en Afrique. Les paysages lointains, l’énumération des villes qui font voyager rien qu’à leur nom et les grandes envolées dans le ciel sont bien présents, mais elles servent à couper les pensées de Jacques Bernis et de son aventure amoureuse avec Geneviève. En effet, l’auteur décrit dans une narration fragmentée, les souvenirs d’un homme ressassant pendant son vol et ses escales, une histoire d’amour déchirante. Après la guerre, l’homme rencontre cette femme, mariée à un ennuyeux mari, et vit un amour impossible et fugace, car l’existence de chacun, surtout celle de Jacques, ne peut convenir pour cette relation.
L’écrivain met en puzzle cette belle histoire insaisissable, car elle suit le flux des pensées d’un être seul survolant des contrées hostiles et devant contrer les éléments dangereux de la nature dans une machine au fonctionnement fragile et incertain, car encore trop sommaire pour l’époque. Le rythme tout en phrase courte contient une délicate énergie avec des images marquantes et précises. Saint-Exupéry joue sur les sens et l’environnement infini (que ça soit le ciel ou le désert) dans lequel Bernis se projette, d’où ce style très métaphorique. Les chapitres sont ainsi comme des poésies furtives, une façon efficace de retranscrire la gravité dramatique du lien entre l’homme et la femme et de la fuite en avant du personnage, dont le métier maintient en lui une profonde solitude, car il ne peut se compromettre aux normes de la société. Le romancier interroge la figure du pilote, comment son travail et sa solitude le tiraillent entre ses défis géographiques et sa passion amoureuse. Quand il est sur terre en métropole, l’homme se trouve dans l’inconfort (alors qu'il essayait de ne plus être un nomade et aurait voulu s'enraciner) son besoin de mobilité et d’action se rend nécessaire et il devient lui-même que lorsque son corps et son esprit se trouvent dans l’isolement du vol aérien.
Courrier Sud est au final l’épopée intime d’un homme brisé par un amour sans espoir, mais aussi la manifestation d’un éveil spirituel et du désir de liberté — malgré les sacrifices — d’un être existant entre ciel et terre. Enfin, c’est le premier récit autobiographique plein d’ébullition d’un artiste animé par ses deux passions : l'aviation et la littérature.
Vol de nuit (1931)
Dans Vol de nuit, Saint-Exupéry plonge le lecteur dans un bout de vie de pilotes qui assurent la liaison postale entre différentes villes. L’action se déroule en une seule nuit et en Amérique du Sud. Nous suivons parallèlement deux récits : au sol, Rivière, le chef de la compagnie aérospatiale qui dirige les missions de ses pilotes. Ce dernier veut prouver que l’avion est le moyen de transport le plus rapide pour acheminer le courrier, sauf que les pilotes doivent le faire en pleine nuit pour ne pas perdre de temps et ce paramètre rend les missions extrêmement dangereuses. Dans le ciel, nous suivons le destin tragique de Fabien, un pilote emprisonné dans une tempête lui empêchant de retourner à son port d’attache.
L’œuvre prend comme contexte les balbutiements du transport en avion, une période pionnière qu’a vécue l’auteur en étant lui-même le chef d’une compagnie aérienne en Argentine. Saint-Exupéry retranscrit les risques impalpables de piloter la nuit, le côté hasardeux et risqué de ces missions. En même temps, il peint le mystère mystique de la nuit et la sensation qu’elle procure à ceux qui la regardent d’en haut et d'en bas. C’est un livre sur le dépassement de soi sur le surpassement de la peur de mourir et sur la volonté, Rivière veut de ses hommes le meilleur, qu’ils puissent atteindre une prouesse surhumaine et sacrificielle pour atteindre leurs objectifs. Ses décisions sont implacables et sévères, car pour lui, c’est une question de vie et de mort. Cela peut paraître déshumanisant, mais le personnage n’est pas apathique, au contraire. Il lui faut du courage et de la détermination pour pouvoir donner des ordres quasi suicidaires et pour se confronter aux veuves des défunts pilotes. Le sentiment et l’accomplissement du devoir sont pour l’écrivain le meilleur moyen d’atteindre le bonheur, du moins c’est ce qui laisse paraître à travers Rivière et de son « obscur sentiment du devoir plus grand que celui d’aimer. »
Enfin, le geste de l’action s’insère vivement dans les méditations des personnages. Elle a une dimension sacrée faisant lien avec la dimension nocturne, poétique et contemplative du récit. Tout cela laisse transparaître une notion d’héroïsme très authentique et intime. Le livre nous fait alors vivre une expérience documentaire et en même temps spirituelle, dans ces machines volantes, dans la tête de ces aventuriers, proche de leur cœur téméraire et près des étoiles.
Terre des hommes (1939)
Terre des Hommes est un essai autobiographique dans lequel Saint-Exupéry aborde ses valeurs humanistes, à travers une série d’histoires de ses voyages, lorsqu’il était aviateur pour l’Aéropostale. Dans divers chapitres, avec une forme sobrement poétique, il relate d’abord les exploits des pionniers de l’aviation comme ceux de Mermoz ou Guillaumet, prêts à mettre en péril leur vie contre des conditions météorologiques dangereuses, pour ouvrir la voie à des nouvelles routes aériennes. L’écrivain en profite pour méditer sur le progrès technologique, dont celui de l’avion, qu’il voit comme un outil pour servir les hommes et non comme une fin en soi. Pour lui, l’Homme est trop obnubilé par un progrès excessif et à tendance à oublier son essence. Aussi, qu’importe le perfectionnement de la machine, l’homme est en conflit permanent avec les éléments fondamentaux, rappelant les diverses réflexions sur le rapport animiste entre le pilote et la planète, car vu du ciel, on retrouve une nature primitive et originelle, tout comme les Hommes que l’on voit différemment.
Plus le fil du livre se suit dans une capsule sensorielle où les réflexions se mêlent avec une mosaïque émotionnelle, plus la notion d’espace-temps devient floue, car l’écriture nous absorbe dans une douceur philosophique et méditative qui ne prend plus en compte les notions de lieux et de temps. C’est le cas lorsque l’auteur, en Argentine, se voit accueillir dans une maison de fermier et voit la vie simple, digne et douce que la famille mène. Un havre de paix qui se transforme toujours en désert, et ce motif du désert est central dans le livre comme le démontre toute la survie de Saint-Exupery dans un désert après un accident. Gagné par la faim, la soif et le désespoir, il comprend ce qu’est la solitude, ne plus croire en rien, être au bord de la mort et du néant intérieur. Sauvé par un Bédouin, l’auteur consacre aussi ses interrogations sur le mode de vie des peuples autochtones, sur leur notion de liberté, de religion et leur sens de la vie.
Au fond, l’écrivain se demande ce qu’est un homme et quelle est sa vérité. C’est à travers cette philosophie et cette fable de la terre qu’il déroule ses notions de camaraderie et d’amitié, d’héroïsme et de responsabilité, mais surtout de l’inflexibilité exigeante des relations qu’il faut garder pour survivre et qu'il n'y est pas de Mozart assassiné, c'est-à-dire d'enfant vivant dans la misère sociale et n'ayant pas la chance de devenir un grand Homme.
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