[Cinéma] DERAY Jacques (1929-2003)

Annotations

La Piscine (1969)

Borsalino (1970)

Flic Story (1975)

Le Gang (1977)

Un papillon sur l'épaule (1978)

Trois hommes à abattre (1980)

Le Marginal (1983)


La Piscine (1969)

La Piscine est un drame psychologique opposant un troublant contraste entre l'idyllique lieu de vacances ensoleillé (une villa bourgeoise paradisiaque) où se côtoie la beauté magnétique et iconique de Delon et Schneider, et le ballet malsain entre ce couple libidineux et en état de crise, et leurs invités. Dans ce quasi-huis clos, c’est autour de la fameuse piscine que les corps se tournent, s’alanguissent et s’exposent, mais surtout où se déroule le meurtre glacial. Deray garde sobrement le même rythme lancinant dans une mise en scène rigoureuse. Il fait transpirer une atmosphère érotique mais vicieuse, une sensualité humide mais distante et des tentations passionnelles qui se transforment en acte mortel. La lenteur des mouvements rend palpable toute la tension sulfureuse où les intentions sont dissimulées par une surface superficielle à la lisière du rêve, des faux-semblants, des mensonges et des couleurs chatoyantes. Au final, c’est une étude de mœurs sur les classes aisées de la bourgeoisie, elle expose comment leur ennuie, la jalousie, le désir d’élévation sociale et les dysfonctionnements amoureux exorcisent les tabous et les fantasmes de la société et comment tout cela peut faire franchir la ligne de l’interdit.


Borsalino (1970)

La qualité indéniable du film est celle d’avoir en vedette les deux plus grands acteurs français de l’époque : Delon et Belmondo. Leur amitié, leur rivalité et leur ego se confrontent à l’instar des deux mafieux qu’ils incarnent dans le Marseille des années 30. Histoire inspirée librement par le récit vrai de Paul Carbono et François Spirito, l’œuvre nous plonge dans une vision romancée du grand banditisme marseillais. La reconstitution se voulant réaliste et prestigieuse, le style se rapproche du cinéma de gangster social de la Warner des années 30. On pense au montage concis de Little Caesar et au rythme ascensionnel des Fantastiques années 20 dont les deux se prêtent à une violence sèche et directe. Les deux stars portent le film grâce à leur fascinante complémentarité, l’élégance froide de Delon se marie avec la pétulance séductrice de Belmondo, et leur présence imposante à l’image est bien équilibrée par Deray. Borsalino contient une nonchalance qui cache une vision crue et sans merci d’une structure criminelle labyrinthique où les hommes se remplacent et tombent comme des pions. C’est alors un mélange fructueux entre la légèreté populaire du divertissement et l’amertume noire de la tragédie.


Flic Story (1975)

Flic Story relate avec une reconstitution précise la traque de l’inspecteur Borniche qui neutralisa l’ennemi public n°1 de l’après-guerre : Emile Buisson. Incarné par Delon, Borniche est un anticonformiste déterminé, minutieux et efficace, un humaniste honnête qui doute, craque et se trouvant plus dans la réflexion que l’action. Le bandit, joué par un Trintignant au minimalisme glaçant, est un criminel psychotique, qui tue pour l’argent, mais aussi pour le plaisir avec un sang-froid impitoyable. Le film contient une solidité rigoureuse grâce à une mise en scène sans artifice qui décrit le microcosme de la police et du banditisme. Sa linéarité clinique et son savoir-faire soigné procurent une forme d’épure classique et en fait un polar sobre et haletant qui alterne entre le parcours ensanglanté de Buisson et l’enquête assidue et parfois stagnante de Borniche. L’atmosphère post-Libération de la France en pleine grève donne un côté blafard à cette lutte à distance entre les deux vedettes. L’œuvre intègre des fragments d’ambiguïté comme le démontre l’épilogue où se noue une relation respectueuse entre le chasseur et la proie*, avant que Delon nous dise froidement et face-caméra le lieu et la date d’exécution de Buisson.

 

*On peut voir dans cette scène une façon pour Delon de rechercher continuellement un partenaire de jeu, à la fois frère et double, qu'il n'arrivera jamais à trouver et à se satisfaire. Toute la scène précédant cette annonce se déroule dans une ambiance flottante qui procure une étrangeté à cette fin sinueuse. Avec le regard de Delon braqué sur le spectateur, Buisson devient comme un spectre qui se perd dans les limbes.


Le Gang (1977)

Le Gang se trouve entre Borsalino et Flic Story, le premier pour l'analyse des comportements de bandits dans leurs actions professionnels, mais aussi dans leur vie privée et familiale, tout cela avec une bonne humeur et un humour décontracté et ensoleillé. Le deuxième pour son inspiration d’un fait divers réel qui adapte aussi un livre de Borniche sur l’histoire du Gang des Tractions-Avants. Ici, les voyous sont sympathiques et ne tuent personne, mais la violence tragique est de mise, notamment dans cette fin où Delon joue les gangsters romantique au destin funeste en mourant de façon absurde. Il est drôle de voir l’acteur affublé d’une perruque bouclée, mais c’est une période où il a la volonté de se renouveler dans ses rôles. Il incarne un psychopathe fou, impulsif et charmant, se laissant aller à une rage cathartique loin de ses compositions froides et impassibles. Comme à l’accoutumée, Deray instaure une reconstitution soignée et élégante ainsi qu’une action rigoureuse classique, jonglant entre le charme pittoresque d’une campagne champêtre et le Paris morne d’après-guerre. Narrée par le point de vue de la dulcinée de Delon, elle rajoute un point de romance à ce polar plaisant.


Un papillon sur l'épaule (1978)

Un papillon sur l’épaule débute comme un film de faux coupable à la Hitchcock où Lino Ventura se voit prit au piège dans un complot obscur. Mais en découvrant ce cadavre dans une chambre d’hôtel, le personnage rentre dans un monde insensé dont l’issue est condamnée. Barcelone, le lieu de l’action, devient une zone d’enfermement duquel Deray extirpe un dédale au cauchemar kafkaïen. Inspiré par les thrillers paranos américain des seventies, l’auteur dévoile toute l’absurdité de ce monde inquiétant où les événements nous dépassent. Tout le monde est susceptible d’être un espion dans cette société au danger abstrait, faisant de la ville un espace claustrophobe. De plus, la sobriété de la mise en scène avec son suspense feutré procure encore plus d’étrangeté dans l’ordinarité de cette ville. L’esprit cartésien de Ventura essaie de comprendre, déambule dans une machination qui le broie et dans un dénouement qui n’avance jamais. Comme chez Buñuel, le récit avance dans un illogisme narratif, jongle entre la folie et la raison et coule avec une exaspération flegmatique et une lenteur étouffante pour montrer que nous sommes les spectateurs d’un ordre supérieur et insaisissable qui nous avale par ses pouvoirs occultes.

 

Le choix de Ventura est parfait, car sa personnalité terre-à-terre et active contraste avec l’incompréhension et le paradoxe de cette intrigue procurant plus de questions que de réponses. Il parle et interroge, il essaie de tout savoir, mais ne sait rien, lui faisant seulement répéter ce que disent les autres protagonistes. La dernière scène où le personnage meurt par un tir invisible devant des passants qui ne s’arrêtent pas, montre un monde indifférent face à la mort. Nous ne sommes que des pions interchangeables, éternellement surveillé, que l’on peut manipuler et éliminer sans scrupules. Cette fameuse scène fut tournée en caméra cachée donc aucun piéton ne s’est réellement arrêté, renforçant l’impression glaçante et troublante de réalisme de cette société qui se déshumanise au gré du début de la mondialisation.


Trois hommes à abattre (1980)

En perte de succès, Alain Delon, tente le gros coup promotionnel en amoindrissant ses apparitions à l'écran et en revenant vers une persona et un genre qui ont bâti son mythe. Sans être un grand film, Trois hommes à abattre est une œuvre à la forme d'un thriller hitchcockien, c'est-à-dire, un homme innocent se trouvant au mauvais endroit et au mauvais moment, devant échapper à un danger permanent. Ici, celui de plusieurs tueurs à la botte d'un magnat spécialisé dans l'armement. L'acteur joue cet homme, un joueur de poker solitaire froidement déterminé, peu expressif et à la sociabilité difficile. Le film se concentre sur une action énervée, à l'image de cette traque à l'homme dans une ambiance étouffante et d'une austérité noire. Le rythme est fonceur et offre des rebondissements surprenants (la course-poursuite à l'allure nerveuse et génialement découpée), il dirige toujours sa cadence vers une fuite en avant fatalement mortelle. Deray ne lésine pas avec la violence (les exécutions à bout portant très frontales, lorgnant avec la brutalité sèche du neo polar italien) et met en exergue un échelon graduel de mort, quitte à pousser vers l'absurde pour dépeindre un monde à l'ironie morbide mais surtout tragique.


Le Marginal (1983)

Le Marginal est un film populaire qui surfe sur une mode du cinéma d'action grand public faisant écho au voisin d'Outre-Atlantique avec les vigilant movies et le film n'a aucune nuance sur ce que doit être la justice. Si le spectateur arrive à passer au-delà de cet aspect, il peut profiter de ce thriller urbain haletant, à la mise en scène rigoureuse et musclée. C’est en effet un polar noir efficace, à la violence crue et dont Belmondo incarne avec une persona qu'il a depuis Peur sur la ville. Il joue un policier marginal, et déterminé à attraper un trafiquant de drogue, plus ou moins protégé par un État corrompu en passant au-dessus de la loi. Cette détermination se ressent dans le rythme dynamique du récit puis les nombreux déplacements et allers-retours de l'acteur qui enchaîne avec nervosité : courses-poursuites (des hommages de filature stimulante à la French Connection et à la Bullit), bagarres et fusillades, et tout cela dans des lieux vicieux, sordides, délabrées ou en pleine ville polluée. L’œuvre appuie sur l'image des bas quartiers parisien (et fait un contraste avec l'ouverture solaire de Marseille), quitte à être caricatural dans ces décors coupe-gorges où se côtoie une cour des Miracles malfamée.


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