[Cinéma] CASTELLARI Enzo G. (1938-)

Annotations

Tues les tous, et revenez seuls ! (1968)

Le Témoin à abattre (1973)

Keoma (1976)

Une poignée de salopards (1978)


Tuez les tous, et revenez seuls ! (1968)

Ce western se situe entre deux films matriciels : Le Bon, la Brute et le Truand et Les Douze Salopards. Pour le premier, le cinéaste, reprend l’idée d’un groupe de personnages en quête d’un trésor en plein milieu d’un ample enjeu historique, en l’occurrence la Guerre de Sécession. Pour le deuxième modèle, il récupère le schéma d’une bande de malfrats professionnels très différenciés entre eux qui s’unissent pour accomplir une mission quasi-suicidaire. Les personnages sont réduits à leur gueule, chacun est caractérisé par son physique, sa spécialité et ses compétences, et s’inscrivent dans un récit restreint à un enchaînement survolté de blocs d’action pur et dur. Castellari n’a pas la prétention d’offrir plus qu’un film à l’amusement baroque et explosif. On le voit par sa façon inventive et jouissive d’utiliser une mise en scène aux effets ostentatoires et aux prouesses volontairement irréalistes. Sans être une parodie, il s’attache à un horizon primaire qui se rapproche de la bande dessinée. Clair, sans fioritures et furieusement récréatif, géré par un montage énergique et sans temps morts, le film mêle avec bravoure : duels déjantés, gunfights homériques, effets rocambolesques et film de commando efficace.


Le Témoin à abattre (1973)

Le Témoin à abattre fixe les contours et les bases du poliziottesco* en suivant le parcours d’un inspecteur droitier, excité et rageur, épuisé de voir une police laxiste et une hiérarchie désarmée, et tiraillée dans son envie de se mettre en marge de la loi pour faire triompher la justice. Il est plongé dans une Italie en proie au crime et dans ses années de plomb où règne une insécurité totale. Le film veut rendre compte d’une réalité sociale nouvelle et des tensions de l’époque entre la gauche et la droite. Fiction de gauche se faisant un thermomètre en temps réel, mais qui prend une forme anarchique de droite, car c’est au fond un western outrancier et baroque, inspiré par la violence éprouvante de Peckinpah et un comique bouffon. L'œuvre emprunte aussi la rapidité nerveuse des polars modernes américains en nous projetant dans l’urgence et la précipitation avec un réalisme énergique et un rythme fonceur. Elle épouse sans concession et avec pessimisme une suite d’exécution sadique et une dégringolade pour un flic qui passe son temps à échouer, conscient de sa propre impuissance et ravagé par l’absolutisme de son obsession pour le crime qui convertit sa vie en une zone de guerre introspective où le combat est perdu d’avance. 

 

*Le genre est inspiré par des origines nationales-matricielles avec Bandit à Milan (1968) et exogène avec Bullit (1968), L'Inspecteur Harry (1971) ou encore French Connection (1971) à qui Castellari emprunte dans une forme de continuité le personnage de Fernando Rey. Sorte de mafieux (l'œuvre commence à Marseille avant d'aller dans la dureté industrielle de Gênes) restant dans la tradition honorable de la mafia, mais qui tente vainement de maintenir l'illusion de son pouvoir.


Keoma (1976)

Keoma provient de l’esprit nostalgique de Castellari et de Nero, qui regrettent le temps des westerns made in Cinecittà, devenus des films à veine auto-parodique et faisant expirer le dernier souffle du genre. Dans la droite lignée des films de Corbucci comme Django, Keoma est l’un des derniers grands westerns italiens, chant du cygne d’un genre tombé en désuétude et prêt à disparaître. Le film a su injecter du nouveau dans certaines conventions du genre, tout en étant un retour aux sources du western spaghetti : héros solitaire et meurtri, individualisme exacerbé, gros bonnet despote qui tient une ville sans pitié, jalousie et haine dans une même famille, recherche d’identité, personnage symbolique, poids de la fatalité et du destin, empathie pour les marginaux exclus ou encore ambiance au pessimisme crépusculaire. 

 

L’auteur veut conserver l’héritage des grands auteurs du genre sans être dans l’album de référence. On retrouve une mise en scène lente et des attitudes hiératiques chères à Leone, mais rapidement l’œuvre s’adonne à des audaces stylistiques renouvelantes comme les flashbacks qui s’inscrivent fluidement dans la réalisation où deux actions de continuités spatio-temporelles différentes s’entremêlent sans montage pour faire côtoyer passé et présent. Ainsi, on apprend l’identité du personnage par cette manière, allant en contradiction avec l’archétype habituel du héros dont on ne connaît pas le passé. Le film reprend beaucoup du scénario de Django, avec ce pistolero qui s’oppose à des brutes racistes humiliant la population locale et vivant dans un village désert en décrépitude. 

 

Mais à la différence, la dimension de la peste appuie sur le côté tragique et lépreux, ainsi que celle de la Mort qui hante le parcours du personnage, victime du génocide des Indiens, dont il est originaire, laissant derrière lui de nombreux morts. Il porte le poids de la fatalité, comme le montrent ses plusieurs échanges bergmaniens avec la Mort-vieille. Il n’est pas le Christ comme on pourrait le penser avec son look d’hippie justicier, mais seulement un solitaire meurtri à la philosophie de vie désenchantée. En cela, le film est dans la continuité de ses prédécesseurs et boucle la boucle dans une tonalité mélancolique qui, évidemment, se rapproche de Peckinpah dont le cinéaste reprend encore une fois son art du ralenti et du montage syncopé pour réaliser des gunfights vigoureusement chaotiques et très lyriques.


Une poignée de salopards (1978)

Bien avant le Inglorious Basterds de Tarantino (dont il reprend surtout le titre), Castellari réalisait son propre film de guerre avec un groupe d’hommes condamnés à la cour martiale, mais qui arrivent à s’enfuir pour mener leur propre guerre. Film d’aventure comique, mais aussi sous influence du Croix de fer de Peckinpah dont il reprend les ralentis opératiques et le ballet de violence en pleine 2nd Guerre Mondiale, l’œuvre se veut surtout d’un charme viril, décomplexé, picaresque et comme une farce bordélique. Ces soldats criminels sont de joyeux allumés en pleine tribulations, hétéroclites dans leur style et leur apparence, qui rythment de façon endiablée un récit truffé d’actions extravagantes, d’explosions pétadarantes et de distraction épique. L’œuvre peut se voir comme une version dégénérée des Douze salopards, sans être moins grinçant et acide, mais ayant la même volonté de déconstruire l’idéal du héros pour célébrer des anti-héros renégats. Mais, derrière son second degré réjouissant et son héritage subversif, Castellari inclut une réflexion candide, parfois désenchantée, sur l’absurdité de la guerre, sur son chaos inévitable et sa confusion anarchiste où la frontière des camps devient floue.


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