[Cinéma] CEYLAN Nuri Bilge (1959-)

Annotations

Kasaba (1997)


Kasaba (1997)

On retrouve dès le premier film du cinéaste turc de longues conversations tendues et intenses qui évoquent un passé lointain, autant historique que personnel. À l’image de ce grand-père, qui, autour d’un feu, raconte la guerre, tandis que le fils parle d’Alexandre le Grand et de la façon dont il a dû faire des compromis pour faire de grandes études, face à un cousin insociable et acrimonieux, qui n’accepte pas le destin qu’on lui prédit et qui veut partir de ce village perdu. Ce dernier anticipe les personnages stendhaliens de l’auteur, solitaires, incompris et fiers de leur orgueil, mais qui ne trouvent pas leur place dans une société ne leur laissant aucune chance.

Il veut se libérer de ce néant dans lequel son cœur et son corps s’échappent, cette liberté symbolisée par les deux écoliers, indifférents aux règles rigides et politiques que le professeur leur enseigne, mais aussi aux discussions éternelles des adultes. Ils préfèrent se laisser porter par le passage des saisons, les puissances du songe pour ne pas se confronter au monde cruel de l’institution. Le cinéaste les filme comme des sujets ayant un désir d’ailleurs, il y a une envie de hors-champ, de se séparer du dedans (l’espace du savoir) pour le dehors (l’espace de la nature). Toute cette scène résume le rêve cotonneux dans lequel les enfants dilatent et arrêtent le temps en s’ouvrant à la contemplation des petits riens imperceptibles.

Avec cette manière de se concentrer délicatement sur les perceptions de l’enfance par des stimuli visuels et sonores, on pense au cinéma de Kiarostami, mais aussi à celui de Tarkovski pour la dimension sensorielle et panthéiste du monde. Toute la balade du frère et de la sœur dans la forêt est hors du temps, onirique et diffuse. Elle défie les logiques narratives, les espaces disjoints et met en lumière les liens invisibles entre l’homme et son environnement, un espace qui devient magique et où les esprits demeurent. Mais ce milieu envoûtant peut être aussi piégeur, comme le démontre la trajectoire contraire aux enfants, celle du cousin, qui, lui, se trouvant dans une fête foraine, paraît comme ravalé par cet environnement duquel il n’arrive pas à se détacher. Tout l’échange agité autour du feu (on pense à Tchekov pour la durée et la violence) exprime son désarroi, il est bloqué entre ces deux mondes, adulte et enfant. Alors que les adultes parlent mais ne vivent pas, les enfants vivent l’expérience du monde en silence.


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