Annotations
Le Chat (1971)
La Veuve Couderc (1971)
La Cage (1975)
Adieu poulet (1975)
Le Chat (1971)
Granier-Deferre adapte parfaitement la cruauté, le drame psychologique et le réalisme du
roman de Simenon dans ce film qui marque le dernier grand rôle de Jean Gabin. Il retourne à ses origines prolétaires en incarnant un typographe retraité et ancien ouvrier syndicaliste. Gabin
adopte un jeu sobre et émouvant, abandonnant son rôle de patriarche causeur, tandis que Signoret ajuste son interprétation à son âge, jouant une femme pathétique devenue une relique pour son
mari, qui ne lui prête plus aucune attention, préférant le chat qu’il a recueilli. La mise en scène de Granier-Deferre, très minutieuse, mêle décors naturels et studio, principalement dans le
pavillon insalubre du couple et figé dans le temps, créant ainsi un huis clos oppressant et mélancolique. Il se distingue également par quelques flashbacks impressionnistes montrant une époque
révolue où l’amour et le bonheur régnaient dans le couple.
L'intérêt du film réside aussi dans sa description implacable de la vieillesse et de l'approche de la fin, ainsi que dans son traitement sociologique et poétique des transformations urbaines de
la banlieue parisienne des années 70. Les scènes montrent la destruction des pavillons populaires au profit des grands ensembles, accentuant le caractère pessimiste et dépressif du film.
Courbevoie, en pleine métamorphose lugubre, insalubre et en ruine, devient le reflet du couple vieillissant, des vestiges de leur amour enfoui, de la disparition de toute une classe ouvrière,
mais aussi de deux monstres sacrés du cinéma français.
*Alors que les vedettes des années 1930 vieillissent, la France change de visage avec les reconstructions des banlieues qui modernisent brutalement le paysage. En
tournant Le Chat, Granier-Deferre fait un écho aux aspects bucoliques filmés par Jacques Becker dans Casque d’or, avec la même Signoret. Les bords de Seine édéniques ont été
remplacés par des chantiers chaotiques ; de même, le visage de Signoret se détériore et devient boursouflé par l’alcool. Le désespoir profond de l’œuvre atteint son apogée lors d'une scène, au
ralenti, où, à sa fenêtre grillagée, Signoret voit une boule de chantier détruire un mur de brique. Le mouvement de son visage entame l’effondrement du mur, comme si la grue frappait non
seulement l’immeuble, mais aussi elle-même, chose que l’on peut voir comme son union avec l'espace urbain en déclin.
La Veuve Courderc (1971)
La Veuve Couderc raconte la relation, en dehors des conventions sociales et morales
du pays, entre un ancien bagnard offrant ses services comme ouvrier dans une ferme, et une propriétaire vieillissante, dans la France rurale des années 30. Ce drame rural se déroule dans une
atmosphère viciée, marquée par l’avarice paysanne, les tensions familiales, la curiosité haineuse et la montée du fascisme. Le film capture la tristesse poisseuse propre aux romans de Simenon,
tout en ayant une certaine rudesse et une crudité campagnarde.
Delon, comme souvent, incarne un nouveau rôle d’homme solitaire et blessé à la destinée tragique, avec son mutisme et son passé mystérieux. Signoret, arborant désormais le masque d’une vieillesse
précoce, apporte une intensité dramatique puissante et prolonge, comme dans "Le Chat", son personnage de femme âgée déclinante, blessée dans sa solitude. Le cinéaste explore la relation
psychologique entre l’homme et la veuve, montrant une connexion fusionnelle, mais ambiguë quant à son caractère amoureux réel. Leur relation intrigue et perturbe dans un pays marqué par les
préjugés et les ressentiments, où l’influence des Croix de feu, de la propagande de l’Action française, de l’antisémitisme et la crainte des révoltes ouvrières conduisent inexorablement au
massacre final orchestré par la police.
La Cage (1975)
Avec La Cage, Granier-Deferre réalise un huis clos dramatique et psychologique à travers le récit d’un homme rendant visite à son ex-femme avant que cette
dernière ne l’enferme dans un piège, celui d’une cave munie de barreaux, afin de garder de force l’homme auprès d’elle, car elle n’accepte pas leur rupture. Le classicisme formel habituel de son auteur permet de faire un récit dépouillé qui ne se perd pas en fioritures et qui va à l’essentiel. L’auteur fait naître rapidement un
sentiment de claustrophobie grâce à une mise en scène qui tire davantage les limites exiguës de l’espace où se trouvent les personnages. Chaque détail est exploité afin d’entrevoir la possible
solution pour Lino Ventura de s’échapper de ce calvaire imposé par Ingrid Thulin. D’ailleurs, le duo porte également le film grâce à une interprétation qui pousse les comédiens à exprimer la
colère, les non-dits, l’incompréhension, le silence, l’humour noir, l’impuissance, la frustration, l’amertume et la tristesse.
Le choix de Thulin fait évidemment penser au cinéma de Bergman, le grand cinéaste des relations amoureuses tourmentées, des crises existentielles, des
confrontations émotionnellement tendues et des complexités psychologiques. On retrouve d’ailleurs ce même rapport (évidemment sans cette profondeur philosophique, esthétique et existentialiste)
aux dialogues intenses développés avec peu de personnages et dans un lieu restreint, ainsi que cet accent mis sur l’expression des visages et sur l’intimité d’un couple.
L’œuvre rejoint également les autres relations tumultueuses des films de Granier-Deferre, sur fond d’hostilité, dans un contexte d’enfermement physique ou mental et
pendant une période de mutation sociale, que l’on retrouve dans La Veuve Couderc ou Le Chat. La fin de La Cage nous laisse dans une ironie et un espoir interprétatifs :
les deux personnages s’aiment sûrement toujours autant malgré cette séquestration surréaliste, comme si le lien indéfectible de leur amour était toujours présent.
Adieu poulet (1975)
Adieu poulet est l’histoire de deux policiers qui se trouvent sujets à l’hostilité de leurs supérieurs et d’un politicien conservateur dans la ville de
Rouen en pleine élection où les meurtres, les magouilles, les pressions politiques et les coalitions suspectes entre truands et notables locaux vont bon train. Le duo est composé de Lino Ventura et Patrick Dewaere ; le premier, avec sa force bourrue et inflexible, croit en certaines valeurs qu’il ne partage plus avec personne. Ce
dernier utilise l’enquête comme un baroud d’honneur pour ridiculiser les pourris qui contrôlent la ville. Le second est un chien fou, gouailleur et cynique, qui n’a aucun espoir quant aux chances
de voir triompher l’honnêteté et la justice. En somme, le binôme sert au film à proposer deux facettes de l’idéalisme et de l’anarchisme face à l’hypocrisie, la lâcheté et la
corruption.
Le film se rattache aux polars politiques alarmants d’Yves Boisset avec ce témoignage cinglant de la France giscardienne, mais le succès commercial du film vient
probablement du fait qu’il est plus accessible que les brûlots de l’époque, notamment par son choix de répliques cinglantes et ses notes humoristiques sur les vices humains. En effet, "Adieu
poulet" est une comédie policière écrite avec la verve de Francis Veber, d’où l’humour sarcastique se dégageant de l’œuvre. Sa dose irrévérencieuse et de mauvais garçon s’adapte à la fois au
polar musclé et politique qu’est "Adieu poulet", et à l’authenticité réaliste et urbaine de son style.
De plus, c’est l’aspect buddy-movie avec ce tandem cool et rebelle, mais venant de deux générations différentes et aux méthodes différentes, qui donne cette forme
savoureuse à l’œuvre. On prend un malin plaisir à voir ce jeune moustique blagueur tourner autour d’un roc taiseux à la démarche lente et confiante, et à le pousser pour emprunter des voies
illégales et parvenir à un but similaire et une éthique commune : vaincre le rongement du système judiciaire par une corruption systémique. Mais le célèbre final, avec cette phrase culte, signe
une désillusion : l’échec des principes intègres face à la dure loi amorale de la réalité.
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