[Cinéma] HANEKE Michael (1942-)

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Le Septième Continent (1989)

71 fragments d'une chronologie du hasard (1994)


Le Septième Continent (1989)

Dès son premier film pour le cinéma, Haneke impose une forme cliniquement parfaite en filmant l'aliénation d'une famille qui se désagrège à cause des carcans de la société de consommation. Construit en trois parties, la mise en scène et le montage fragmentent le quotidien répétitif de cette famille bourgeoise et sans histoire, mais qui de façon sous-jacente souffre d'un mal-être muet et d'une détresse cachée.

 

Plus l'œuvre progresse, plus elle devient éprouvante, notamment dans cette destruction mécanique de tous les objets qui définissent leur monotone et banal quotidien (la mise en scène se rapproche beaucoup d'Akerman) jusqu'au lent suicide méthodique que le cinéaste filme avec une froideur glaçante. Avec une moralité implacable, mais jamais explicative, Haneke montre une société décérébrée et hypnotisée (la présence déjà omniprésente de la télévision dans le foyer) par l'idée de confort et de possession qui déshumanise le rapport à l'autre.

 

La simple image publicitaire de l'Australie traduit tout l'artifice de ce morne quotidien impossible à échapper et renvoie au début du film avec ces plans fragmentés qui cadrent seulement des morceaux du foyer ressemblent à des images publicitaires sans âme de la famille moyenne parfaite. Il reste que malgré l'hermétisme apparent de l'objet, celui-ci ne fait pas abstraction de l'amour que portent les membres de la famille entre eux, mais l'aliénation est tellement pesante que leur tendresse ne s'exprime que par instants, par des non-dits et des sentiments refoulés. Ainsi on pense à Bresson pour la perfection méticuleuse du dépouillement, des gestes et du cadrage, mais aussi pour cet étouffement des émotions.


71 fragments d'une chronologie du hasard (1994)

Construit comme un puzzle, 71 suit la trajectoire fragmentée de plusieurs individus qui représentent les différentes facettes de la réalité sociale et urbaine de l'époque moderne. Ses divers protagonistes sont unis par le même drame, annoncé dès le début du film : un jeune étudiant tue, sans raison, trois personnes dans une banque.

 

Haneke questionne l'origine du mal et comment celui-ci peut s'infiltrer dans nos sociétés. C'est notamment à travers de nombreuses images des journaux télévisés, montrant la violence banale du monde, que l'on peut tenter de décrypter l'aliénation et la déshumanisation des rapports humains ainsi que cette glaciation des sentiments. Ces images rendent la population passive, normalisent la violence qui n'est pas hiérarchisée, car dématérialisée et banalisée. L'impossibilité de rendre compte de cette violence maintient un processus froid, conduisant à une violence finale bien réelle, sans la médiation d'un écran.

 

Les différents morceaux de vies que l'on suit sont mis en pièces, à l'image des actualités. Ils sont secs, brefs, comme des éléments et des notes musicales qui, une fois assemblés, composent un ensemble plus étendu. Comme chez Brecht, le cinéaste invite le spectateur à questionner les images, à prendre de la distance, même si elles sont incomplètes, pour pouvoir les assembler et les comprendre.

 

Le cinéaste interroge aussi les notions de hasard et de déterminisme. On se demande si cet acte est le fruit d'une logique ou non, venant d'une violence quotidienne inscrite dans le flux des actualités miséreuses et atroces de nos sociétés. Là se déploie aussi toute la philosophie de l'auteur, qui montre que les apparences sont à la fois visibles, existantes et ordonnées, tout en possédant une mathématique mystérieuse et secrète, une logique cachée, impénétrable pour les humains, mais qui donnerait accès à la réalité.


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