Les Misérables, publié en 1862 par Victor Hugo, est une saga impressionnante, une épopée monumentale du romantisme et un objet spirituel puissant et lumineux. C'est une fresque imposante qui peint avec brio les différentes facettes de la société française du début du XIXe siècle, tout en s'imprégnant des idéaux romantiques. Hugo ne crée pas seulement des personnages, mais des figures exaltantes, faisant de son œuvre une nébuleuse de moments et d’émotions plutôt qu’une simple suite de péripéties.
Le récit commence en 1815, l'année de la bataille de Waterloo. Jean Valjean, ancien forçat, vient de s'évader du bagne. Dans un geste désespéré, il cambriole l'évêque Myriel, qui lui pardonne magnanimement. Cet acte de bonté transforme Valjean, qui jure de ne plus jamais faire le mal. Tout au long du roman, qui s'étend sur plus de quinze ans, Valjean mène une vie honnête, aide son prochain et promet à la mourante Fantine de s'occuper de sa fille, Cosette. Il sauve Cosette des griffes des infâmes Thénardier, des aubergistes sans scrupules, et s'installe avec elle à Paris. Cependant, il est constamment traqué par l'infatigable inspecteur Javert, déterminé à le renvoyer au bagne. Valjean et Cosette se cachent dans un couvent. Quelques années plus tard, Cosette grandit et attire l'attention de Marius, un jeune idéaliste. Marius, épris de Cosette, lutte contre la malhonnêteté des Thénardier et la ténacité de Javert, mais perd de vue Cosette et Valjean. Désemparé, il s'engage dans l'insurrection de juin 1832, une révolte politique qu'il mène aux côtés de Gavroche, le fils des Thénardier. L'émeute se termine tragiquement, mais Valjean sauve Marius en l'amenant à travers les égouts de Paris, et Marius retrouve finalement Cosette.
Victor Hugo explore plusieurs thèmes majeurs à travers cette œuvre. La justice et l'injustice sont au cœur du récit, mises en lumière par les expériences de Jean Valjean et les dysfonctionnements du système judiciaire et pénal. La rédemption et la transformation de Valjean, inspirées par l'acte de bonté de l'évêque Myriel, sont également centrales. Le roman dépeint les dures conditions de vie des pauvres et critique les structures sociales qui perpétuent leur misère, illustrant ainsi la pauvreté et l'exploitation. L'amour et le sacrifice sont présentés sous diverses formes - maternel, romantique et altruiste - montrant comment ces sentiments motivent les actions des personnages. Enfin, à travers l'insurrection de juin 1832, Hugo explore les tensions politiques et sociales de la France post-révolutionnaire.
Les Misérables est un roman vaste et complexe, divisé en cinq volumes, chacun comportant plusieurs livres. Hugo utilise une prose riche et descriptive, et intègre de nombreuses digressions historiques et philosophiques. Il n'hésite pas à interrompre l'intrigue pour analyser et commenter des événements ou des concepts, comme la bataille de Waterloo, la description des égouts de Paris, l'argot populaire ou la révolution de juillet. L'ampleur de Les Misérables contraste avec le naturalisme, ouvrant à tout l'espace social concerné : des femmes de ménage aux rois, des villes aux campagnes, des plaines aux montagnes, de Paris à la province. Hugo, premier peintre de la société moderne, prend en compte l'immensité nouvelle et angoissante de l'extension des communications et la dissolution des anciennes communautés (corporations, paroisses, provinces).
Pour revenir rapidement sur les personnages, ces derniers sont des icônes et des symboles. Jean Valjean représente la possibilité de rédemption et la lutte contre la détermination sociale, condamné à temps, mais exclu à vie, se tait dans une société qui ne lui autorise aucune réponse. Tandis que Javert symbolise la loi implacable et aveugle, tout étant lui aussi un misérable, car il se suicide parce qu'il ne peut pas réconcilier son sens absolu de la justice avec la bonté de Jean Valjean, ce qui le plonge dans un conflit moral insupportable. Cosette et Marius incarnent l'innocence et l'espoir d'un avenir meilleur, les Thénardier représentent la cruauté, la corruption et l'exploitation des plus vulnérables tout en étant des êtres résilients et ingénieux car ils résistent dans des conditions difficiles, tandis que leurs enfants, par exemple Gavroche et Éponine, représentent l'innocence sacrifiée et la lutte pour la survie dans un monde cruel et impitoyable, l'évêque Myriel la bonté chrétienne et la miséricorde, ou encore les membres de l'ABC symbolisent le courage, l'idéalisme, la liberté et la lutte pour le changement social. Le livre aborde alors la diversité des hommes, englobant toutes les générations avec leurs attitudes particulières : jeunesse avide ou ardente, résolutions de la maturité, vitalité de l'enfance et son énigmatique sagesse, endurcissement du grand âge, égoïsme et folles générosités de la vieillesse. L'ampleur de la durée permet de représenter les conditions et de peindre les individualités aux fluctuations historiques, rappelant un côté balzacien. Le livre assume explicitement le XIXe siècle tout entier, par toutes sortes de plongées dans le passé lointain et l'avenir, présentant le XIXe siècle comme un âge nouveau, l'âge démocratique et montrant une humanité consciente, maîtresse et responsable de son histoire, sans Dieu ni empereur.
Hugo rompt avec toutes les distinctions littéraires, génériques et sociales, mêlant le roman-feuilleton et le mélodrame à la tragédie, le roman social et psychologique au conte, la comédie au roman d’aventure, la prose à la poésie, le reportage à la prophétie, l’idylle à l’épopée. Il poursuit l'ambition romantique d’un livre unique, destiné autant aux gens cultivés qu’au peuple. Il mêle les Essais de Montaigne, les Pensées de Pascal, les contes de la philosophie des Lumières, et la nouvelle métaphysique des romantiques. Le livre est une œuvre colossale, un roman spirituel, un drame dont le premier personnage est l’infini et le second, l’homme. Ce livre parle de tout jusqu’au débordement : de l’Histoire et de son horizon sans fin, de la société et de son immense misère, de l’humanité sans jamais la limiter, de Dieu non comme concept mais comme impensable, du Bien sans le limiter à une liste d’interdits et de prescriptions. Il parle de l’infini comme une présence et une force sous les formes du débordement. Il dépasse le déterminisme des personnages, qui soudainement sont animés d’une énergie et d’une volonté dont ils se pensaient incapables.
Ainsi, l’intrigue contient des coïncidences miraculeuses qui brisent l’enchaînement des causes et des effets, nous faisant croire en Dieu le temps de la lecture. Comme Cosette qui tient son seau d’eau dans la forêt avant de rencontrer Valjean, il y a comme une apparition divine faite de bonté et d’aspiration à travers la figure de Valjean. Mais c’est une œuvre qui parle des misérables, donc de l’insuffisance du réel, montrant l’idéal que certains personnages veulent atteindre, cherchant à progresser comme Hugo veut faire progresser la société à travers son œuvre. C’est pourquoi, le récit rédempteur de Valjean ne peut que se trouver dans la mort, car c’est là aussi où se trouve l’infini. On retrouve cette dialectique dans la représentation de la misère. Il montre une société qui ne saurait mettre fin à la misère, sachant qu’elle produit elle-même cette misère. Hugo montre dans la misère le contraire de la société, en même temps que son au-delà. Elle est infinie d’en bas où la vérité de l’humanité et du progrès se joue à travers sa radicale négation. Les misérables sont des tristes êtres sans nom, sans âge, sans sexe, auxquelles ni le bien ni le mal ne sont plus possibles, et qui n’ont plus rien dans ce monde : ni la liberté, ni la vertu, ni la responsabilité. Les barricades montrent bien cela, car c’est une insurrection suicidaire qui montre l’horizon de l’histoire : un échec, un geste inachevé, l’éternel héros qui se trouve sans cesse dans une injustice constante.
En conclusion, Les Misérables de Victor Hugo est une œuvre monumentale qui explore les thèmes de la justice, de la rédemption, de la pauvreté et de l'amour à travers une narration riche et complexe. Hugo, chef de file du romantisme, proclame un style flamboyant et libre, mélangeant les genres avec une audace inédite pour son époque. Ce roman reste un témoignage puissant de la condition humaine et un appel à la compassion et à la réforme sociale, résonnant encore fortement dans le monde contemporain.
Écrire commentaire