[Cinéma] DOILLON Jacques (1944-)

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La Pirate (1984)


La Pirate (1984)

Avec La Pirate, remake du Silence de Bergman, dont Doillon disait qu'il admirait Bergman car, comme lui, il faut davantage fonctionner avec ses nerfs qu'avec sa tête, il illustre de manière marquante cette idée mais aussi son thème de filmer les rapports des sentiments au corps et au langage. En effet, il offre une œuvre déchaînée sur la douleur et l’irrationalité de la passion dans laquelle les personnages s’aiment, se disputent, s’enlacent, se tordent, se frappent, se giflent, s’effondrent et se recroquevillent. Jane Birkin incarne une femme incapable de choisir entre l’amour qu’elle a pour son mari et la passion qu’elle porte envers le personnage de la somptueuse Maruschka Detmers.

En un court laps de temps, le cinéaste capte la fin d’une histoire de triangle amoureux déchirante où les clés pour comprendre les motivations et le caractère des personnages ne sont pas données. Ce qui intéresse l’auteur, c’est le déferlement de sentiments contradictoires et la fatalité mortelle vers laquelle ils se dirigent inéluctablement. Volontairement asphyxiante, l’œuvre mêle la violence aux cris, les pleurs à la haine, les confrontations à la folie, et les caresses tendres aux empoignades féroces.

Ce trio est accompagné par une petite fille, loin d'être simplement innocente, qui agit souvent comme un observateur perspicace et parfois manipulateur des dynamiques adultes, soulignant la complexité et la confusion des relations autour d'elle. Il y a aussi un clown triste, joué par Philippe Léotard, qui agit comme un miroir morbide révélant les vérités crues, les dépendances et les désirs destructeurs des autres personnages.

On ne voit quasiment qu’eux tout au long du film, errant dans des hôtels vides, des escaliers, des rues de ville morte, de chambre en chambre où les portes s’ouvrent et claquent, jusqu’à un court voyage dans un bateau froid et désert, symbole faussement évasif, qui isole plus qu’autre chose les personnages dans leurs tourments intérieurs. Doillon pousse, transforme et bouscule ses comédiens dans leurs retranchements, lorgnant avec une hystérie convulsive ; il les met à nu, au sens littéral et au sens figuré, pour imposer une intensité émotionnelle et une impudeur soutenue, appuyées par un style aux cadrages serrés, avec ses gros plans qui traquent les visages, et son atmosphère intimement oppressante.


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