Annotations
La Mort en direct (1980)
La Vie et rien d'autre (1989)
L.627 (1992)
Capitaine Conan (1996)
La Mort en direct (1980)
Le sujet de Tavernier est un propos avant-gardiste sur la décadence née du voyeurisme télévisuel. L'œil-caméra poursuit sa cible (une femme manipulée soi-disant mourante filmée à son insu par un homme ayant une caméra implantée dans le cerveau) et en fait un spectacle sordide comme le fera à l'avenir la télé-réalité. Le film est étrange, traversant les décors fantomatiques et en ruines (très usinières et rouillés) de Glasgow pour se diriger progressivement vers les paysages édéniques et primaires de l'Ouest (les landes écossaises) afin de fuir l'obscénité d'une société perverse et cynique. Le ton est résolument réaliste, malgré l'apport science-fiction et anticipatif du récit, mais il ne parvient pas à alimenter le côté traînant et pesant de la narration. L'œuvre manque d'émotion et de lyrisme, même si elle arrive à nous plonger dans l'inquiétant rapport de l'image à la mort et à sa curiosité morbide.
La Vie et rien d'autre (1989)
Dans une France en ruine et durablement marquée par la Grande Guerre, Tavernier traite d'une magnifique rencontre entre un commandant qui a pour mission
d'identifier les corps disparus et une bourgeoise à la recherche de son mari, lui aussi disparu. L'auteur réalise un farouche pamphlet antimilitariste, un film d'après-guerre qui expose les
cicatrices profondes d'un pays traumatisé. Il ressuscite la mémoire oubliée de tous les soldats disparus, longtemps enterrée consciemment par l'histoire française.
La mise en scène exploite la nature brute des décors (la brume, les terres ravagées, la boue, les couleurs bleu uniforme et marron tranchée...) et fait foi d'une
grande efficacité dans ce film au traitement historique à l'exactitude précise. Les espaces que le film montre sont souvent partagés, changés et cohabités par des hommes et des femmes aux
professions très différentes. Les personnages sont complètement imprimés dans les décors, à l'image des films de John Ford. À l'instar du cinéaste américain, le réalisateur français filme la
terre foulée par des êtres authentiques, essayant de surmonter la douleur dans des scènes collectives et altruistes, et comme lui, il lutte contre l'oubli en réveillant le passé.
Enfin, l'œuvre évite l'écueil du macabre et de la morbidité car elle est avant tout une ode à la vie, au vivant et à l'amour. Dans cette forme de document
historique, le réalisateur épouse parfaitement la dramatisation romanesque de son récit, et se paie même le luxe d'être parfois drôle, tendre et forcément touchant.
L.627 (1992)
Le film de Tavernier a définitivement posé les jalons de la chronique policière avec une forme documentaire. Il réinvente le polar, notamment en s’éloignant des
tropes du cinéma américain. Le titre en est déjà un premier indicateur, il fait référence à un article du Code de la Santé publique réprimant toutes les infractions liées à la détention, au
trafic et à la consommation de stupéfiants. À travers le point de vue de Lulu, policier de terrain des stups, passionné par son métier et voulant faire correctement son travail dans une
institution tournant en rond, le cinéaste nous immerge dans celle-ci pour dresser un constat brut et sec, évitant la plaidoirie manichéenne, tout en faisant le constat affolant d’un milieu
impuissant face aux manques de moyens matériels et aux drames humains provenant de la drogue, de la misère et de la violence quotidienne.
Mélange de noirceur, de documentation précise, d’intensité et de comédie cocasse, le film se suit dans une trajectoire frénétique et tragi-comique qui montre avec
précision les missions et la vie privée de ces policiers. L’œuvre foisonne de situations en déclinant toute ligne directrice et cadre fixe, puis surtout elle s’attache à accorder de l’importance
aux détails triviaux de la routine de ce groupe dont les gueules et les caractères hétéroclites permettent de donner toute la truculence humaine et le côté pittoresque du long-métrage. Le récit
se fait sans temps mort et avec des raccords de temporalité invisibles, comme si les personnages ne dormaient jamais (on voit peu les familles et les foyers des policiers), on passe du
commissariat à une planque de nuit, d’appartements lugubres à des chambres d’hôtels sordides, de lieux étriqués à la réalité de la rue, d’une filature à un interrogatoire.
Il est intéressant également de voir la quête intime du personnage principal, attaché à une jeune indicatrice, à la fois prostituée et toxico, qui disparaît et
apparaît au gré du récit, donnant une dimension romanesque et amoureuse à celui-ci. L’homme est également cinéaste amateur, car dans son temps libre, il filme des banquets de mariage, mais
utilise aussi sa caméra pour espionner des suspects. Ce côté méta se rajoute à la dimension sociologique et à cette croisade rigoureuse pour exposer les dysfonctionnements et les difficultés
d’une institution délabrée et abandonnée par son État.
Capitaine Conan (1996)
Le second film sur la Première Guerre mondiale de Tavernier oppose de façon dialectique deux perceptions de la mission d’un militaire. Conan est le corps franc qui fait le sale boulot avec son couteau, sa rage guerrière et sa brutalité nerveuse tandis que Norbert est le stratège idéaliste. L’un est insolent et rebelle, détourne les règles grâce à sa gouaille charismatique, l’autre suit les lois pour mieux atteindre une honnêteté impossible contre les rouages administratifs de l’armée. En effet, le cinéaste traite d’une guerre qui s’éternise à la frontière bulgare alors que l’armistice est signé. Il offre un tableau humaniste sur l’injustice de ce conflit avec ces généraux qui confectionnent des meurtriers pour les réprimander ensuite. Œuvre réaliste et crue, notamment dans la sauvagerie cruelle des batailles où la caméra immersive se fait soldat, elle se veut aussi précise dans sa reconstitution documentée afin de dévoiler la déshumanisation progressive d’hommes sacrifiés, culpabilisés, usés et dévastés au profit d’une patrie qui les abandonne. L’idée du devoir est donc renversée pour répondre à la tragédie de ces hommes devenus des machines de guerre et aux notions d’héroïsme et de paix qui sont illusoires.
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