[Cinéma] LABRO Philippe (1936-)

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Sans mobile apparent (1971)

La Crime (1983)


Sans mobile apparent (1971)

Sans mobile apparent est pour Labro l’occasion de toucher le grand public en s’attaquant au genre populaire de son époque : le polar. Grand admirateur de l’Amérique et du cinéma américain, il ne peut que s’inscrire dans la tradition française de son époque, qui s’inspire directement du genre d’outre-Atlantique. Mais le cinéaste puise d'abord dans la matière d'un roman noir américain et en faisant de son personnage un cousin éloigné de Dirty Harry

 

Trintignant joue un flic obstiné et tenace qui navigue entre une froide retenue, des manies bizarres et des explosions d’ardeur à la fois violente et énergique, comme lors de cette longue course frénétique sur le port niçois. Passage de nervosité siegelienne, à qui il emprunte un montage sans fioritures, à la fois percutant, sec et redoutablement efficace. On sait également l’impact que l’assassinat de Kennedy a eu sur le travail journalistique de Labro, événement qu’il symbolise à travers ce sniper embusqué.

 

L’œuvre relève aussi du poliziottesco, comme le démontre le choix de tourner dans un paysage méditerranéen : Nice. L’ouverture du film dévoile un plan aérien de la ville, révélant un visage luxueux, estival et pittoresque, mais qui cache en réalité un lieu de crime à la dimension portuaire et tentaculaire, à l’instar de certaines métropoles italiennes. Autre inspiration transalpine, outre la musique de Morricone, on retrouve une forme giallesque par moments, car le cinéaste travaille une sorte d’étrangeté troublante et malsaine avec ce tueur indéfinissable, ganté et invisible (souvent en vue subjective), qui tue sans qu’on puisse l’atteindre, dans cette architecture géométrique, baroque et contemporaine. Il y a également l'érotisation des personnages féminins ainsi que la quête vengeresse de son tueur, assassinant les personnes ayant violé sa conjointe dans le passé et qu’il ne peut plus toucher, car traumatisée. Cela fait naître chez l’homme, une frustration sexuelle qui déborde vers une pulsion de mort. 

 

Enfin, Labro critique, avec une tonalité satirique, carnavalesque et volontairement sans nuance, une bourgeoisie oisive, menteuse et manipulatrice, qui entretient des liens étroits avec les pouvoirs afin de se permettre les actes les plus abjects et inavouables, à l'image des films de Chabrol. C’est pourquoi l'auteur, dans ce carrefour de ses influences, exécute une belle alchimie entre Europe et Amérique, tout en ayant conscience de l’implanter sur le territoire hexagonal pour capter son époque.


La Crime (1983)

Labro réalise un nouveau polar, mais cette fois-ci en plein dans les années 80, permettant, comme d’autres polars de l’époque, de se confronter aux nouvelles idéologies de cette décennie et donc de se moderniser. Le cinéaste s’inspire des faits divers, comme les assassinats mystérieux de certains politiciens qui n’ont jamais été élucidés, pour mettre en œuvre à la fois un film d’action et de dénonciation. L’enquête d’un avocat célèbre et son enchaînement d’une série d’assassinats sont au cœur du récit et mènent à un scandale politico-financier.

 

Le personnage principal, joué par Claude Brasseur, est un flic dépressif, bourru, bougon et renfrogné, loin de l’idéal du parfait policier. En effet, il a un air blasé et mal aimable, ainsi qu’une apparence inélégante et une attitude désagréable, mais avec son humour noir, son cynisme réjouissant et sa profonde sincérité, il est le parasite qui bouscule une élite composée de nouveaux riches magouilleurs, d’une justice sournoise et de ministres corruptibles, propres en surface, mais pourris à l’intérieur. Tout le film s’amuse à jouer des contraires et des contrastes en inversant les pôles moraux et esthétiques. On le voit, par exemple, dans cette façon de présenter l’environnement encrassé et le mode de vie minable de Griffon contre le luxe permanent de ses opposants, mais finalement, ce sont eux qui sont sales et menteurs, alors que Griffon est un policier honnête, toujours déterminé et obstiné à faire connaître la vérité malgré son caractère de cochon, à l’image aussi de la jolie journaliste qui soutient l’homme et qui met en avant la profession qu’a exercée le cinéaste.

 

Au niveau de la forme, Labro utilise une sobriété réaliste et crue. Il montre le milieu de la brigade criminelle dans une atmosphère grise où l’on sent les stigmates de faire ce métier difficile, mettant en avant le rapport crédible pour rendre compte du noyau dur de la « crime ». Mais son inspiration de la formalité efficace, frappante et incisive du cinéma américain, son récit bien ficelé, toujours romanesque, et sa façon de rompre le ton pour s’aventurer vers d’autres genres, comme cette scène de suspense giallesque et sous haute tension hitchcockienne où une femme se voit pourchassée et brûlée vive dans un ascenseur, permettent de faire de cet objet un curieux film policier divertissant et en même temps une radiographie à la fois sérieuse, mais toujours avec une ironie aigre et plaisante, d’un milieu politique à l'immoralité crapuleuse.


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