Annotations
Police (1985)
Le Garçu (1995)
Police (1985)
Pialat est passé par la case polar, mais il s’éloigne sans surprise des standards attendus pour offrir un bijou rude, prenant comme contexte le milieu social de la police. Aucun romantisme ou sens romanesque n’accompagne cette œuvre anti-spectaculaire et dégraissée de tout artifice, car ce à quoi s’intéresse l’auteur, ce n’est pas l’enquête que mène cet inspecteur macho, mais les fragilités, les cicatrices, les failles et les faiblesses de cet homme qui, derrière son masque insensible, goguenard et grossier, cache une profonde solitude.
Le cinéaste ne s’attache, évidemment, à aucune tension dramatique ni suspense, seulement à un quotidien médiocre où se mêlent les groupes : flics et bandits, prostituées et proxénètes, avocats suspicieux et dealers mythomanes. Il y a forcément un aspect documenté, brutal et plus vrai que nature qui nous immerge dans ce commissariat glacialement bleuté, où s’enchaînent les interrogatoires violents et les rapports de force intenses entre suspects et policiers, puis dans les nuits moites de Paris avec sa cour des miracles magouilleuse, ses bistrots pathétiques, ses éclairages artificiels et ses trottoirs esseulés. Mais il y a surtout une histoire de deux corps et deux visages qui se nouent.
En effet, Depardieu se met à s’éprendre d’une jeune délinquante, petite amie d’un dealer, dont la relation ambiguë, sous la houlette de la caméra de Pialat, se fait d’abord de façon âpre (la claque lors de l’interrogatoire), puis progresse vers un jeu de regards, de rapprochements, de désirs dissonants, pour ensuite finir sur un resserrement du cadre qui montre les enlacements en cachette et les baisers adolescents en voiture des deux personnages. Le cinéaste pénètre leur intimité et leur vie privée pour mettre à nu leurs sentiments, comme deux gamins qui s’embrassent pour la première fois. Ces derniers retrouvent une tendresse perdue et passent aux aveux, donnant une forme de naïveté à la pureté bouleversante et faisant de cette scène la seule composée de délicatesse au milieu de ce récit sans concession. Mais la douleur pessimiste de l’auteur ne permet pas aux deux amants de finir ensemble, car chez lui, l’amour finit toujours par se déchirer, comme l’induit la dernière image fixe de l’homme qui perd son regard vers un grand nulle part aux rêves illusoires et interdits.
Le Garçu (1995)
Le Garçu peut être vu comme une synthèse des obsessions de Pialat, mais surtout un testament pour son fils Antoine, qui interprète le petit garçon du film. Sur un court temps, le cinéaste sillonne les fondements de notre existence, de l’enfance jusqu’à la mort, mais également les fondements déchirés d’un amour, créant une antithèse avec la tendresse portée à l’enfant. Toute la beauté et la puissance de l’œuvre se tiennent là, celle d’emmener sans compromis des tranches de vie avec les sentiments les plus durs et les plus doux dans cette quête d’un père ayant peur d’être oublié par son garçon. Interprété par un Depardieu à la fois odieux et amoureux avec sa femme, mais délicat et sans failles avec son fils, l’homme gargantuesquement gracieux est partagé par deux rôles, celui du père qui s’occupe difficilement de son enfant et celui du fils qui prend en charge le deuil de son père. De l’Île Maurice sur du Bob Marley à un Paris au ton bleuté et grisâtre ou encore un hôpital campagnard et catholique, Pialat filme avec liberté et sincérité les problèmes de l’affiliation familiale, de la paternité et des crises du mariage ainsi que les émotions de colère, de culpabilité, de douleur, de rire et d’amour dans les tréfonds de l'intimité.
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