[Cinéma] TRÂN Anh Hùng (1962-)

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La Passion de Dodin Bouffant (2023)


La Passion de Dodin Bouffant (2023)

C’est avec une certaine radicalité que Trần Anh Hùng juxtapose une histoire de nourriture et une histoire d’amour. En effet, en filmant le quotidien d’un gastronome et de sa cuisinière à la fin du XIXe siècle, le cinéaste donne des airs sacrés à tous ces mets luxueux qui s’enchevêtrent dans un rythme suivant le bruit des ustensiles, le bouillonnement des marmites, le gazouillement des sauces, la cuisson des viandes et la beauté des produits. Le film étire les scènes dans des plans-séquences vertigineux, mais jamais jusqu’à l’écœurement, car il veut en dévoiler toute la fine gourmandise et la complexité artisanale de cette généreuse cuisine faisant l’effigie de la gastronomie française, mais aussi afin de montrer l’importance de son pouvoir social.

 

L’attention portée à toute la confection méthodique de la cuisine se fait avec une précision pleine de grâce et une chorégraphie mouvante pour mieux capter le lyrisme voluptueux, l’harmonie gestuelle et la symphonie sensorielle de cet art de vivre. D’ailleurs, le choix de ne mettre aucune musique permet de se concentrer sur la vraie musique du film, celle de la consistance sonore du magma culinaire qui touche nos sens les plus profonds. L’œuvre est sculptée dans une douce tranquillité et une routine pleine de béatitude envoutante, appuyée par la somptuosité des lumières qui composent les plans comme des tableaux impressionnistes. Un sentiment qui naît également grâce au bonheur rustique de la campagne, à l’élégance fastueuse des intérieurs et à la nature panthéiste de l’extérieur.

 

Tout cela permet de dessiner en creux les sentiments des deux personnages qui, à travers leur passion pour la cuisine, mettent en parallèle leur passion amoureuse. La cuisine est leur manière d’exprimer leur amour, un amour qui est capté avec une délicate pudeur. Derrière leur maestria culinaire se cache la discrétion de leur relation, mais aussi toute une justesse alternant entre leur complicité en cuisine, la résistance d’une femme à la fois indépendante et amoureuse, puis les rendez-vous érotiques du soir. L’auteur permet de faire exister ce ballet silencieux, cette compétition bon enfant et ce jeu de séduction où se loge en fond une mélancolie sourde qui exprime le temps qui passe, la nostalgie, la fragilité de la vie, de sa transformation inévitable, mais aussi de la transmission aux générations futures.


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