Annotations
Le Retour de l'Inspecteur Harry (1983)
Bird (1988)
Sur la route de Madison (1995)
J. Edgar (2011)
American Sniper (2014)
Le Cas Richard Jewell (2019)
Cry Macho (2021)
Le Retour de l'Inspecteur Harry (1983)
Une femme veut se venger d’un viol collectif impuni, tandis qu'Harry est une espèce en voie de disparition, car il est un dinosaure dans sa manière d'appréhender le crime alors que San Francisco ne veut plus de lui. À la fois récit de rape and revenge et thriller haletant très sombre qui suit les traces de son maître Don Siegel (notamment dans ses nombreuses séquences nocturnes, ses jeux de lumière, sa sècheresse musclée et sa violence incisive), Eastwood garde toute l’iconographie culte du personnage et ajuste ses thèmes avec ceux de la saga : la loi, la vérité, la violence communautaire et les valeurs souillées de la justice dans la société américaine. Peut-on justifier les meurtres de la tueuse en série ? Doit-elle être punie alors qu’elle a vécu une injustice traumatisante ? Sujet complexe auquel le cinéaste-acteur donne une valeur cauchemardesque et torturée, tout en exploitant une action rythmée avec soin et rigueur. Les méchants ne sont pas du côté que l’on croit et fait de cet Inspecteur Harry l’un des meilleurs pour sa perplexité et sa justesse formelle.
Bird (1988)
Afin de témoigner de son amour pour le jazz, mais surtout pour montrer son rapport avec la communauté afro-américaine, Eastwood adapte la vie du plus célèbre des saxophonistes : Charlie « Bird » Parker.. L’auteur s’éloigne des lieux communs du biopic en proposant une mosaïque déconstruite qui est rythmée limpidement par des décrochages sensoriels chevauchant entre passé et présent afin de mieux comprendre le portrait complexe et autodestructeur du personnage. Le rythme varie de façon hétérogène comme une partition de jazz avec de nombreuses digressions mélodiques entre descentes suaves et envoûtantes puis des remontées fulgurantes et dynamiques. Bird se laisse donc gouverner par ses allers-retours pour brouiller la linéarité chronologique du récit et pour que le retour au présent soit toujours plus implacable, cruel et angoissant. D’une harmonieuse sophistication, l’esthétique joue sur l’ambivalence des clairs-obscurs et des halos bleutés de la nuit afin de faire sentir la chaleur fumante des concerts et l’impitoyable misère sociale des noirs américains. Éloge à la fois brûlant et funèbre, nostalgique et agonisant, l’œuvre filme la destinée tragique d’un pur talent qui dérive lentement vers la mort, oscillant douloureusement entre le devoir moral et la perdition des tentations.
Sur la route de Madison (1995)
Dans le parfum de la campagne de l’Iowa, Clint Eastwood réalise un mélodrame d’une grande délicatesse. Il subsiste au sein du film une passion secrète et sublime entre deux êtres opposés dans leur caractère et leur mode de vie. Ces quatre jours, ressuscités par le journal intime que lisent les enfants après la mort de leur mère, sont un profond regard sur les mémoires d’une femme au foyer dans les années 1960 renouant avec la possibilité de vivre une autre vie. L'auteur épouse une proximité sensuelle et sobre entre cette femme et cet homme (joué par lui-même) avec un attachement immédiat. Une forme de tranquillité s’installe dans cette bourgade, paisible et chaleureuse, mais aussi inquisitrice, trop curieuse et où le privée n’existe pas. Vacillant avec la fraîcheur du soir et les intérieurs en clair-obscur, l’amour qui naît dans le duo est vite désenchanté par ce renoncement auquel la femme doit céder, posant ainsi un continuel déchirement. Le cinéaste réussi avec tendresse à filmer l’érotisme, les regards, les baisers fragiles, les effleurements de mains ou encore les danses légères sur du blues dans une grande véracité et sincérité. C'est pourquoi, l'œuvre est une magnifique romance sur les souvenirs, ceux qui s'ancrent religieusement même après la mort.
J. Edgar (2011)
Le réalisateur renverse les idéaux héroïques du créateur du F.B.I., en explorant les secrets psychologiques d'un parano obsédé par sa quête de sécurité et de protection nationale. Pour cela, il englobe quarante décennies de l'histoire américaine (sans faire ressentir le poids du temps, car cet homme archaïque est toujours resté le même) dans un montage virtuose en flashbacks entre le vieux Hoover racontant son histoire à plusieurs biographes et la montée en force du jeune Hoover.
Manipulant son propre mythe pour mieux passer à la postérité, Eastwood fait de même en faisant le réagencement de la fiction pour mieux destituer la légende. Il peint dans une esthétique héritée du film noir et baignée dans des couleurs ténébreuses et sombres (donnant le sentiment d'un noir et blanc en couleur), ses névroses, ses délires mythomanes, son aveuglement, sa nécessité de perdurer, sa soif de contrôle et de pouvoir, et son impuissance à aimer, tiraillé entre la pureté de son image publique et ses sentiments homosexuels refoulés.
Eastwood ausculte ses failles intimes et ses mystères avec une pudeur et une aisance préférant la suggestion que les réponses souveraines. Le film est donc une œuvre ombrageuse, ambiguë et passionnante, dévoilant l'idée que la pathologie du personnage est celle de l'Amérique, mais aussi l'autoportrait et l'écho de l'image que l'on a construite de son propre auteur, longtemps critiqué pour un soi-disant côté fasciste (Dirty J. Edgar) et en même temps, un homme qui a gardé son indépendance vis-à-vis du pouvoir.
American Sniper (2014)
Film faisant l’apologie d’un héros américain ou démythification ambiguë d’une machine à tuer ? Les deux options sont possibles, car le cinéma d’Eastwood n’a eu cesse d’étudier en écharpe les icônes de son pays. Le cinéaste filme un homme programmé et façonné par la société américaine, quitte à rentrer dans une vision caricaturée pour mieux saisir l’ambivalence de cet homme qui est prêt à tout pour « protéger sa patrie ». Chris Kyle, porté par un Bradley Cooper à la fois massif et fragile, est le pur produit du Texas qui ne se pose aucune question lorsqu’il voit les images du 11 septembre. Il doit faire la guerre, car on lui a appris à se défendre, être un chien de berger comme l’a inculqué son père. American Sniper est un film de guerre solide et prenant, faisant des allers-retours entre les opérations en Irak et la vie quotidienne dans le foyer familial de Kyle. L’œuvre mise sur la tension, le tiraillement, la peur du doute, le traumatisme refoulé et montre en apparence l’invincibilité d’un homme déterminé qui n’est pas si invulnérable que ça. De ce fait, l’œuvre évite les questions géopolitiques de la guerre pour davantage comprendre l’anomalie de cette légende fabriquée par l’Amérique.
Le Cas Richard Jewell (2019)
Quelle est la place du héros américain au sein de la société ? C'est l'éternelle interrogation que se pose Eastwood à travers l'histoire vraie de Richard Jewell. Personnage à la fois naïf, lucide, fragile et fort, ce dernier caractérise le film humain et intime du cinéaste. Sa relation avec sa mère et son avocat prouve cet attachement profond qui s'incarne sous nos yeux. La réalisation sobre et épurée de l'auteur suit cette quête de vérité devant être dévoilée, mais aussi la position d'un homme devenu du jour au lendemain un héros puis un terroriste. À travers l'injustice qu'il a vécue, le récit propose sa vision des médias et de la justice américaine. Loin d'être manichéen, le réalisateur pointe du doigt les médias qui façonnent à leur manière une personne pour faire vendre du papier, mais également les failles du FBI, censé incarner les notions de liberté et de moralité. L'ambivalence du cinéma eastwoodien est toujours mise en évidence avec cette œuvre, questionnant sans cesse la politique de son pays maintenue dans des vertus fondatrices (liberté, sécurité, justice, propriété, protection de l'image privée...) mais dévorée par des brèches dangereuses exposant la limite de ces valeurs quand elles ne sont pas respectées.
Cry Macho (2021)
Cry Macho continue sur la lancée rédemptrice et testamentaire de son auteur et sur la déconstruction de sa persona mythologique. Eastwood en réalisateur-acteur joue un certain Mike Milo, une ancienne star du rodéo, qui après un accident sportif et la mort de sa femme ainsi que de son fils, est usé par la vie. Emmené par une dernière dette, il va au Mexique pour récupérer le fils de son ancien patron, une rencontre avec l'Autre et au passage un coq attachant et salvateur.
Comme dans "Gran Torino" ou "La Mule", le cinéaste étudie et constate le vieillissement de sa figure légendaire. Son vieux corps, sa fragilité dans sa démarche ou ses lèvres tremblantes sont des motifs assumés par Eastwood, permettant de prendre la température de son état iconographique. Dans cette traversée des frontières, il fait coexister une belle relation (même si le jeune comédien mexicain joue mal) en étant le parrain de la quête initiatique du garçon.
Le Mexique, malgré son aspect peu recommandable, devient un Eldorado fantasmé, un coin pour trouver un foyer et une utopie familiale comme le montre les quarante minutes consacrées à la vie quotidienne du duo dans une petite bourgade aux airs d'une small town très peckinpahienne. Les allures du neo-western nostalgique de ce film touchent par son humilité, son empathie et l'apaisante tranquillité vulnérable (le nombre de fois où le personnage s'assoit, se couche et attend) qui découle tout au long du récit. En même temps, la mise en scène capte avec rudesse et sécheresse ce road-movie épuré jusqu'à l'os.
Malgré quelques moments maladroits, l'œuvre touche par sa tendresse et ses propos sur le renoncement, la responsabilité et l'acceptation d'un vieil homme qui ne peut plus résister au temps. Il se loge une mélancolie bouleversante, surtout par rapport à cette carcasse fatiguée du lonesome cowboy. Certaines séquences l'exposent de façon brillante, comme le très beau plan du corps de Clint qui ne fait plus qu'un avec l'ombre du désert et du coucher de soleil crépusculaire, ou lorsqu'il est allongé dans une église, le visage masqué par son chapeau en racontant son passé douloureux, pendant qu'une larme coule sur son visage ténébreux, atténué par les épreuves du temps.
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