Annotations
Un condé (1970)
R.A.S. (1973)
Dupont Lajoie (1975)
Folle à tuer (1975)
Le Juge Fayard dit "Le Shériff" (1977)
Canicule (1983)
Le Prix du danger (1983)
Un condé (1970)
Avec Un Condé, Boisset dénonce les failles et les déviances violentes de l’autorité policière, en empruntant les codes du film noir américain dans un contexte purement français afin de s'adresser à un plus grand nombre. On pense au style de Melville, mais sans son maniérisme, et avec une violence plus sèche et des protagonistes plus éloquents. En effet, l’auteur filme des interrogatoires musclés, des passages à tabac et une quête de vengeance violente menée par un flic obsédé et froidement déterminé à tuer les bandits ayant assassiné son ami policier. Il est prêt à franchir les limites de la loi pour parvenir à ses fins, ce qui lui confère un aspect double : un homme loyal auprès d'un ami qu'il considérait pur, mais aussi un tueur expéditif qui pense qu'un flic ne peut qu'être « sale » dans ses méthodes. Cependant, ce n’est pas une œuvre totalement anti-flic, car la croisade de Favenin est personnelle et prend les allures d'un dernier baroud d'honneur n'ayant aucune connotation politique, d'où l'ambiguïté humaine sur le milieu de la police. Finalement, les bandits qu'il poursuit respectent un certain code d'honneur humain, tandis que les vrais coupables sont les institutions corrompues qui se trouvent en haut de la hiérarchie du pouvoir et des décisions.
R.A.S. (1973)
Sujet encore frais dans les mémoires, l’auteur pique dans le vif en traitant de l’absurdité de la guerre d'Algérie et de l'abus de pouvoir dans l'armée. Trois soldats devenus amis subissent les sévices d’un système militaire aliénant, et ils tentent de l’entraver et de démonter ses rouages pour dévoiler une vérité étouffée. La mise en scène distanciée et à hauteur d’homme du cinéaste permet de donner des accents de vérité et d’authenticité sans jamais appesantir son délicat sujet. La linéarité franche et précise du récit (découpé en deux parties comme Full Metal Jacket avant l’heure) énumère toute la répression, l’humiliation, la persécution, la cruauté et le racisme d’un institut qui, sous le prisme du patriotisme, se prend pour des colonisateurs. La violence des supérieurs enclenche un amateurisme chez des mobilisés n’ayant rien demandé et qui sont incités ou forcés à piller, violer, torturer ou tuer. C’est aussi une œuvre qui témoigne de l’attente et de l’ennui de la guerre, une sorte de Désert des Tartares sans son abstraction, où l'ennemi est toujours loin, voire invisible. R.A.S. est un objet âpre et rude, qui, par sa force populaire et brute, fait ressurgir un gros tabou enfoui de la France.
Dupont Lajoie (1975)
Avec un engagement choc et troublant, Yves Boisset réalise une œuvre à la teinte caricaturale, en suivant un groupe d'amis dans un camping du Sud de la France. Le réalisateur prend le temps de déployer l’esprit de classe, la vision, les préjugés et les habitudes de la « beaufitude » de ces purs Français moyens, à la fois rustres, obscènes, lâches, libidineux et bons vivants. Ce cercle social n’est pas là pour faire rire mais pour démontrer le déchaînement de violence qu’il peut entraîner à cause de leur haine raciale contre la communauté arabe. C’est une intrigue sociale violente et un sujet brûlant auquel Boisset octroie une réalisation réaliste et âpre. Il arrive à capturer malicieusement toute la « franchouillardise » et le pouls pervers ainsi qu'acide de son époque. Le film critique également la bêtise humaine à travers les politiques qui cachent la poussière sous le tapis pour éviter les problèmes, et les médias qui profitent des tragédies pour faire leur pub. Dupont Lajoie est donc une dénonciation presque sans nuance, pour mieux donner un tour de force à sa démonstration, même si des subtilités sont parsemées pour insister sur l’aspect polémique et la fracture entre les différents camps.
Folle à tuer (1975)
Dans Folle à tuer, le réalisateur met en scène un film qui jongle entre thriller paranoïaque et drame intimiste pour mettre à profit deux portraits. Le premier, un portrait quasi documentaire de la France des années 1970 qui oppose la modernité (le quartier de La Défense) et la ruralité (la campagne profonde) du pays. Le second, celui d’une folie, est représenté par Marlène Jobert en ancienne patiente psychiatrique en convalescence. Difficile pour elle de faire la différence entre la normalité du monde extérieur et l’asile qu’elle vient de quitter, mais elle constate progressivement que c’est ce monde hors de l’établissement qui est fou. Le personnage et l'enfant, qu'elle protège après le kidnapping, incarnent la pureté au sein d'une société qui croule sous la perversion, la folie et la machination. Du chauffeur beauf et traître au kidnappeur froid et antipathique, mais surtout au chef d'entreprise absolument menteur et calculateur, le cinéaste met en lumière un fort contraste troublant. Cela lui permet de dévoiler la sublime métamorphose d'une femme fragilisée par son passé en une femme forte, prête à tout pour préserver la vie de cet enfant à qui on a menti toute sa vie.
Le Juge Fayard dit "Le Sheriff" (1977)
Comme souvent, Yves Boisset traite d’un sujet encore chaud, car deux ans après l’assassinat du juge François Renaud, premier magistrat assassiné depuis l’Occupation, sort une œuvre traitant indirectement de l’affaire. Ce dernier voulait établir un lien entre le gangstérisme lyonnais et le SAC (Service d’Action Civique), des anciens de l’OAS devenus des policiers corrompus qui braquaient et trafiquaient pour pouvoir financer des campagnes électorales douteuses. Le lien est clair (même si le cinéaste a voulu poser une distance) quand on sait que le juge était connu pour s’appeler « Le Shériff ».
On pourrait penser que le film serait un hard-boiled à la Inspecteur Harry, mais ce n’est pas le cas, même si le juge Fayard reste un individu dévoué à son travail, obstiné par sa quête de justice et de vérité, quitte à employer des méthodes discutables qui auront raison de sa personne. Mais le film évite cela, car Dewaere incarne avec une forme de fébrilité et de pugnacité ce simple magistrat de province qui se voit porter le fardeau d’une affaire dont l’ampleur le dépasse. L’acteur déploie une grande nuance d’émotions qui, avec sa silhouette mince, sa juvénilité et son air plaisant, le rend sympathique auprès du spectateur, mais dans un moment de détour, il peut être pris d’une fragile instabilité lui provoquant des accès de colère bondissante. Cette forme d’oscillation émotionnelle colle avec l’enquête sinueuse de Fayard qui tente de garder son indépendance et d’imposer sa vérité malgré toutes les pressions.
La façon triviale qu’a Boisset de traiter de la vie privée de Fayard, qui est finalement juste un jeune homme comme tout le monde, permet d’enlever l'icône d’un homme de loi intransigeant qui se coltine une image de cowboy auprès des politiciens véreux et d’une justice peureuse. Car il est finalement qu'un simple humain qui s’oppose à des forces beaucoup trop imposantes et obscures pour lui. Le film garde cette crudité tout au long en jonglant entre les scènes d’intimité et les scènes d’action réalistes. L’efficacité formelle, la narration maîtrisée, et l’engagement sans concession de l’œuvre nous plongent brutalement dans ce film qui est d’abord un spectacle mouvementé et distrayant, mais qui est aussi une analyse des mobiles et des motivations des uns et des autres, de savoir qui sont les élites qui téléguident ces assassinats et celle d’un combat courageux pour faire parvenir la vraie justice.
Canicule (1983)
Comme souvent, Yves Boisset marie son cinéma politique en dénonçant de façon subversive des sujets tabous de la société française et l’idée des codes du film noir américain auxquels il a toujours octroyé une grande admiration. Canicule est typiquement dans cette veine, car le metteur en scène réalise une chronique d’une France provinciale avec au centre Lee Marvin, un gangster américain qui se retrouve, après un braquage raté, au milieu d’une bande de dégénérés « franchouillards ». On s’amuse déjà de ce croisement ubuesque, celui d’une icône hollywoodienne dans la brousse française. Ce croisement mêle à la fois la violence insensible du polar américain et la perversion du polar campagnard. En effet, la manière qu’a le cinéaste de présenter les situations est drôle mais met également mal à l’aise. Il y a une étrangeté toujours surprenante, qui nous désoriente dans cette ruralité aride (comme l’est Jimmy Cobb dans son calvaire solitaire) et face à des personnages bizarroïdes. Ils représentent des sortes de rednecks mis sur le bas-côté, une poussière à cacher qui représente une part violente, poisseuse, crasseuse, obsédée, odieuse et surréaliste de la France.
Le Prix du danger (1983)
Le Prix du Danger est un long-métrage de science-fiction qui anticipe avec brio les dérives de la télé-réalité. En effet, le film raconte le récit d’un candidat tentant sa chance dans un jeu télévisé barbare. Pour faire court, il s’agit d’une chasse à l’homme en temps réel entre un homme et ses assassins. L’œuvre dénonce la bêtise de la société du spectacle et l’envie d’exutoire des spectateurs en assistant à des divertissements abrutissants et voyeuristes. Boisset évite l’écueil de la fascination pour cette violence lorsqu’il nous met au cœur de cette traque mortelle, car il la dévoile de façon brute et sans complaisance, notamment par un style urgent et intense, vacillant entre les codes du reportage et l’esthétique studio de la télévision. Par ailleurs, l’auteur s’intéresse aux mécanismes de cette émission, montés par des producteurs sans scrupules et profitant de la détresse financière des participants et des bas instincts du public pour développer sa course à l’audience. Il montre la fausse conscience et l’hypocrisie de ce show contre un homme qui refuse le mensonge, mais sera détruit par sa recherche de la vérité. Le propos est donc féroce et pertinent, appuyé par des décors totalitaires et impersonnels, non situés géographiquement et loin d’un futur réjouissant.
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