Annotations
Sicario (2015)
Blade Runner 2049 (2017)
Dune (2021)
Sicario (2015)
Le réalisateur québécois impressionne par son exploration sous haute tension des bas-fonds de la lutte antidrogue, une lutte se déroulant sous le soleil aride de la frontière mexicaine. Il nous immerge grâce à un dispositif scénique varié, entre scènes musclées et rythme à la noirceur dépressive, comme le démontrent les plans langoureux, la sensation d'être pris à la gorge ou encore la musique qui tambourine.
Villeneuve use d'une grande maîtrise de l'espace (la descente saisissante de Juarez, par exemple) et parvient à donner une dynamique stoïque et sans fioritures au récit. Cette grande efficacité nous enferme continuellement dans un étau cauchemardesque qui nous coince entre les territoires urbains et les horizons sans fin du désert. Ce style accompagne la sobriété du ton (pouvant devenir brutal en une fraction de seconde) et donne un cachet perpétuellement tendu ainsi que l'impression que tout va être forcément fatal. Ainsi, le film gravite dans une zone floue où la morale peut basculer autant dans le camp de la justice que dans celui du crime. Les deux camps utilisent la même violence pour atteindre leurs objectifs, et le cinéaste fait le constat d'un monde où la loi n'hésite pas à manipuler, torturer, intimider ou être dans l'illégalité pour exécuter à la lettre son plan.
À travers le personnage d'Emily Blunt, le film parle d'une femme dont le monde s'effondre progressivement en voyant que la justice ne va pas du tout dans son sens du devoir. Sicario instaure un étalage ambigu et pessimiste de ce milieu où la guerre contre le cartel devient un voyage infernal au cœur du mal. Chez l'auteur, ce fléau est une contamination et le mal peut naître en chacun de nous pour parvenir à nos fins. Pour certains (Del Toro en tueur à gages très troublant), cela devient une histoire de vengeance personnelle.
Blade Runner 2049 (2017)
Les paysages immenses et les déserts brutaux, filmés sous des travellings aériens et massifs, ouvrent avec maniérisme cette suite du film culte. La nuit pèse toujours sur ce second volet de "Blade Runner", mais la lumière du jour existe aussi. Elle éclaire la poussière, la pollution, la neige et surtout la tristesse. Cette mélancolie palpable accompagne avec beauté la quête identitaire de K., un Replicant Blade Runner à la recherche des émotions humaines les plus profondes telles que le souvenir, l’amour et le sacrifice. L’espoir d’être un humain fixe un désir sublime dans ce monde déshumanisé, reflétant souvent notre siècle actuel à travers une imagerie environnementale en crise, aux frontières habitées par la pauvreté d’un tiers-monde ou d'une société dominée par une élite carnassière. Mais Villeneuve a su donner un poids mythologique en créant une trajectoire inversée à celle de Deckard, qui est utilisée dans une scène clé, ou en captant des paysages monumentaux, comme ce vieux Los Angeles en ruine et radioactif. La force de l’œuvre est d’avoir gardé un rythme hypnotisant et alangui et surtout d’avoir su être humble face au film de Scott, tout en créant un écho holographique à son aîné.
Dune (2021)
Malgré sa forme lissée, soigneusement polie, sa ligne droite directrice qui cloisonne le récit, son trop-plein explicatif et le manque de transcendance mystique pour ressentir l'extraction de Paul de l'échelle humaine, Villeneuve réussit à adapter rigoureusement ce monstre de la S-F dans un schéma respectant le développement contextuel de l'univers complexe, original et dense de Frank Herbert. Le réalisateur dépouille au maximum les enjeux à venir en utilisant un perfectionnisme stylistique qui glisse en pleine stase et spectaculairement sur Arrakis pour nous émerveiller dans un monde à l'exigence monumentale, tout en portant son thème cher de la représentation de la contamination du mal, sa façon de filmer le désert comme territoire du divin et comme miroir de la vulnérabilité des personnages et sa métaphore d'un capitalisme impitoyable motivé par des ressources rares afin de conquérir du pouvoir. Le rythme est languissant et opératique, les textures matérielles et sonores sont ultra-organique, l'atmosphère est rude, mais fascinante. Ce colossal film nous écrase comme l'est le jeune prophète, Paul, portant le poids de son héritage et de son destin dont il est à la fois le spectateur et l'acteur.
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