[Cinéma] WRIGHT Edgar (1974-)

Annotations

Shaun of the Dead (2004)

Hot Fuzz (2007)

Baby Driver (2017)

Last Night in Soho (2021)


Shaun of the Dead (2004)

La vie de tous les jours : routinière, répétitive et ennuyeuse, si une allégorie efficace peut présenter cet écho à certaines personnes ayant un train de vie déprimant, c’est bien à travers le film de zombies que revisite Edgar Wright via deux personnages losers. Le premier, Shaun, mal au point dans sa relation avec Liz et en permanence dans un choix cornélien (faire le choix entre sa vie candide avec son meilleur ami ou sa vie adulte avec sa copine) puis le second, Ed, son colocataire, un glandeur qui procrastine tout le temps. Avec son montage jouant sur des inserts acérés, une frénésie et une virtuosité dans les liens entre les plans et une progression stimulante sur le temps que prennent les héros à prendre conscience de l’apocalypse à venir, Wright met toutes les capacités cinématographiques aux bénéfices de la comédie dramatique. Les thèmes de l'amitié, de l'amour, de la peur de perdre les siens, du sacrifice ou encore du passage entre l’esprit adolescent à celui d'adulte baignent dans des références à la pop-culture et une parodie passionnée du cinéma d’horreur. L’humour britannique donne un ton satirique, piquant et jouissif, tout autant que ce massacre de zombie et ce survival mouvementé caractérisant ainsi une œuvre authentique qui rend également hommage à ses pères.


Hot Fuzz (2007)

Le deuxième volet de la trilogie Cornetto embrasse la parodie du film d’action avec la même équipe et met au centre de son récit, Nick, un policier londonien perfectionniste dans son travail voulant appliquer de façon très rigoureuse les lois. Éclipsant ses collègues de travail, ce dernier est envoyé dans une bourgade provinciale en surface idyllique, mais ce village cache une conspiration sectaire. Pour établir cette atmosphère contrastée, l’auteur applique les codes de l’enquête policière et du slasher. Ce savoureux mélange est enlacé par un comique de situation à la réalisation précise, sophistiquée et généreuse. C’est en faisant la paire avec Danny, un fils à papa fan de Point Break et de Bad Boys que l’hommage au buddy movie prend forme. Auprès de Danny, Nick apprend à délaisser son cadre rigide auquel il s’adonne de façon obsessionnel, tout en enquêtant obstinément. À la fin, le film s’exalte dans un western spaghetti faisant la part belle à de nombreux raccords et des gunfights explosifs qui montre, par la suite, l’équipe victorieuse après avoir renversé une utopie totalitaire. En instaurant les clichés propres à un genre bien établi, Wright met en lumière une autre forme de danger idéologique, celle de vouloir trop adapter et de trop façonner la société à sa façon, c'est-à-dire dans un encadrement contraignant et unilatéral, comme veut le faire en somme le personnage de Nick. 


Baby Driver (2017)

Baby Driver était un projet de longue date pour Wright, qui voulait faire un film d’action entièrement rythmé par sa bande originale. Chaque élément esthétique devait être en accord de façon mélodique et rythmique avec une chanson en particulier. Ainsi, le film s’organise intégralement autour de plusieurs titres minutieusement choisis pour leur structure et leur dynamique, et pour suivre le parcours émotionnel du héros. Cela fait sens lorsqu’on apprend qu’il est victime d’acouphènes et qu'il utilise la musique pour ne pas entendre ces bruits parasites.

 

L'approche maniaque de Wright s’intensifie dans cette œuvre où il va jusqu'à synchroniser les éléments du décor avec le rythme de la musique. Le perfectionnisme s’étale tout au long de l’œuvre afin de stimuler le sens de l’action et son énergie. Les musiques brassent plusieurs époques, des années 60 jusqu’à aujourd’hui, donnant une dimension atemporelle au film. On le voit par la façon qu’a le personnage de composer des musiques à partir d’appareils physiques de toutes époques confondues pour sampler et composer ses sons.

 

Par sa dimension postmoderne, le film embrasse l'idée qu’avec l’avènement technologique de l’ère numérique, la culture ne peut être vue comme une suite linéaire d’évolutions et de ruptures. C’est pourquoi l’œuvre est pensée comme une playlist, c’est-à-dire une multitude d’éléments avec des origines temporelles et géographiques composites. Baby Driver varie et décline donc toutes ses influences sur quelque chose de préexistant. Il fait de même avec le style du film en imposant une progression narrative et esthétique : l'intrigue débute comme un film de braquage élégant qui impose la perfection motrice du personnage puis à mesure que le garçon veut se défaire de sa vie criminelle, le récit décline vers une quête romantico-chevaleresque où Wright instaure des obstacles, donne un nouveau sens aux chansons et déjoue les codes du genre pour les réinventer et mieux mettre en avant les contraintes du personnage qui doit s’adapter à de nouvelles situations.

 

Pour conclure, on voit que la démarche du héros est celle du cinéaste. Sa façon fragmentée de (re)composer le sens des musiques qui suivent le fil de son expression est semblable à l’approche de Wright qui recompose sans cesse l’action pour faire de sa philosophie artistique la suivante : une œuvre n’est jamais originale, car elle se nourrit de multiples influences qui se réagencent pour exprimer un regard personnel.


Last Night in Soho (2021)

Last Night in Soho est une descente aux enfers dans un Londres qui jongle entre la réalité dans le monde actuel et le rêve dans le Soho des années 1960. La réalité, avec Éloise, une étudiante en mode venant dans la capitale avec ses ambitions, et le rêve, avec son homologue Sandie, tout aussi ambitieuse, mais dont le destin vire au cauchemar.

L'œuvre dans son ensemble est une claque esthétique, un voyage lyrique et une pierre précieuse à la fois fantasmagorique et diaboliquement glamour. Elle est rythmée par une mélodie chorégraphique, une nostalgie enivrante et une féérie maniériste. À l'image du disque vinyle qui s'enraye (et de la musicalité propice du long-métrage), Wright circule entre les générations et nous invite à céder à la tentation d'un passé pailleté, mais qui devient progressivement malsain et destructeur. En effet, le récit du rêve transformé en cauchemar absorbe la réalité d'Éloise, cette dernière subissant un dérèglement psychique et schizophrénique dans une réalité devenue cruelle et oniriquement noire.

L'auteur interroge la notion de nostalgie et comment cette fascination pour une certaine période (un Swinging London fantasmé) peut être néfaste. Pour montrer ce passage du rêve au cauchemar, le cinéaste exagère le fantasme, les teintes vintage, les couleurs multicolores et la virtuosité vertigineuse d'une mise en scène en harmonie avec la musique. Il multiplie également les jeux de reflets et de bifurcations entre les deux héroïnes (l'excellente scène de danse où une actrice remplace l'autre dans une même action), appuie sur le fétichisme flashy de son esthétique et déploie ses références au giallo et à un certain classicisme horrifique à la fois macabre et psychologique. Malheureusement, le film n'est pas totalement convaincant, car le récit est parfois très prévisible et fatigue par une lourdeur qui surligne exagérément ses thèmes, tombant même dans un grotesque malvenu. À cela s'ajoute une dernière partie qui se perd dans un assemblage approximatif entre le réel, le rêve et les flash-backs.


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