[Cinéma] SERRA Albert (1975-)

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La Mort de Louis XIV (2016)

Pacifiction : Tourment sur les îles (2022)


La Mort de Louis XIV (2016)

La Mort de Louis XIV permet à Serra de revisiter une figure mythologique et historique en évitant la forme iconoclaste afin de suivre, dans ce cas, la lente agonie du Roi-Soleil. Avec une rigueur très tenue, le film se déroule quasi exclusivement dans la chambre du roi et capte la langoureuse dégradation d’un corps. Le cinéaste montre, de façon très confinée, les rituels, les coulisses et les chuchotements de la grande Histoire. En effet, l’œuvre a cette force d’assembler chaque petit détail à son espace d’existence, à l’image du son, qui fait subsister le monde extérieur depuis la chambre. Il y a une unicité organique qui permet d’atteindre, je cite l’auteur : « une intimité quasi choquante avec le corps de ce roi mourant. »

 

Le réalisateur façonne une réflexion sur la mort du pouvoir absolu qu’incarne la figure de Louis XIV à travers la décrépitude de son corps, qui fut pour le célèbre monarque une arme se confondant avec l’exercice de son pouvoir. Il n’y a pas de récit à proprement parler, mais plus des anecdotes et des événements décryptant la fin cérémoniale du personnage historique. On y voit toute la dévotion, presque comique et fantaisiste, mais toujours d’une profonde sincérité, des médecins, valets, prêtres et autres courtisans qui constituent la cour amoureuse de leur roi. L’œuvre constate à la fois l’intelligence, la bêtise, le charlatanisme, l’incompréhension, l’impuissance d’un groupe en détresse. Également, le spectre du roi se confond avec celui de Léaud, créant un mouvement fusionnel permettant de projeter une grande figure liée à l'Histoire, mais aussi une projection sur l’histoire du cinéma. Avec un rien imperceptible, l’acteur arrive à exprimer, avec des gestes précis et un regard impénétrable, l’âme du roi en étant constamment inerte et allongé sur son lit.

 

Enfin, Serra instaure un flux mental narratif qui brouille, par son temps diffus, les perspectives jusqu’à créer une sensualité abstraite. En suivant le rythme de la maladie, l’œuvre prouve qu’elle est un objet sur la mise en scène de la mort. C’est un film royal et mortuaire, baignant dans les ténèbres, mais qui touche à la lumière et au sublime avec son extrême picturalité et ses clairs-obscurs qui illuminent les notions d’invisible, d’indicible et d’autopsie. D’ailleurs, après l’autopsie du roi, faisant comprendre les causes de sa gangrène fatale, le film permet d'éclaircir la mort et, de ce fait, l’obscurité devient une lueur de vie qui nous éclaire dans les ténèbres.


Pacifiction : Tourment sur les îles (2022)

Albert Serra propose une histoire très floue sur un Haut-commissaire englouti à Tahiti dans une spirale politique, à cause d’une rumeur selon laquelle de nouveaux essais nucléaires seraient en cours. Une espèce de torpeur paranoïaque s’insère au fur et à mesure que ce récit nébuleux avance. Sous la quiétude apaisante de Tahiti, se dissimule donc une inquiétude complotiste. Le personnage de Magimel incarne cela, errant dans de longues discussions difficiles à définir au sein des boîtes de nuit, des bars et des hôtels de l’île. L’homme paraît intéressé par tout avec ses grands airs de politesse et de séducteur, mais son apparat colonialiste dissimule une ambiguïté mystérieuse, comme celle d'un être reptilien. Le film est construit autour de situations chronologiques de plus en plus flottantes et imprécises dans leurs enjeux. Notamment dans la dernière partie, qui nous laisse dans une dérive atmosphérique et dans un état de rêverie obscur. L’œuvre nous absorbe par sa perdition mentale ainsi que par ses images langoureusement sensuelles et crépusculaires. Enfin, le cadre paradisiaque recouvre une société qui scrute et surveille, comme la caméra captant la douceur chaotique et rendant visible la partie secrète et immergée d’un monde inconnu.


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