Le Fil de l'épée est composé de plusieurs chapitres qui sont à la base des conférences que Charles de Gaulle a données en avril 1927 à l'École militaire. Ces trois conférences sont celles qui constituent les trois premiers chapitres : « De l’action de guerre », « Du caractère » et « Du prestige ». Le livre se termine par deux chapitres constitués d'un article plus ancien : « De la doctrine » puis un chapitre ajouté : « La politique et le soldat », pour l'intégrer dans cet essai militaire, sorti en juillet 1932. Le futur président de la Ve République a peaufiné ses conférences et les deux autres chapitres dans une période où il trouvait que son pays se délitait et perdait de sa grandeur.
Le livre pourrait s'appréhender difficilement, car il touche un sujet précis : le monde militaire. Mais le talent d'écriture du futur général montre que ce dernier a un pur talent littéraire qui permet d'être captivé par ses mots. Car en abordant le militarisme, il aborde également des interrogations politiques, mais aussi historiques, débouchant sur une intelligence prophétique sur l'avenir de son pays et de son propre destin. Le style de l'auteur, qui caractérise déjà celui de ses futurs mémoires, s'attache à une forme qui déploie élégamment, avec un classicisme sobre et sans maniérisme. Le déploiement de ses idées déroule de façon circulaire son rythme pour ressasser les éléments historiques, mais c'est pour toujours mieux s'en nourrir afin d'en déblayer soudainement les regrets et voir les perspectives d'avenir qui sont possibles. Le conformisme apparent de l'essai est un leurre, car premièrement, de Gaulle cite de nombreux écrivains et références littéraires (Shakespeare, Psichari, Vauvenargues, Vigny, Retz, Goethe, Bergson, Bacon, Flaubert, Tolstoï, Duhamel, Rousseau...), démontrant un appétit de culture. Deuxièmement, son jugement sur la France et son corps militaire n'était pas commun pour l'époque, car il fait preuve d'une lucidité fulgurante sur la France qu'il aime avec ses qualités et ses défauts.
Le livre démarre sur une réflexion à propos de l'action de guerre. Il démontre d'abord que l'intelligence ne suffit pas à l'action et qu'il faut savoir saisir la contingence pour pouvoir sortir des « zones ordinaires », car l'intelligence fuit le « mobile, l'instable et le divers ». Tout de même, il faut savoir faire coexister les deux : l'intelligence permet d'éclairer et de réduire le champ de l'erreur. Grâce à elle, on peut préparer la contingence en ayant un jugement préalable sur l'ennemi, le terrain ou encore les moyens grâce à des notions de déduction, d'induction et d'hypothèse. Mais l'intelligence ne fait pas naître la contingence et donc ne suffit pas à être dans l'action. L'auteur montre que l'instinct est la valeur des grands hommes de guerre comme Alexandre, César ou Napoléon, car eux-mêmes savaient qu'ils avaient un don particulier. Ils pouvaient à la fois combiner dans n'importe quelles circonstances, l'intelligence et l'instinct. L'auteur montre une certaine réticence à cette intelligence, car elle voudrait s'imposer à elle seule. Pour lui, l'esprit français se concentre trop sur cette intelligence qui en a fait une doctrine d'écoles, car elle a sans cesse besoin de logique, de raisonnements et de théorie alors qu'il devrait tout autant se dédier à l'expérience. Dans le chapitre « De la doctrine », il dit lui-même que l'armée française après son réarmement en 1889 avait pour doctrine celle de passer seulement à l'offensive. Cela en devenait une pensée unique et divine qui a montré ses faiblesses lors de la Première Guerre mondiale, car l'armée française s'obstinait à vouloir faire des percées offensives pour traverser les lignes de tranchées allemandes afin d'arriver dans un terrain libre. Il faut savoir être dans la mesure pour être un grand chef, à l'instar du colonel Pétain qu'il cite. Ce dernier voyait les erreurs de l'armée française lors de la Grande Guerre, car il savait qu'il fallait exploiter les circonstances favorables pour gagner la guerre. Au lieu de se ruer vers l'ennemi dans des conditions arbitraires, il proposait un combat fait dans l'usure en visant des objectifs limités dans sa profondeur afin de faire sortir l'ennemi de ses abris.
À l'intelligence et la contingence, il lie l'importance de la décision qui est d'ordre moral, car malgré la dureté de devoir prendre des décisions à la guerre, la responsabilité d'ordonner est une nécessité et pour cela il faut être capable d'en porter le poids et les conséquences. Tout comme le fait d'imposer une autorité et un esprit d'entreprise qu'un chef doit assumer face à des hommes qui craignent la mort et souffrent. Mais ces chefs peuvent se perdre lors d'un trop long prolongement de paix, car le pacifisme accorde peu d'importance à la situation morale et matérielle des soldats. Il prend exemple sur les traités de 1815 où la plus brillante partie de la jeunesse voulait dominer les secteurs de la politique, de l'éloquence, de la spéculation et des arts. Par conséquent, il n'y avait plus de généraux illustres pour pouvoir gagner la prochaine guerre et ce fut le cas avec la désastreuse défaite de 1870. Pour de Gaulle, la France pense que l'argent est un signe de puissance et que les lois et ententes internationales suffiront à empêcher la guerre. Le constat sur l'armée lors de cette année 1932 est donc amer, car la formation et la sélection des chefs militaires sont détournées. Il conclut ce chapitre en disant qu'il ne faut pas « rompre la chaîne de la force militaire française » pour que puisse « fléchir la valeur et l'ardeur de ceux qui doivent commander. »
Dans le chapitre « Du caractère », de Gaulle débute en disant que l'armée française a toujours eu un idéal qui faisait rayonner et rendait vertueuse l'armée. Cet idéal est celui de servir le Roi. Mais étant donné que cet idéal se perd, il faut un « culte qui les rassemble, les réchauffe et les grandisse » pour la jeunesse idéale, car l'armée aura beau se recréer en évoluant dans ses institutions, dans sa refonte et ses réformes, ceci ne suffit pas s'il n'y a pas « une renaissance morale ». Il faut pour cela un « Caractère », car c'est « la vertu des temps difficiles » et l'homme de caractère sait imposer sa marque en supportant tout le poids et en conférant à l'action une noblesse. Il permet de redonner la foi et la fierté à l'ordre militaire, car le débarras de l'angoisse du conflit a abandonné cet ordre guerrier. En cela, il faut que « l'esprit du temps lui redevienne favorable, comme le vent redresse l'arbre après l'avoir penché. » Ce temps d'ailleurs, comme il l'indique au début du chapitre « Du prestige », est dur pour l'autorité, car les lois veulent l'affaiblir. L'époque se voit déréglée dans une société qui se fait décadrer dans ses traditions, alors que pour l'auteur, les hommes ne peuvent pas se passer d'être dirigés, car ils ont besoin d'organisation, d'ordre et de chefs. Le chef doit avoir ce prestige, mais il doit contenir un mystère, car « on révère peu ce que l'on connaît trop bien. » Il faut savoir intervenir avec soin et bien préparer ses interventions, comme il l'indique avec César qui mesurait ses gestes publics ou Napoléon qui faisaient toujours en sorte de se présenter dans des conditions pour que les gens fussent frappés. Il faut également savoir trouver l'équilibre afin d'enlever cette fausse idée d'emphase qui se ferait dans les événements guerriers. Comme il écrit si bien, les grandes actions ne se font pas par de grands bavardages, car « l'ascendant naît, justement, du contraste entre la puissance intérieure et la maîtrise de soi. »
Le chapitre « Le politique et le soldat » explore la relation complexe entre le militaire et le politique. L'auteur souligne que le soldat, bien que maître de la force armée, doit rester subordonné à l'autorité politique, qui incarne la volonté nationale. Cependant, cette subordination ne signifie pas la passivité, car le soldat doit avoir une conscience aiguë des enjeux politiques pour mener la guerre avec lucidité. De Gaulle met en avant l'importance de l'équilibre entre l'indépendance d'esprit du soldat et sa fidélité au pouvoir civil, affirmant que la guerre ne peut être gagnée sans une vision politique claire. Il souligne que le chef militaire doit savoir s’adapter aux évolutions politiques tout en restant fidèle à ses principes, car c’est ce qui garantit la grandeur de la nation. Pour Hervé Gaymard, c'est un chapitre qui a vieilli, car il reflète surtout l'esprit d'un parlementarisme impuissant de l'époque. Cet adage sur les relations entre le politique et le soldat, qui ne sont rien l'un sans l'autre, n'a plus lieu d'être, car ce sont désormais les médias et l'opinion publique qui ne se privent pas d'empêcher l'exercice du pouvoir tel qu'il devrait être. Ultérieurement, le général lui-même avait conscience que le fait militaire n'avait plus la même importance, et que cette dialectique n'avait plus raison d'être.
Pour conclure, nous pouvons constater que le livre sort dans ce temps où la cause pacifiste de l'entre-deux-guerres était importante, car les pays étaient traumatisés par la barbarie de la Grande Guerre. Il propose cet essai afin de combattre la mélancolie globale qui entoure l'idéal militaire en cultivant sa force. Cela il le fait à travers « une rhétorique qui se prolonge, se complète, rebondit et s'accomplit », pour citer Hervé Gaymard dans sa présentation. Charles de Gaulle, sans le savoir ou non, parle de lui-même avant l'heure. Un homme avec de la réserve, du caractère et de la grandeur, tout ce qui constitue un chef de guerre sachant allier l'esprit guerrier et l'esprit politique. Il est de ces hommes qui savent porter le poids d'une nation en assumant ses conséquences avec une forme d'ardeur, d'égoïsme, de relief et de rudesse. Mais comme les grands hommes qu'il cite : Alexandre, César ou Napoléon, il faut savoir se détacher des autres, dans une forme de solitude mélancolique pour être un grand homme. Charles de Gaulle fait partie de cette caste, car il a une profonde admiration et passion pour sa patrie. Surtout, il a su aider la France à surmonter le chagrin du pays après la Deuxième Guerre mondiale en l'aidant à s'accomplir. En cela, Le Fil de l'épée donne l'impression que de Gaulle écrit déjà son propre destin en sécrétant un message pouvant toucher chacun. Il enseigne l'idée qu'il faut un secret de conduite pour ne jamais renoncer et qu'il ne faut pas céder au piège du conformisme, du moment et de l'événement. C'est pourquoi, la liberté de pouvoir penser, juger et être dans l'action permet à l'homme de se déployer et de construire son destin puis de le transcender pour que celui-ci le dépasse.
Écrire commentaire