[Cinéma] LUMET Sidney (1924-2011)

Annotations

The Offence (1973)

Daniel (1983)


The Offence (1973)

Dans The Offence, Sean Connery joue un inspecteur rustre, usé, colérique et hanté par les horreurs d’un monde qui brouille ses repères moraux. Ambigu et angoissant, le film de Lumet contient quelques obsessions de l’auteur comme le poids de la culpabilité, la fine frontière entre le vice et l'innocence, ou encore la corruption par le Mal. En effet, il y a un constat brutal de cet homme qui recherche un pédophile tueur d’enfant, mais rapidement, Lumet veut avant tout capter l’ambiguïté de son personnage.

Policier ou bourreau ? L'auteur laisse planer le doute en jonglant entre les deux pôles par une réalisation subtile, jouant sur des effets de dédoublement pour laisser paraître les deux facettes. L'homme n’arrive pas à dissocier les problèmes de son travail et de son foyer, car il ne peut pas rendre étanche la frontière entre l’horreur qui le contamine et son intimité. Ainsi, le cinéaste déjoue les repères spatio-temporels, qui se répercutent sur la psyché de Johnson sous la forme d'un puzzle mental et à travers un huis clos aux affrontements psychologiques éprouvants et pervers.

Trois couleurs prédominent dans le film : le blanc, comme couleur de l’aveuglement et de l’innocence perdue de l’homme, mais aussi le blanc de l’amnésie et du refus de voir. Ensuite, le gris, comme l'inconscient du protagoniste, qui se définit par un environnement totalement terne et déprimant, celui d'une campagne londonienne aseptisée. Enfin, les visions glauques qui surgissent dans l’esprit du personnage sont colorées, car elles montrent une dimension attractive pour Johnson. À la fin, les visions de ces images sont apaisées, démontrant qu’il ne peut pas sortir ces images de sa tête en se réfugiant dans une frontière de deux visions irréconciliables de lui-même.

Malgré sa dimension anglaise, le film s’inscrit dans une obsession du polar américain des années 70, celle de l’indistinction entre le Bien et le Mal. Souvent, les flics font face à un système extérieur corrompu, qui reflète leur état d'esprit véreux. Mais dans le film de Lumet, toute la corruption se recentre dans l’esprit de Johnson en faisant abstraction du système. Le film est davantage l’exploration intérieure d’un homme que celle d’un contexte, à l'instar (et avant l'heure) de Travis Bickle. Le personnage est comme le chaînon manquant entre L'Inspecteur Harry et Taxi Driver, entre l’effondrement des frontières morales entre loi et crime chez Harry et l’expiation de violence traumatique chez Travis.


Daniel (1983)

Sidney Lumet ne voulait pas adapter pleinement la vie du couple Rosenberg pour en faire un film-dossier, mais plutôt une œuvre sur les conséquences pour les générations futures ayant subi les choix politiques des parents. Quelle voie choisir, se demande l’auteur ? Se délester de ce legs pesant ou prendre à bras-le-corps l’héritage militant ? Est-ce que les causes justes des époques d’avant ont le même sens à l’époque actuelle ?

Pour parfaire cette interrogation, l’auteur organise, dans un montage parallèle, un jeu d’allers-retours entre trois temporalités, allant de l’enfance de Daniel dans les années 50, où les parents se sont engagés auprès du Parti communiste, jusqu’aux années 70 pendant l’ère des mouvements anti-guerre. Les différentes strates temporelles sont très différenciées dans leur forme esthétique (une image utopique et idéalisée pour le passé / une image froide et réaliste pour le présent), jusqu’à devenir semblables dans leur ton lors de la condamnation à mort glaciale des parents. Grâce à ce chassé-croisé temporel, le spectateur prend conscience que le jeune homme s’apaise pour effacer sa douleur obsessionnelle liée au passé, et que la barbarie prend parfois le pas sur la justice jusqu'à être un processus répétitif.

On notera que les années 80 ne sont pas la période de Lumet la plus appréciée par les cinéphiles, car elles ne sont pas aussi célèbres que son âge d’or des années 70. Pourtant, c’est dans cette période que l’auteur atteint une forme de maturité plus subtile et qu'il offre avec Daniel une œuvre à contre-courant de l'ère reaganienne. Il prend en écharpe les sujets liés à l'affiliation, aux rapports directs entre les générations et à la question de la judéité dans l'Histoire (il crée d'ailleurs dans Daniel un parallèle confus entre anticommunisme et antisémitisme).


Écrire commentaire

Commentaires: 0