[Cinéma] TRUFFAUT François (1932-1984)

Annotations

Fahrenheint 451 (1966)

Domicile conjugal (1970)

Les Deux Anglaises et le Continent (1971)

L'Histoire d'Adèle H. (1975)

L'Homme qui aimait les femmes (1977)

La Chambre verte (1978)


Fahrenheint 451 (1966)

« Je voulais faire un film où les livres seraient les héros de mon propos », disait François Truffaut, et quoi de mieux que d’adapter le chef-d’œuvre dystopique de Ray Bradbury ? Montag vit dans un futur où les pompiers brûlent les livres, car la société voit la culture comme un moyen de rendre la population malheureuse. La société en question est une dictature voulant uniformiser la masse à la même égalité de « bonheur ». Ainsi, l'auteur construit le parcours intime d’un homme découvrant la puissance des livres alors qu’il était privé de tout langage et totalement entouré par l’aliénation d’une humanité abrutie par la télévision et sa fausse interactivité. Truffaut construit une ambiance étrange, un rêve dépossédé de communication, à l'image de l’architecture rétro assemblée avec la nature campagnarde et ses détails comme la caserne rouge vive ou le monorail, donnant un ton de malaise instable. Le cinéaste réalise donc un film brûlant comme les pages qui se tordent et noircissent sous l’effet des flammes, visions cauchemardesques s’idéalisant à la fin lorsque la neige tombe dans la forêt, loin de la déshumanisation, où des livres-vivants deviennent l'héritage de la culture et le moyen de se comprendre, de se connaître et de s’aimer.


Domicile conjugal (1970)

Maintenant marié à Christine, Antoine Doinel poursuit son chemin dans la vie de tous les jours et se confronte aux joies et peines du mariage. Truffaut s'inscrit dans la veine des comédies à la Lubitsch, entre un réalisme léger et des situations insolites totalement séduisantes. Le cadre très vivant du cinéaste élabore une alchimie limpide sur ce duo qui s’aime mais se chamaille sans cesse. De plus, la venue de l’enfant apporte son grain de sel humoristique dans le quotidien d’Antoine. Mais la difficulté d’être père et d’avoir une femme engendre des situations de crise qui donnent un ton plus dramatique mais aussi romantique au film, car le personnage se perd dans l’adultère et dans une autre culture : celle du Japon. La rupture est donc le fin mot de l’histoire, avec un dernier au revoir dans la douce nuit des rues vides de Paris, un sentiment de peine mais d’acceptation pour un Antoine qui voit en Christine une femme, une petite sœur, mais surtout une mère. Domicile Conjugal est donc une œuvre amusante mais aussi empreinte d’une douce amertume, faisant cohabiter toute l’ingéniosité et la fantaisie d’un Truffaut amoureux de ses personnages.


Les Deux Anglaises et le Continent (1971)

Les Deux Anglaises et le Continent, considéré par l’auteur comme son chef-d’œuvre, est le miroir inversé de Jules et Jim : un triangle amoureux avec un homme et deux femmes, traitant de la douleur de l’amour, tandis que le film de 1962 traitait de sa beauté. L’auteur avait une intention particulière pour ce long-métrage : il voulait faire un film physique sur l’amour, et non une œuvre sur l’amour physique, d’où ce sentiment d’intériorité tranchante dans ses émotions. Ce sentiment est appuyé par la voix-off littéraire et blême de Truffaut, ainsi que par la relation passionnelle et cruelle entre les personnages. Tiraillé entre deux sœurs, l’une expressive et chaleureuse, l’autre chaste et mystérieuse, Claude, joué par Jean-Pierre Léaud, donne l’impression d’être un personnage tiré d’un roman classique du XIXe siècle, aspect accentué par le contexte de l’histoire : la Belle Époque et ses mœurs, mais aussi par son esthétique : les paysages impressionnistes, la lumière pure et naturelle, les fermetures à l’iris créant des portraits ovales, ou encore les tableaux et les sculptures qui traversent les décors. Un assemblage fructueux pour cette œuvre rude dans son apparence, qui parle autant du chagrin d’amour, de l’attente, de spiritualité et des conséquences du temps sur les relations et les êtres.


L'Histoire d'Adèle H. (1975)

Truffaut décrit son film comme une histoire d’amour avec une seule personne à l’écran. Ce film est une adaptation de l’histoire d’Adèle Hugo, fille de Victor Hugo, dont l’histoire fut mise dans l’ombre par la célèbre mort de sa sœur et par l’œuvre immense de son père. Ces deux facteurs, bien qu’ils soient absents, hantent le personnage d’Adjani, qui partage l’intensité émotionnelle de son personnage et de sa passion extraordinaire. Mais sa passion est à sens unique : rejetée par son amant qui ne veut pas d’elle, Adèle tourne son amour à l’obsession et vers un absolu quasi religieux. Le réalisateur se fascine pour le visage de son actrice, qu’il filme à bout portant, sans pratiquement jamais le quitter, comme s’il n’y avait qu’un seul gros plan dans l’œuvre. Le récit est aussi porté par l’idée fixe du protagoniste : malgré le manque d’espoir et le fantasme qu’elle s’invente jusqu’à en être malade, son itinéraire tortueux reste rigoureux. Cette rigueur, nous la retrouvons dans la mise en scène dépouillée de l’auteur, qui dissèque la pathologie délirante d’Adèle et sa fièvre aliénante, le tout dans une tonalité uniforme qui absorbe la substance romantique pour ne divulguer que la destruction progressive de la femme.


L'Homme qui aimait les femmes (1977)

Portrait d'un séducteur névrotique, obsédé par sa quête des femmes, la première force de L'Homme qui aimait les femmes est de ne pas faire du personnage un Don Juan romantique, mais un homme troublé et atteint par une angoisse existentielle, une vulnérabilité fragile et une profonde solitude intérieure. Un an avant La Chambre verte, Truffaut compose déjà le tableau d'un collectionneur obsédé, mais ici avec un personnage qui préfère la compagnie des femmes à celle des hommes. Comme dans ce même film, mais aussi dans L'Histoire d'Adèle H., il y a la même passion morbide et l'anxiété tragique qui imprègnent l'atmosphère de L'Homme qui aimait les femmes. En effet, sa poursuite inassouvie le rapproche de la mort, car ses conquêtes tiennent plus d'une sorte de consommation sans saveur que d'un réel plaisir charnel. Le livre autobiographique que Morane écrit montre toute la méticulosité de l'homme pour parvenir à ses fins, et le spectateur comprend la tristesse traumatique de son geste. Un traumatisme influencé par son enfance et le manque d'affection de sa mère nymphomane, dont il reproduit le même schéma.

L'œuvre a un semblant de comédie poétique et romantique, notamment avec les allures passionnées et marginales du personnage comme le montre les stratégies disproportionnées, presque pathétiques, pour retrouver une femme, les regards portés sur les jambes des femmes ou encore la description précise d'une marche féminine et des différents types de femmes... Mais sa recherche de l'idéal féminin est finalement pathologique et démontre sa peur d'être abandonné par une seule femme. La réalisation épouse avec brio le fonctionnement de ce processus de séduction, car il se fait de manière visuelle, comme une caméra.

Grâce à la verve littéraire de Truffaut et son habileté narrative, rythmées avec limpidité par des retours en arrière et des emboîtements, tous les portraits des différentes aventures féminines deviennent une mosaïque de la société des années 1970. La clarté propre du récit et la maîtrise de tous les éléments romanesques font un beau contraste avec les contradictions de cet homme fou de l'éternel féminin.


La Chambre verte (1978)

Hanté par sa jeune femme décédée peu après la Grande Guerre, Truffaut traite et incarne un homme pris d'une douce folie, celle de créer un mausolée éclairé par des centaines de bougies (chaque bougie représentant un mort), en mémoire et en l'honneur des défunts qui ont traversé sa vie. Le film évite l'écueil du glauque et du pathos grâce à une partition très sobre dans l'ensemble. Cependant, il reste troublant par ce sujet sur l'obsession de ne pas oublier, de rester fidèle aux défunts, et d'être obnubilé par une idée fixe. Julien fait du souvenir une règle de vie et un principe qui lui permet de lutter contre le temps. D'abord, en essayant de « tenir en vie » sa femme grâce à sa chambre verte ou la statue de cire, puis en montant cette chapelle qui fait office de religion pour la mémoire.

Truffaut parvient brillamment à faire ressentir l'accablement de cet ancien militaire, devenu journaliste, déjà hanté par les traumatismes de la guerre, comme le prouve le générique où les plaques de projection exposent des images terribles de la Première Guerre mondiale. C'est un homme qui sort continuellement du présent pour laisser la place aux fantômes qui planent sur sa vie. Même une femme (bien vivante), capable de le retenir dans le monde des vivants, ne suffit pas à le détourner de sa quête. Son amour et sa fidélité passent uniquement par la mort, d'abord pour sa femme, puis pour une pluralité de disparus.

En jouant son propre personnage, le cinéaste établit une force méta-textuelle, car cette résistance contre le temps peut se lire comme une ode au cinéma, donc au mouvement, mais aussi à la persistance des images à travers le temps et à la détermination d'embaumer celui-ci. "La Chambre verte" est finalement une confession spirituelle d'un homme solitaire et enfiévré, une symphonie splendide composée de clair-obscurs mats qui épouse un réalisme à la valeur subjective, et une vision d'outre-tombe fragmentée dont le noir et le vert définissent la passion morbide de son sujet.


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