Annotations
L'Oiseau au plumage de cristal (1970)
Quatre mouches de velours gris (1971)
Ténèbres (1982)
Terreur à l'Opéra (1987)
L'Oiseau au plumage de cristal (1970)
Dès son premier film, Argento centralise ses fétichismes dans une œuvre inaugurant le giallo moderne. Dans ce thriller horrifique, le cinéaste réalise un prodigieux exercice antonio-hitchcockien, où il construit déjà l’idée du miroir du spectateur se soumettant au suspense et à l’imprévisibilité du récit. Le personnage assiste de façon impuissante à une agression, ce qui lui offre une quête mémorielle dans laquelle il doit recomposer des images mentales manquantes et mal comprises, ressassant un détail vu jusqu’à l’obsession, afin de trouver la vérité.
Formaliste et virtuose, le film enclenche de fausses pistes qui se suivent dans une trame à plusieurs niveaux, mêlant enquête policière et psychanalytique. Pour parfaire cet univers cauchemardesque, qui allie modernité et genre, l’auteur nous stimule par une intensité chromatique froide, un sadisme pervers maintenu par des visions subjectives alternées, un labyrinthe architectural de faux-semblants et de regards, une sophistication effroyable et sensuelle des meurtres, ainsi qu’un récit dicté par des œuvres d’art dans lesquelles se trouvent des indices. En plus de nous faire vivre dans la terreur et le suspense d’un énigmatique meurtrier, il sonde la psyché de celui-ci pour introduire son motif du traumatisme.
Argento accorde autant d’importance à ce que l’on retrouve les codes et les schémas d’un genre que le spectateur connaît, qu’à faire une razzia de ce qui existait auparavant. Il engage une conversation entre les deux. Avant, les réponses étaient données directement par le film ; maintenant, le monde n’a plus de sens, et c’est au spectateur d’analyser, d’observer et de déconstruire les images pour y trouver son sens et sa vérité. Tout ce principe du cinéma moderne se retrouve dans le sujet, car l’enquêteur devient tout le monde et l'enquête devient un principe métaphysique. Il faut chercher en soi et non à l’extérieur ; l’enquête devient alors intérieure.
Quatre mouches de velours gris (1971)
Œuvre de transition, Quatre mouches de velours gris garde un pied dans le giallo avec son symbolisme fétichiste, mais en met déjà un ailleurs. Argento progresse dans la mise en scène en glissant du familier à l’étrange, du réalisme au mental, notamment à travers un montage cérébral qui abandonne l’idée antonionienne de l’image à revoir pour trouver la vérité, pour la remplacer par la circulation d’un cauchemar prémonitoire qui s’introduit dans le récit, le temps et le réel.
Le film multiplie les ruptures de ton dans une traque hitchcockienne qui jongle étrangement entre nonchalance, épouvante, comique burlesque et potache, puis
hallucination. Les décors anodins de la ville deviennent des pièges mentaux et oppressants, d’abord rassurants, puis inquiétants. Il y a toujours deux images en une, et cette doublure prend le
pas sur le monde tel que les protagonistes le voient. Le récit épouse alors une trame biscornue, expressionniste et nébuleuse, une sorte de cauchemar éveillé vacillant dans ses repères temporels.
Le maniérisme d’Argento s’invite dans des fuites incongrues vers l’illogisme, l’inquiétante étrangeté et un graphisme irréel, mais aussi dans le délitement autobiographique d’un
couple.
Il faut noter que la résolution du film se fait par un prélèvement de l’empreinte de l’œil de la dernière victime du tueur, dans laquelle les personnages découvrent
les dernières images enregistrées sur la persistance rétinienne. Par cette idée loufoque mais géniale, le cinéaste montre que cette persistance rétinienne est la base du cinéma, et, dans la
continuité de sa modernité, qu’elle permet de cacher la vérité à l’intérieur d’une image.
Ténèbres (1982)
Après l’ésotérisme et le fantastique, Argento revient au giallo pur dans une démarche très radicale, faisant abstraction du maniérisme baroque pour aller vers une froideur métallique, une cruauté désespérée et une mécanique clinique. À travers ce récit d’un écrivain de romans policiers se voyant mêlé à une série de meurtres commis par un lecteur fanatique, le cinéaste réalise un autoportrait qui désacralise le statut de l’artiste*. Il ancre son jeu de massacre morbide dans une Rome impersonnelle et anonyme, à l’architecture diurne et moderne (sorte de no man’s land antonionien invitant à l'angoisse permanente), pour mieux traduire l’âme de son époque où les rapports hommes/femmes sont viciés, superficiels et pourris de l’intérieur. La sexualité charnelle des femmes est impitoyablement punie par ce psychopathe frustré, qui se venge de ses traumatismes à travers ses victimes, un exutoire substitutif du suicide. La virtuosité agile et fluide expose une violence brutale, gore et glaçante, soutenue par des lumières surexposées qui baignent les morts sanglantes d’une lumière blanche. Le film forme ainsi une rage nihiliste et une misanthropie masculine, où la guerre des sexes se mêle à une confusion mentale et une perte d'identité.
*Le film peut être vu comme une réponse sardonique aux critiques qui mettent en avant sa soi-disant perversité. Dans le film, l'art devient un moyen de tuer et, surtout, le meurtre devient un objet de beauté artistique, où les exécutions sont comme des performances.
Terreur à l'Opéra (1987)
Argento fournit un film littéralement opératique, en racontant le récit d’une jeune cantatrice persécutée par un tueur en série, alors qu’elle venait d’obtenir le rôle de Macbeth de Verdi, un opéra connu pour être maudit. Dirigé par un metteur en scène s’essayant à l’opéra après avoir réalisé des films horrifiques, il est clair qu’Argento met de sa personne dans cette œuvre malade et longtemps boudée. Ayant vécu la même expérience, il communique à travers une violence glaciale et voyeuriste, offrant une pure expérience du regard dans un film-mental où la mise en scène virtuose prime sur le reste. Sa réalisation très mouvante catapulte sans cesse des idées liées au motif de l’œil, car Betty est au centre du regard et notre propre expérience visuelle est imposée, à l’image des broches pointues placées par le tueur sous les yeux du personnage. Le film dérange par sa façon de questionner notre jouissance spectatorielle face à l’horreur des scènes macabres, mais aussi par son atmosphère oppressante et ses décors labyrinthiques. Enfin, le traumatisme reste le point fondamental du film : un traumatisme (symbolisé par le meurtrier) que la jeune femme doit affronter pour se libérer de ses démons.
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