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Soleil vert (1973)
Mandingo (1975)
Soleil vert (1973)
Soleil vert appartient à cette mouvance du cinéma d’anticipation du Nouvel Hollywood, par son époque où il a été produit, mais surtout par sa clarté incisive et sa manière de dépeindre amèrement une société dystopique et post-industrielle qui voudrait faire écho à l'air de son temps. En 2022, la Terre est à présent surpeuplée, la population précaire est entassée dans des espaces miteux et étroits, tandis que les riches vivent dans des appartements de luxe avec leur « mobilier » sexuel. Le monde est étouffé par un air verdâtre et polluant, et le goût, le savoir et le désir ont disparu. Au fil de son enquête, Frank tente de remonter à l’origine de cette société totalitaire, qui fait manger à ses habitants une nourriture synthétique et les dirige secrètement comme du bétail dans un système esclavagiste. On s’émerveille lorsque le policier et son ami Roth, un vieillard bibliothécaire de l’ancien temps, (re)découvrent la sensation de l’appétit ou jouissent devant un défilé d’images de la nature, avant que l’un meure et l’autre découvre le terrible secret du Soylent Green, le mensonge horrible d'une société qui se retourne contre lui. Enfin, en allant à l’essentiel, l'auteur imagine un futur s’étant perdu dans sa propre modernité consommatrice, tout en donnant une atmosphère crédible et une élégante sobriété à ce récit cauchemardesque.
Mandingo (1975)
Mandingo peut se voir comme l’antithèse de Autant en emporte le vent, car le film de Fleming est une sorte d’élégie nostalgique et glamour d’un vieux Sud enchanteur où les esclaves noirs sont montrés comme dociles et heureux. Le film miroir de Fleischer est son « double maléfique » (Thoret) et son contrechamp, car il montre de façon frontale les angles morts inavouables, maladifs et poisseux de cette grande œuvre de l’âge d’or hollywoodien. Avec l’arrivée du Nouvel Hollywood, la production de Mandingo peut se permettre de représenter toutes les sordidités de cette période sombre de l’histoire américaine.
En effet, le cinéaste a su détourner l’origine du projet du film d’exploitation et de blaxploitation, qui est seulement un cheval de Troie pour le public de bas instinct, pour faire de Mandingo une œuvre radicale sur le mensonge romantisé de l’esclavage en dévoilant sans concession la brutalité d’un système social. À la manière d’un Visconti, Fleischer filme un domaine épuisé et la fin d’une époque, d’un monde et d’une élite dysfonctionnelle qui est sur le point de s’achever et de s’éteindre. L’ouverture démontre la capacité de l’auteur à toujours placer le spectateur dans un inconfort, en déployant un style au réalisme âpre, cru et frontal. L’œuvre ne lésine pas sur sa violence en nous soumettant la cruauté sadique des châtiments et des tortures, la surconsommation sexuelle liée à un rapport de soumission, l’impétuosité scabreuse du langage ou encore l’asservissement des femmes mariées pour des échanges économiques.
Le domaine vide, lugubre et décati de cette famille esclavagiste décadente est dans une « immobilité mortifère » qui refuse de voir l’évolution de l’Histoire, en pourrissant et en se décomposant sur place. La force de l’œuvre est d’afficher une horreur qui devient tellement quotidienne qu’elle en est à la fois grotesque et nauséeuse. C’est pourquoi la mise en scène adopte un travail de distance et de basculement de point de vue, en jonglant avec les pôles moraux de ses personnages, comme avec Hammond, fils du propriétaire, qui est le plus bon avec les esclaves et qu’on peut trouver sympathique, mais devient d’un coup horriblement cruel lorsqu’il dévoile sa véritable facette. Ainsi, le film trouve son équilibre entre les scènes d’exploitation prévisibles et le décalage de notre regard sur ces scènes, exigeant du spectateur qu'il reconsidère soudainement sa rigueur morale face à ce passé longtemps refoulé.
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