Annotations
La Taverne de l'enfer (1978)
Rocky II : La Revanche (1979)
Rocky III : L'Œil du tigre (1982)
Rocky IV (1985)
Rocky Balboa (2006)
Expendables : Unité spéciale (2010)
La Taverne de l'enfer (1978)
Le premier long-métrage réalisé par Stallone, après l’immense succès de Rocky, est un projet qu’il avait eu même avant l’écriture du célèbre boxeur et dans lequel on peut voir un laboratoire où Stallone se lâche dans une multitude d’idées. Paradise Alley en V.O. suit la vie de trois frères qui vivent dans le quartier new-yorkais de Hell’s Kitchen après la Seconde Guerre mondiale. Stallone joue l’un de ces trois frères, une grande gueule et petit arnaqueur à la semaine, qui rêve d’argent et de confort. Pour parfaire ces petites combines, il va utiliser son frère herculéen, mais d’une naïveté pure, un mélange entre un Brando candide et une progéniture de Rocky, en le faisant lutter dans des combats de catch.
On peut déjà noter que Sly ne tient pas le « beau » rôle ; à la fois odieux, farfelu et haut en couleur, il débite sans temps morts et sans filtre. Bien moins raisonnable que son autre frère, un vétéran mélancolique de la guerre, Cosmo incarne tout de même un personnage à la Stallone : un homme de la rue et un émigré italien rêvant de réussir, qui balance avec fracas ses émotions dans un sentimentalisme assumé et une poésie de rue. Mais contrairement à Rocky, on retrouve dans cette œuvre plus d’humour grotesque, une ambiance truculente et fantaisiste avec ses magouilleurs et fripouilles en tout genre, un décor alternant entre décors authentiques et décors de films de gangsters de la Warner des années 30, des scènes burlesques comme cette longue scène de bras de fer transpirante et dégoulinante, des combats à la dimension irréaliste et de bande-dessinée comme dans Rocky III et IV (le combat final en surimpression et au ralenti dans un ring noyé par la pluie) ou encore un récit chaotique avec des sous-intrigues touffues.
Le film est donc plus léger et distrayant, mais il y a toujours l’idée élémentaire d’un horizon plus radieux et meilleur pour des hommes qui luttent contre la misère sociale, la dépression, la notion des valeurs et les conséquences de nos choix (Cosmo qui culpabilise après s'être rendu compte que la vie de son frère Vic est en jeu tandis que le grand frère sage devient un promoteur magnat voulant se faire du profit), l’importance du lien familial ou encore l'affrontement quotidien contre un destin tracé pour avoir une vie digne. C’est pourquoi le film, même s’il manque de justesse et de rigueur dans l’écriture, est la première réalisation d’un vrai auteur, avec toute son expression généreuse et populaire.
Rocky II : La Revanche (1979)
Rocky II est l’œuvre-miroir du premier volet, mais avec un ton plus énergique et épique, comme si le premier Rocky était dopé à la sacralisation. Le film démarre d’ailleurs sur le combat final du premier pour en démontrer les conséquences. L’homme ne peut plus boxer et veut vivre une vie paisible avec Adrian, tout en cherchant à profiter de ses gains et de sa nouvelle notoriété. Stallone évoque la naissance d’un foyer, ses étapes et les responsabilités à assumer. Il garde l’esprit de chronique sociale du précédent film pour montrer les galères financières d’une famille de classe moyenne. Les facultés limitées du personnage et sa naïveté dépensière ne lui permettent pas de s’épanouir, ne lui laissant pas d’autre choix que de boxer à nouveau.
Ce film propose de voir un Rocky spirituel, porté par la foi. Ainsi, le cinéaste-acteur embrasse abondamment les allégories et les références religieuses. Tout repose sur la vocation du héros à devenir une icône populaire et sur sa montée en puissance pour le placer sous la lumière de la victoire. Le schéma de la chute, de l’élévation puis de la résurrection galvanise la dramatisation du récit et de sa revanche inévitable (et non voulue à l’origine) face à un Creed colérique, ayant perdu tout respect du public et obsédé par son désir d’une vraie victoire.
Cette fois, en passant à la réalisation et avec un budget plus conséquent, Stallone fait évoluer radicalement les combats. Dorénavant, la saga entre dans une boxe de cinéma, plus puissante et encore moins réaliste. Les plans derrière les cordes sont toujours là, mais la plupart sont désormais au-dessus, soit serrés en suivant les combattants, soit plus larges. Cela pourrait sembler télévisuel, mais c’est contrebalancé par des effets cinématographiques, avec l’apparition des premiers zooms de la saga, des plans très serrés pour faire ressentir le coincement entre les deux hommes, mais aussi des premiers ralentis pour marquer un point charnière du combat. C'est pourquoi l'esthétique est plus immersive : Rocky est moins seul et plus confiant, il est désormais vraiment accompagné par le spectateur sur le ring. Le premier film avait popularisé la steadicam, un système donnant à la caméra une grande fluidité et mobilité, mais ce n’était que pour la séquence d’entraînement, tandis que ce deuxième volet amène la steadicam directement sur le ring pour mieux nous plonger dans le combat.
Rocky III : L'Œil du tigre (1982)
Le troisième volet présente un homme devenu embourgeoisé et dont le mode de vie est devenu plus oisif. Comme la star qu’il est, Stallone projette ses propres interrogations sur son personnage et les répercute sur la carrière du boxeur. Ce dernier prend goût aux strass et aux paillettes, à des combats faciles pour la défense de son titre (sans qu’il ne le sache), à la sollicitation du public et à l’intense exposition médiatique.
L’esthétique va dans ce sens, en étant plus clinquante, moins rugueuse et encore moins réaliste que les précédents. L’œuvre s’imprègne totalement de l'esthétique des années 80 en poussant le curseur du spectaculaire pour procurer un éclat étoilé à son style, un fun surréaliste assumé et une forme de légèreté bigarrée, comme le prouve le combat ubuesque de catch contre Hulk Hogan, démontrant la dimension clownesque que prend la carrière du boxeur. Mais le récit invite le protagoniste à se remettre en question et à retourner aux sources (la rue, les durs entraînements avec Creed dans un vieux gym, le sacrifice physique, les grands discours motivants plein de panache…) et retrouver l’œil du tigre pour gagner contre l’antagoniste. Tout cela procure une générosité tournée vers plus de pathos dramatique et une action poussive davantage présente qui met en exergue une folie des grandeurs que l'on retrouve chez le cinéaste-auteur à cette époque.
Entre-temps, Raging Bull était passé par là avec son approche expressionniste, le spectateur se voyait coincé dans le mental des personnages et Scorsese le traduisait directement sur le ring. Rocky n’a jamais voulu jouer sur ce terrain ; il est beaucoup plus terre-à-terre, mais les prouesses de Scorsese ont donné envie à Stallone d'élargir son langage. Rocky III va encore plus loin dans le côté surréaliste, car on entre dans un univers de comic book avec des éclairages diffus qui donnent parfois aux lumières un côté féerique. Les bruitages sont quasiment absurdes, et le corps de Stallone a aussi changé, car il est très sculpté et saillant, comme s'il était devenu un super-héros. De plus en plus, les échanges de coups sont filmés comme une discussion, en champ-contrechamp ; les hommes communiquent littéralement avec les coups. Enfin, les combats deviennent plus que jamais des enchaînements de coups brouillons en série et sans finesse, mais d'une énergie incommensurable. On notera que le film utilise aussi beaucoup plus les plans subjectifs, pour encore plus nous immerger dans le combat.
Rocky IV (1985)
Dans le quatrième volet, tout est amplifié, que ce soit dans son scénario, en pleine surenchère où Stallone incarne l’héroïsme reaganien contre l’URSS, ou dans son esthétique, car le film prend la forme d'un univers de super-héros. La patine des années 80, avec son montage clipesque et pop, ses flashs, sa fumée et son image constellée, abonde excessivement dans le récit, comme l'auteur avait déjà pu le faire dans Staying Alive. La mégalomanie de l’auteur se ressent et pourtant, on s’attache à la tragédie du récit, entre la mort de Creed et l’espèce de créature de Frankenstein qu’est Drago.
Au-delà du manichéisme idéologique, ce sont aussi deux mondes qui s’affrontent : l’humain contre le robot, la nature contre la machine, le romantisme contre la froideur, la force brute contre la performance. La propagande russe est autant caricaturée que l’américaine, avec ses shows outranciers, son exubérance capitaliste et sa condescendance trop confiante. En s’entraînant dans la neige en état sauvage, Rocky retourne vers une humilité qui l’éloigne du confort bling-bling pour risquer sa vie dans un combat symbolique où l’humain gagne contre toute guerre politique, quel que soit le camp et le pays, lui permettant également de défaire la carapace métallique d’un monstre fabriqué par un régime pour dévoiler sa chair fêlée.
Pour revenir sur les combats, logiquement, ils suivent le même excès esthétique pop que le reste. La même année sortait Rambo II ; Stallone était au pinacle de son âge d’or, mais aussi au début de son auto-caricature, en train de devenir un symbole triomphant de l’Amérique de Reagan, comme nous l'avons dit auparavant. Tout est une amplification du troisième volet : les personnages sont huilés comme des gladiateurs, les lumières étoilées et les lens flares sont désormais partout, et on retrouve tout le langage visuel des autres épisodes avec un accent sur les plans larges ou moyens au-dessus des cordes, rendant le combat final du troisième moins diversifié, mais la dimension gargantuesque de tout le reste compense. Rocky IV est un pur film de montage, car pendant le match, le combat est beaucoup plus vif que dans les précédents épisodes. Le nombre de coupes n’est pas loin de doubler sur certains moments du combat et, pour montrer le passage des rounds, Stallone utilise le premier split screen de la saga, ainsi que quelques surimpressions d’images.
Rocky Balboa (2006)
Seize ans après le dernier opus, Stallone offre l’épisode le plus sensible de la saga. En effet, à l’image de son personnage, l’auteur a vécu une longue traversée du désert. Il a vieilli et se voit supplanté par la jeune génération. Il fait de Rocky Balboa un appel à la nostalgie et à la mélancolie, car on ressent le poids du temps, des décombres et de la déchéance sur la carcasse toujours musclée, mais lourde, du personnage. Il a perdu Adrian, son fils a pris ses distances pour sortir de son ombre, il vit modestement grâce à son restaurant et il est condamné à être une illustre relique. L'auteur instaure alors un climat morose et élégiaque pour mettre à nu cette tristesse et cette confession intime avec un réalisme tendre et authentique.
Dans le premier, Rocky se battait pour prouver qu’il existait en tant qu’individu, et dans celui-ci, il veut prouver qu’il a toujours l’œil du tigre et qu’il existe encore. Il est de nouveau un outsider, mais avec une gloire passée. Il tente un pari suicidaire en remontant sur le ring pour sortir d’une souffrance silencieuse. Le film émeut par la quête du personnage, par la foi et la croyance que le réalisateur met en lui pour retrouver les sensations d’exaltation du noble art, mais surtout par le parallèle poreux avec Stallone, qui prouve sa profonde sincérité avec le public.
Pour ce qui est des combats, Stallone reprend la mise en scène, mais plusieurs films de boxe sont passés par là, notamment Ali, avec ses expérimentations qui rendaient la réalisation très maniable grâce aux caméras numériques. Pour le combat qui l’oppose à ce boxeur afro-américain, aux antipodes de Rocky, Stallone a voulu adopter un style plus réaliste, en donnant à la première partie du combat une esthétique purement télévisuelle. Tous les tropes télévisuels du sport sont présents : les zooms, les fondus enchaînés, les incrustations, les informations en live ou encore les caméras qui sont intégrées à l’univers du film.
Finalement, cet épisode est un retour à la réalité, à la mort d’Adrian et au vieillissement des corps, comme le montrent la lumière crue, les plans larges ou la caméra mobile au bord du ring. Mais à mesure que Rocky reprend possession de ses moyens, on repasse dans un pur univers de cinéma avec des ralentis, des accélérés, du noir et blanc, des flashes et des effets clipesques. C’est un choix signifiant le retour d’une légende, une légende éternelle inscrite à tout jamais dans nos cœurs battants.
Expendables : Unité spéciale (2010)
The Expendables a l’ambition de réunir certaines grosses têtes d’affiche du cinéma d’action américain des années 80, 90 et 2000, ce qu’il réussit plus ou moins. Mais on aurait pu attendre de Stallone un baroud d’honneur plus subtil et mélancolique, à l’image de Rocky Balboa et John Rambo. Le pitch offrait cette dimension élégiaque avec ces personnages qui sont des vieux briscards mercenaires, roués de coups par la vie et usés par un passé douloureux. Malheureusement, l’œuvre pêche par une ambiance ringarde qui rend tous les acteurs has-been. Ces derniers ressemblent plus à une bande de vieux copains qui, entre quelques bières, tatouages, jeux et virées en Harley, vont fracasser bourrinement une dictature latine gérée par la C.I.A. L’outrance volontairement moqueuse est ratée, donnant plus l’impression d’une série B parodique au budget moyen. À voir la pauvreté de la direction artistique et surtout le montage haché qui rend les combats illisibles et brouillons. C’est certes généreux, Stallone tient sa promesse de film d'action eighties décomplexé, bien nostalgique puis d’hommes forts sacrifiés et en vrac, avec des caractères triviaux, mais les défauts sont trop lourds pour prendre un réel plaisir.
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