[Cinéma] HILL Walter (1942-)

Annotations

Le Bagarreur (1975)

Driver (1978)

Les Guerriers de la nuit (1979)

Le Gang des frères James (1980)

48 Heures (1982)

Extrême Préjudice (1987)


Le Bagarreur (1975)

Le premier film du franc-tireur Walter Hill est une chronique désenchantée sur un homme aux poings d’or qui gagne de l’argent en se battant dans des combats clandestins à la Nouvelle-Orléans et en plein dans le contexte de la Grande Dépression. Le tableau réaliste que compose l'œuvre permet d'abord d'exposer la difficulté de survivre dans cette époque démunie. La mise en scène, tout comme la narration, est directe et simple ; elle renvoie à un certain classicisme sans artifice, à l’image de Charles Bronson avec son regard de pierre, son mutisme mélancolique cachant une nature d’homme sans passé ni avenir, fuyant le béguin amoureux et un futur sédentaire. Il arrive comme il part, c’est-à-dire dans un train, figure typique du vagabond solitaire, que le cinéaste met en relation avec l’extravagance d’un James Coburn en manager flambeur et irresponsable. Le film cogne par sa sobriété insoumise : l’émotion des combats passe seulement par le rythme impactant et fatigant des coups, et l’ensemble est tenu par une description franche du contexte social et économique de la période, qui donne le ton d’un simili-western imperturbable et à la linéarité clairvoyante.


Driver (1978)

Driver s'inscrit autant dans la filiation du film noir, comme Le Samouraï, qu'il est l'ancêtre de Drive de Refn. On y retrouve la même idée du professionnel solitaire, mutique, à la froideur monolithique et réduit à une spécialité particulière ; la même déambulation hypnotique dans la nuit et les lumières d'une ville fantasmatique ; ou encore la même intrigue minimaliste et abstraite. Mais il y a des différences, car le driver de Hill est un fantôme cupide, sans fêlure ni romantisme, vivant pour l'adrénaline du moteur, tout comme le monde vidé de toute substance dans lequel il s'acharne à conduire à pleine vitesse pour remplir ses missions. Ce mélange d'épure bressonienne s'accompagne d'une action vigoureuse que l'auteur découpe sèchement dans des courses-poursuites rigoureusement haletantes et nerveuses. Il suit une ligne claire d'un récit sans superflu, à l'image des manœuvres méthodiques de l'as du volant qui impriment la dynamique intense de l'action. Le réalisateur fait aussi de Los Angeles un terrain de jeu d'une lisibilité urbaine bien définie où n'existent que des personnages innommés qui se croisent et se défient pour s'attraper, chacun dans sa fonction, du cow-boy motorisé invincible au flic intraitable obsédé par sa chasse.


Les Guerriers de la nuit (1979)

Avec son apparence de film d’exploitation, The Warriors parvient à percer cette nappe en proposant une odyssée à la mythologie urbaine et étrange, inspirée par la campagne des Dix-Mille que Xénophon a retranscrite dans son Anabase. Les Warriors, que l’on suit en temps réel dans une traque au sein de la jungle new-yorkaise composée de graffitis, d'un métro malfamé, de lumières crépusculaires et de rues désertes, progressent de territoire en territoire ennemi pour rentrer à Coney Island, leur Ithaque. La question du territoire est importante, car elle témoigne de la vision même d’une Amérique bâtie sur la violence et la possession géographique. L’œuvre de Walter Hill est un retour à ses origines, mais déployé avec un accent moderne. Les motifs du western sont inévitables, ainsi que ceux du film de guerre, car qui dit territoire dit gangs qui s’affrontent dans des combats chorégraphiés et des courses-poursuites fuyantes dans le labyrinthe nocturne de la Big Apple. Chaque groupe a son identité propre, et le cinéaste joue de cet archétype pour proposer un cocktail toujours stylisé, opte pour la distance (voir le charisme monolithique des acteurs) et amène son œuvre aux bords d’une atmosphère irréelle où le melting-pot ethnique accentue les tensions communautaires de ce film culte et palpitant.


La Gang des frères James (1980)

Walter Hill revisite le mythe de Jesse James et du groupe qui l’a entouré pendant plusieurs années. La première bonne idée est d’avoir engagé des acteurs frères pour jouer les rôles des différents bandits, afin de mieux appuyer les alliances et les affrontements de ces quatre fratries. Cela apporte aussi du réalisme au style déjà rude et sec du cinéaste, qui met enfin en œuvre son genre fondateur : le western. Il démythifie l’histoire pour offrir une œuvre à visage humain sur d’anciens soldats confédérés, devenus bandits dans un pays fracturé et en roue libre qui a oublié et moqué la population du Sud. L’auteur s’attache au côté psychologique et portraitiste, à leur vie quotidienne, leurs liens avec femmes, frères et enfants, et désacralise des personnages comme Jesse James en le rendant antipathique, froid et déterminé. L’œuvre contient une violence irrespirable qui rend inévitablement hommage à Peckinpah, avec ses ralentis suspendant le temps pour accroître le déchaînement de celle-ci. C’est alors un film anti-romantique, anti-légendaire et anti-héroïque, teinté d’un archaïsme poétique et intimiste, qui déconstruit toute mythologie pour faire éclore une étude véridique de ce gang idéalisé par le folklore américain.


48 Heures (1982)

48 Heures incarne le prototype du buddy movie, en plus d’être le premier film de ce genre célèbre. En effet, le duo formé par Nick Nolte et Eddie Murphy est totalement opposé dans leur psychologie, mais ils doivent s’allier le temps d’une mission. Le premier est un flic blanc au caractère bien trempé et rugueux, tandis que le second est un prisonnier noir, totalement fantaisiste. L’un est borné, avec une voix grave et un style de baroudeur, tandis que l’autre est une pipelette casse-pied et imprévisible (où transparaît, dès son premier rôle, toute la talentueuse improvisation de l’acteur). Cela donne le ton du film : à la fois un film policier bien viril et buriné, et en même temps une comédie de situation légère, d’où découle une alchimie qui contribue à une tension très drôle. Le cinéaste certifie également sa maîtrise limpide de l’environnement urbain en exploitant son tempérament nocturne, sombre et violent, tout en y ajoutant un effet rajeuni avec de grandes focales, des néons et des bokehs, donnant un cachet fantasmé à l’œuvre. Il en résulte un formalisme naturaliste (à mi-chemin entre l’esthétique des années 70 et 80), un cocktail d’humour et une œuvre à l’efficacité resserrée avec des scènes d’action brutes allant droit au but.


Extrême Préjudice (1987)

Comme toujours, Walter Hill utilise le western de façon déguisée comme matrice de ses films pour développer ses codes et les exploiter dans un nouvel espace, mettre en exergue la différence entre la justice et la loi, puis établir les rapports de virilité et d’amitié au-delà des questions légales avec des personnages toujours aussi sévèrement burnés et taciturnes.

 

Extreme Prejudice est surtout son « coming-out peckinpahien » (Thoret), car le film du cinéaste est une ode et une élégie à la Horde Sauvage, dans lequel il paie sa dette à son mentor spirituel. On pense également à Pat Garrett et Billy the Kid, comme le montre cette amitié contrariée entre un shérif texan professionnel (pur personnage hillien qui parlent plus avec ses actes que par ses mots) luttant contre un trafic de drogue important à la frontière du Mexique, géré par son meilleur ami d’enfance qui souille l’Eldorado fantasmé du Mexique. C’est donc une poursuite indésirable comme dans l’œuvre de Peckinpah, car l’un et l’autre se respectent, mais la loi fait qu’ils se voient obligés de s’affronter. Évidemment, on y retrouve aussi les paysages arides, caniculaires et poussiéreux du Mexique, qui sont chers au cinéma de Peckinpah, mais surtout la violence baroque des gunfights, comme le démontre le baroud d’honneur flamboyant et homérique.

 

Mais l'œuvre est aussi « le chaînon manquant entre le western des années 70 et le film d’action des années 80 », car, à travers le commando de vétérans de l’armée américaine qui aide le shérif dans sa mission, on y perçoit l’apanage testostéroné propre aux actioners explosifs des eighties. D’ailleurs, le groupe militaire y montre la patte de Milius (à l’origine du premier scénario), car ils incarnent une folie paradoxale à la fois décontractée, réactionnaire, anarchiste, exaltée par le danger et pleine de franche camaraderie et d’amitié menaçante. Mais Hill dévoile le revers, car ils sont aussi l’incarnation de l'interventionnisme abusif américain dans les pays étrangers qui ont servi des causes mercenaires, douteuses et corruptrices à travers une volonté d’appât du gain et un soi-disant patriotisme. Ainsi, l’auteur propose un dialogue et met un pied entre le classique et le moderne, dans lequel le shérif serait ce cinéma rugueux, viscéral, sec, mélancolique et nostalgique d’un Ouest sauvage plein de liberté, avec ses codes d’honneur, contre les héros bodybuildés sûrs d’eux et paraissant invincibles d’un cinéma hollywoodien de gros spectacle.


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