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Nosferatu le vampire (1922)
Nosferatu le vampire (1922)
Au-delà de la prodigieuse forme technique de Nosferatu, qui démontre déjà toute sa modernité, c’est d’abord son personnage qui marque à jamais le film dans l’histoire du cinéma : le Comte Orlok. Pour des raisons de droit, Murnau n’a pas pu adapter concrètement l’œuvre de Stoker et, même s’il en reprend des caractéristiques principales, son Nosferatu est unique. Orlok est un être hideux et effroyable, avec son crâne chauve, sa silhouette longiligne et lugubre, ses grands doigts griffus, ses dents guillotines et son ombre menaçante qui se répand sinistrement. Il incarne cette créature qui hante le cinéma expressionniste allemand de cette époque, où la catastrophe est toujours à venir, prête à faire tomber le monde dans le chaos. Ses pouvoirs maléfiques corrompent et empoissent le monde de l’intérieur. Il fait plonger les êtres dans les méandres de la peur et dans une « symphonie de la terreur », pour citer le sous-titre de l’œuvre.
Les jeux de contre-jour et d’ombres démesurés, qui caressent la blancheur innocente des humains (l’ombre de la main qui attrape le cœur de la vierge), évoquent aussi la beauté plastique et expressionniste de l’œuvre. Ainsi, l’œuvre contracte une fascination mystique et mystérieuse grâce à sa puissance évocatrice, faisant lutter l’ombre et la lumière, le jour et la nuit, ou encore le désir et la pulsion de mort. Mais également, la confrontation romantique des éléments de la nature avec l’homme participe au poème métaphysique qu’est le film. On le constate par le symbolisme du règne végétal (la hyène, les chevaux effrayés, la plante carnivore, le polype translucide, l’araignée…) et ce grand spectacle de la nature (les montagnes et la mer) qui traduisent le rôle de ses personnages et agrémentent la trajectoire sanglante ainsi que les forces occultes du vampire. Le non-mort qu’est le Comte, qui se nourrit lui-même de la mort, a besoin de mourir à travers le sacrifice d’Ellen (c’est la pureté qui gagne contre les ténèbres) pour que l’univers retrouve son équilibre cyclique éternel.
C’est pourquoi le film nous plonge dans l’inconscient germanique et ses profondes racines, en nous faisant passer d’un état à un autre : de la conscience vers le rêve, comme le souligne ce célèbre carton : « Et quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre ». Le film est en effet un rêve (ou un cauchemar) éveillé, qui capte une dimension surnaturelle et cosmique avec cette créature spectrale et insaisissable, échappant à notre raison et à notre conscience, créant cet ensorcellement d’une réalité indicible, à l’instar du cinéma et de son pouvoir sur le spectateur pour lui montrer ce qui est invisible.
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