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El (1953)
La Vie criminelle d'Archibald de la Cruz (1957)
Tristana (1970)
El (1953)
Le titre précise l’intention de Buñuel : étudier au plus près un homme. « Il » est un notable bourgeois, entouré de son majordome et de ses servantes. Sa vie est aisée, mais solitaire de toute femme. Le spectateur comprend pourquoi Francisco est un homme isolé amoureusement : il est un jaloux obsessionnel et compulsif. L’auteur réalise un portrait lacanien d’une belle lucidité, étudiant chaque étape de la paranoïa du personnage qui sombre dans la folie et la culpabilité. Son épouse, qu’il rencontre ironiquement dans une église, subit les sévices de son mari malade et ne peut vivre sa vie normalement. Le cinéaste espagnol manipule la réalité dans le sens subjectif de son héros, car ce dernier interprète toujours la réalité dans le sens de son obsession. Il montre ainsi toute la douleur de cet homme devenant agressif et angoissé. Qu’importent les personnes ou les lieux, le mal est partout dans la tête de Francisco, même dans une église où les images d’une messe et des fantasmes de rires moqueurs se mélangent. L’auteur signe donc un semi-Vertigo cruel avant l’heure, décortique le mécanisme psychologique d’un autodestructeur fétichiste et ouvre l’exploration dans les méandres d’une société corsetée par ses tabous.
La Vie criminelle d'Archibald de la Cruz (1957)
La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz est la suite logique d’un Buñuel désireux de décortiquer les désirs et les frustrations d’un homme dans une société coincée dans ses interdits. Cette fois-ci, il explore la psyché d'un homme marqué par un souvenir d’enfance à la fois traumatique et excitant. Une fois adulte, le personnage pense assassiner des jeunes femmes rien qu’en imaginant la manière dont elles meurent, grâce notamment à une boîte à musique qui devient le révélateur érotique de ce souvenir morbide. Cet aspect surréaliste, oscillant entre réel et imaginaire, traduit les fantasmes inaccessibles d’un séducteur, qui finit par être rejeté par la gent féminine. La mort et le sexe s’entremêlent dans un jeu malicieux, parfumé d’un humour noir et d’images oniriques vaporeuses, exposant les obsessions meurtrières d’Archibald. Des meurtres qu’il ne commettra officiellement jamais, mettant ainsi en lumière un bourgeois aux bonnes mœurs capable de nourrir des pensées fétichistes et macabres. Les motifs liés à ces tabous s'intègrent symboliquement dans l’œuvre, comme le verre de lait, les plans sur les pieds ou talons, ou encore ce mannequin en cire enflammé. Au final, la percée mentale de l’homme se résout peu à peu dans un scénario tortueux, qui aborde avec subtilité la fausse pureté du milieu mexicain des années 50.
Tristana (1970)
Ce retour en Espagne, dans la ville de Tolède, aux décors qui ont tout d’une tombe fanée, est pour Buñuel une introspection dans laquelle il met de lui-même dans le personnage de Don Lope. Ce dernier est un bourgeois anarchiste, mal-aimable et frustré, attaché à ses conventions et dont les fantasmes enfouis dissimulent une perversité contradictoire. Il presse son désir envers une jeune et éblouissante femme que Deneuve incarne d’abord avec une fragile docilité. Le réalisateur se moque des rites d’une bourgeoisie constamment menacée par sa fragilité. Mais c’est une dérision mélancolique et intériorisée, car l’auteur projette sa propre angoisse de la vieillesse et, par conséquent, de la mort. De ce fait, la tendance s’inverse, et l’on se prend d’empathie pour cet homme en pleine décrépitude, se mettant à aimer humainement une femme devenue un être cruel et froid à cause d’un handicap qui a mutilé son innocence. C’est pourquoi les rapports de domination et d’humiliation s’inversent, faisant de Tristana une fable lugubre sur le lien entre bourreau et victime et la façon dont celui-ci peut s’interchanger moralement.
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